Jacques Dupin
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Poète français (Privas 1927).
Il est de cette génération qui, au sortir de la guerre, appréhende la présence matérielle du monde dans ses éléments géologiques, sa constitution : s'il est difficile à lire, il est aussi une évidence matérielle de montagne, de roche dont la présence brutale est à prendre en compte par des mots jamais abstraits. La dureté de la guerre a emporté le merveilleux des surréalistes. Il n'y a plus que le monde de la réalité rugueuse. La réalité de l'espace sensible, celui de l'Ardèche (matrice, lieu de référence, modèle pour l'écriture), est envisagée, au détriment d'une intériorité trop complaisante. L'espace est le grand mot (l'Espace autrement dit, 1982), même si le paysage, dans sa matérialité, parvient à dire le dedans de la personne, souvent son angoisse (Dupin a fréquenté dans son enfance les aliénés) dans des vers au lyrisme très retenu, sobre et pudique, d'une âpreté minérale où l'on peut reconnaître la trace de Char (qui préface Cendrier du voyage, 1950) et de Rimbaud. Gravir (1963) présente cette dureté du monde, en même temps qu'un effacement du sujet que son titre à l'infinitif, à prendre comme projet moral global, suppose. C'est le premier repère d'une démarche personnelle, qui a vrillé ses enjeux trop profonds dans le monde pour se satisfaire des modes et qui trace dans la solitude sa manière d'être. En 1969, l'Embrasure reprend les motifs de Gravir, marqué par encore plus de doute. La belle assurance du « pas gagné » rimbaldien ne se retrouve pas dans une parole volontiers hésitante, qui ne rougit pas de ne pas savoir. La poésie est questionnement ininterrompu au monde dans son extériorité (Dehors, 1975).
Une apparence de soupirail (1982), dont le titre vient de Rimbaud, est le plus douloureux des livres. Il s'affronte à la mort, avec une écriture courte, tendue toujours, mais cette fois-ci approchant, en prose, la « langue-mort ». Par ailleurs, Dupin est à l'origine directe de la revue l'Éphémère, où ses préoccupations rejoignent celles de Du Bouchet, de Bonnefoy. Il fait également dialoguer poésie et art : Miró (1993) ; Alberto Giacometti, textes pour une approche (1962 puis 1991) ; Matière du souffle (1994, sur Tapies). Au-delà de cette approche sensible et informée de la peinture, la poésie est réflexion globale sur la notion de création. Exigeante ô combien, singulière, sans concession, cette œuvre sait s'ouvrir avec générosité aussi bien à la réalité – même angoissante – du monde qu'au regard des autres créateurs ou, plus récemment (Bien encore tout déjà, 1990 ; Échancré, 1991), à une autobiographie longtemps retenue mais sans cesse affleurante.