Julien Viaud, dit Pierre Loti

Pierre Loti
Pierre Loti

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain français (Rochefort 1850 – Hendaye 1923).

Les voyages de Julien Viaud, qui ramena de Tahiti le surnom de Loti (ce fut d'abord le nom du personnage chargé de le représenter avant de devenir son nom d'écrivain), ne furent pas intérieurs ; pourtant les pays lointains, découverts pendant quarante ans de carrière dans la marine, restent sous la plume du romancier des pays de rêve. Plus que l'amour de l'officier pour la jeune autochtone (Aziyadé, 1879 ; le Mariage de Loti, 1880, deux livres publiés anonymement), le thème central de cette œuvre faussement limpide est celui d'une tristesse désabusée, que le pittoresque exotique ne parvient pas à chasser. L'Afrique (le Roman d'unspahi, 1881), l'Orient (les Désenchantées, 1906), l'Extrême-Orient (Mme Chrysanthème, 1887), ou ces régions à la fois proches et lointaines que sont la Bretagne (Mon frère Yves, 1883 ; Pêcheur d'Islande, 1885) ou le Pays basque (Ramuntcho, 1897) n'y peuvent rien : l'immersion dans l'ailleurs est toujours imparfaite, la constitution d'une nouvelle identité toujours impossible. En effet, malgré son désir d'oublier l'Occident, le héros-Loti est condamné à l'éphémère, à l'inutile superposition de tableaux colorés, à la répétition de l'amour trop fidèle et trop tendre d'une indigène, à travers laquelle il cherche l'essence d'une contrée – et en ce sens les ouvrages de Loti (l'Inde sans les Anglais, 1903) ne reflètent pas comme ceux de Kipling l'idéologie d'un colonisateur. Auteur à succès, goûté par un public féminin charmé par son sentimentalisme aimable, Loti a ressassé la même intrigue peu élaborée, accumulé les mêmes personnages dans une langue infiniment suggestive, un lexique simple, sans recherche et une syntaxe sans effet. Son art spontanément impressionniste dépasse cependant la recette du roman exotique. Est-ce parce que plane sur l'œuvre cette angoisse de la mort, qui la situe dans le courant décadent ? En réalité, ces récits suggèrent la recherche des origines, d'un monde primitif plus pur. Le corps-paysage de la femme étrangère ne saurait combler la nostalgie de l'enfance et de la mère (le Roman d'un enfant, 1890 ; Prime jeunesse, 1919). Les purs récits de voyages (depuis Au Maroc [1890] jusqu'à Un pèlerin d'Angkor [1912] en passant par Fantôme d'Orient [1892] ou Vers Ispahan [1904]) correspondent mieux à la sensibilité contemporaine qui a aussi découvert son journal, source de l'œuvre tout entière (Cette éternelle nostalgie, 1997 ; Soldats bleus, 1998). À la suite de Roland Barthes préfaçant Aziyadé (1972), le lecteur actuel lit Loti autrement, comme un écrivain singulièrement moderne : insignifiance de l'intrigue, pouvoir du verbe, trouble de l'identité.

Pierre Loti
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