Eugène Guillevic

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète français (Carnac 1907 – Paris 1997).

Né en Bretagne, ayant vécu en Alsace, il monte à Paris en 1935 et devient fonctionnaire des Finances. Arland et Follain sont ses amis. C'est, en 1942, l'année du Parti pris des choses de Ponge, autre exemple de la poésie objective rêvée par Rimbaud, l'une des références du jeune Guillevic, qu'est publié son recueil phare Terraqué (dont le premier poème s'appelle Choses), plaçant un accent angoissé sur l'élémentaire (l'eau, la terre) et sur la minéralité d'une Bretagne à laquelle reviendront vingt ans plus tard les vers de Carnac (1963) : « À Carnac, le linge qui sèche / Sur les ajoncs et sur les cordes // Retient le plus joyeux / Du soleil et du vent. // Appel peut-être à la musique. » Le poème a affaire au monde, il est avec lui, avec ce monde obscur, souvent brutal, abrupt, refusant la saisie, celle du concept tout autant : « Mais c'est bon pour les rocs / D'être seuls et fermés / Sur leur travail de nuit. »

Pendant la guerre, Guillevic adhère au P.C., qu'il quittera en 1980, entre dans la Résistance, participe à l'Honneur des poètes en 1943, dialogue avec Aragon. L'idéal communiste de partage et de solidarité le retient. Les titres courts, percutants s'égrènent : Exécutoire (1947, qui accueille ce poème apocalyptique qu'est Charniers), Gagner (1949), Sphère (1963), Avec (1966). Ils établissent la cohérence d'une vision du monde, mais aussi, à l'exception peut-être moins convaincante de Trente et un sonnets (1954), une unité formelle, celle d'une parole courte, chargée d'énergie, lapidaire. Cette écriture qu'on dira ramassée est à la fois efficace et belle : « Je t'écris d'un pays où il fait noir / Et ce n'est pas la nuit » (Sphère). Loin des effets, la poésie, fille d'Antée plus que d'Icare, travail minimaliste sur la nudité, est tendue vers le dépouillement. Elle est une énergie, une mise en tension, où la mort n'est jamais abstraite. Inclus (1973), Du domaine (1977), Étier (1979) précisent une démarche. Le monde change de sens : d'un obstacle désespérant il se fait coprésence avec lequel le dialogue, sans doute, est possible. La hantise de l'exclusion (le monde se refermerait sur lui-même, pour nous exclure) se retourne en possibilité d'accueil. Le poème, écrit Guillevic, fait chanter le silence. Ce silence se matérialise par de grands blancs de la page. Avec une confiance semble-t-il de plus en plus grande, la poésie questionne l'ici et maintenant, fonde les conditions de l'être. Il s'agit, c'est le titre d'un recueil d'entretiens paru en 1980, de vivre en poésie. Domine également l'idée que la poésie est une avancée (d'où ce verbe programme : gagner), un résultat : « Les mots / C'est pour savoir. » S'il n'est pas moralisateur, Guillevic, à la tête d'un langage très personnel, est bien un moraliste. L'essentiel est son éthique. Ouvert sur l'avenir, le recueil ultime s'intitule en 1996 Possibles Futurs. Guillevic a publié de nombreuses plaquettes avec des peintres à tirage limité.