Georges Rodenbach
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain belge de langue française (Tournai 1855 – Paris 1898).
Cet aîné de la génération symboliste belge séjourna à Paris (1878-1879), s'imprégnant du climat littéraire et spirituel de la capitale. À la fin de son séjour, il publia les Tristesses (1879), inspirées de Coppée, de Banville et de Hugo. De retour au pays, il participa activement au renouveau littéraire qui s'amorçait autour de la Jeune Belgique. La Mer élégante (1881) et l'Hiver mondain (1884) cachent, sous des thèmes frivoles, le pessimisme d'un dandy qui découvre, de son propre aveu, « l'erreur en toute vérité, la vérité de toute erreur ». Avec la Jeunesse blanche (1886), Rodenbach inaugura un phrasé poétique désormais inséparable d'une thématique restreinte (miroirs, canaux, lieux clos, brouillards, villes mortes, béguinages, chevelures) dont les modulations obsessionnelles ne cesseront de se répéter dans l'œuvre poétique ultérieure (le Règne du silence, 1891 ; les Vies encloses, 1896 ; le Miroir du ciel natal, 1898).
En 1888, Rodenbach s'installa définitivement à Paris. C'est surtout son roman Bruges-la-Morte (1892) qui l'y rendit célèbre : le héros, Hugues Viane, veuf, établi à Bruges dont l'atmosphère s'harmonise avec sa tristesse, devient l'amant d'une jeune femme qui ressemble étrangement à son épouse disparue : il s'aventure alors dans le labyrinthe des apparences, des doubles, des vraies et des fausses ressemblances et finit par étrangler sa maîtresse avec une tresse de cheveux de la morte. Dans ce récit, l'auteur inscrit à la fois l'ambition du héros symboliste de devenir l'« architecte de ses féeries » et la conscience des périls entraînés par cette expérience de tourner volontairement « l'épaule à la vie » . Par son atmosphère de rêve et la mise en place d'un réseau complexe de correspondances dans un cadre allégorique, le roman fut reçu d'emblée comme une des œuvres majeures du symbolisme. Il contribua à lancer le mythe de la « Venise du Nord ». L'édition originale elle-même, où le texte s'accompagnait de vues d'une Bruges déserte en photogravure, innovait par sa présentation matérielle.
Le théâtre de Rodenbach – le Voile est joué avec succès en 1894 à la Comédie-Française – compléta sa relative renommée. L'auteur se lia d'amitié avec Villiers, Mallarmé, Mirbeau, Goncourt, Daudet, devint chroniqueur attitré du Figaro, et continua à publier recueils, contes et romans d'inspiration inchangée (Musée des Béguines, 1894 ; la Vocation, 1895 ; le Carillonneur, 1897 ; le Rouet des brumes, 1901). L'esthétique symboliste et l'idéalisme schopenhauérien lui avaient fourni la formule de transmutation du réel au creuset de l'œuvre d'art, l'un des éléments de son système consistant à voir la réalité à travers sa réverbération. Comme ses personnages, ce rêveur nostalgique se meut, avec une délectation morose, dans un monde de reflets fascinants mais dangereux.