Joseph Arthur, comte de Gobineau

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Diplomate et écrivain français (Ville-d'Avray 1816 - Turin 1882).

Il mourut dans une chambre d'hôtel, après une existence marquée par les épreuves (drame du ménage de son père, point de départ de sa misanthropie ; drame et rupture de son propre foyer en 1876), par les échecs (dans la carrière des armes puis diplomatique – il fut cependant le chef du cabinet de Tocqueville en 1849 –, dans ses ambitions littéraires, l'espoir de faire fortune, de devenir académicien), par la médiocrité (il pratiquait toutefois la sculpture avec talent), l'errance et la solitude. D'où le fatalisme et le pessimisme de sa pensée, mais aussi le puissant besoin d'évasion et le désir de secrète vengeance qui donnent à son œuvre une profonde unité, en dépit de la variété des genres abordés et des nombreuses contradictions qu'on y relève. D'une culture fort mince, brouillonne et superficielle, Gobineau, malgré ses prétentions, n'est ni un historien ni un érudit, et ses « ouvrages savants » (le Traité des écritures cunéiformes, 1864) sont en réalité les œuvres d'un sombre visionnaire qui trouve une amère et chimérique revanche dans l'invention de la race supérieure des Aryens dominateurs, l'évocation de leurs fabuleuses chevauchées et la révélation de leurs filiations généalogiques qui mènent jusqu'à l'auteur lui-même ! Tel est le sens véritable de son célèbre Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-1855), où la thèse de l'inégalité physique, esthétique, intellectuelle – donc culturelle et linguistique – entre les « races » conduit à établir la supériorité de « la famille aryenne » et, en elle, du peuple germain. L'ouvrage, qui connut un vif succès en Allemagne et notamment chez les initiateurs du racisme national-socialiste (H. S. Chamberlain), fut suivi de deux autres essais avec lesquels il forme une trilogie : l'Histoire des Perses (1869) et l'Histoire d'Ottar Jarl (1879). Partout Gobineau se fait le chantre de la même croyance en une race des seigneurs depuis longtemps irrémédiablement dégénérée par le métissage, affiche le même mépris pour le peuple (la véritable « race inférieure ») et la même fascination pour l'énergie. Ces thèmes ont donné parfois des œuvres médiocres (sa tragédie Alexandre le Macédonien, son épopée Amadis). Mais Gobineau excelle dans le récit de voyage (Trois Ans en Asie, 1859) et la chronique romancée comme la Renaissance (1877), où ces êtres d'exception que sont Savonarole, César Borgia, Jules II, Léon X et Michel-Ange, véritables « conquérants de la race des seigneurs », incarnent ce que l'auteur rêvait d'être depuis son adolescence. Il s'illustre aussi dans le roman : après le Prisonnier chanceux (1847), les Pléiades (1874) contiennent des pages joliment perfides mais aussi lucides sur la société de son temps ; analyses pénétrantes d'êtres violents et déchirés, aspiration à l'idéal et nostalgie des « grands sentiments », dans une tonalité proche de Stendhal, font du livre, commencé comme une aventure allégorique, poursuivi comme un roman social, achevé comme une confidence, un des derniers hymnes à l'amour romantique dans un univers où triomphent physiologie et naturalisme. Gobineau est enfin un maître de la nouvelle : Mademoiselle Irnois (1847) raconte la destinée lamentable d'une infirme, silencieuse et prostrée, mais transfigurée par l'amour en une « jeune extatique », avant de mourir après son mariage forcé avec un fonctionnaire impérial ; les Nouvelles asiatiques (1876) sont une évasion vers le paradis perdu de la Perse et de l'Asie tant aimées qui laissent nettement transparaître les « théories » de l'Essai sur l'inégalité des races humaines. Ces texte valent à leur auteur d'être lu aujourd'hui comme un des mages du romantisme noir le plus désespéré.