Jules Supervielle

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Écrivain français (Montevideo 1884 – Paris 1960).

Issu d'une famille d'origine basque établie dans la banque en Uruguay, orphelin avant l'âge de 1 an, cet enfant « né sous les signes jumeaux du voyage et de la mort » fait ses études à Paris, où il se fixe, tout en faisant de fréquents séjours dans son pays natal. Il se marie en 1907. Entre ici et là-bas, comme entre le réel et l'imaginaire, des navettes se font. Influencé de près par Laforgue et Larbaud (Brumes du passé, 1900 ; Comme des voiliers, 1910 ; Poèmes de l'humour triste, 1919), il marque son originalité dans Débarcadères (1924), pour s'affirmer avec les textes travaillés de Gravitations (1925), qui dévoilent une sensibilité cosmologique, perméable aux fluctuations de l'espace et du temps, et un besoin de communication illimité. Ces poèmes en vers réguliers et en vers libres, qui mêlent l'univers quotidien et les espaces fabuleux, composent une même méditation sur la mort, la grande loi de cette vie humaine. Chantre de la transparence, de l'équilibre et du miracle de l'écriture, Supervielle continue à humaniser le fantastique, en émerveillant le quotidien. Chez lui, le mystère est vécu comme une expérience sans cesse renouvelée et le vertige métaphysique se veut doucement apprivoisé, accordé à la respiration du monde, jusqu'au seuil de l'âge qui apporte avec lui la fragilité (le Forçat innocent, 1930 ; les Amis inconnus, 1934 ; la Fable du monde, 1938 ; les Poèmes de la France malheureuse, 1941 ; Oublieuse Mémoire, 1949 ; Naissances, 1951 ; le Corps tragique, 1959). Avec moins d'audience, son théâtre (la Belle au bois, 1932 ; Bolívar, 1936 ; le Voleur d'enfants, tiré en 1948 du roman paru en 1926 ; Robinson, 1949 ; Schéhérazade, 1949 ; les Suites d'une course, suivies de l'Étoile de Séville, 1959) et ses nouvelles (l'Homme de la pampa, 1923 ; l'Enfant de la haute mer, 1929 [qui en unissant légende chrétienne – « le Bœuf et l'Âne de la crèche » – et mythes américains – « Rani », « la Piste et la Mare » – proposent une méditation sur la mer et la mort et leurs continuelles métamorphoses] ; l'Arche de Noé, 1938 ; le Jeune Homme du dimanche et des autres jours, 1955) révèlent une fantaisie ironique et fondent une « métaphysique intimiste » sur un enchaînement continu de métamorphoses (le grand mot de cette poésie, comme « saisir » en est le grand verbe). Reconnu par ses pairs, par les grandes voix de la N.R.F., aimé de ses lecteurs, l'habitant du « 47, boulevard Lannes » s'est refusé à confondre modernité et préoccupation technique, ainsi qu'à rompre avec les grands modèles classiques, qui inspirent fort avant son approche de plus en plus consciente du vers. Il se propose même de réconcilier les poésies anciennes et modernes. Touché de près par la mort, il ne renonce pas à l'espoir, et ne cède pas, à la différence de son exact compatriote Lautréamont, à la violence. Ouverte à un merveilleux qui n'est pas réductible à l'approche surréaliste, sa poésie, lieu de toutes les métamorphoses, se caractérise par la respiration qu'elle permet, par ces espaces naturels qu'elle se refuse à oublier. Supervielle publie en 1951 son autobiographie, Boire à la source, titre emblématique d'une alliance passée avec ses premières années. Il est élu Prince des poètes l'année de sa mort. Il est l'homme d'une justesse, d'une délicatesse et pour tout dire d'une tendresse qui ne sont pas sans échos dans le néolyrisme contemporain.