Ernest Renan
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Historien et philosophe français (Tréguier 1823 – Paris 1892).
Enfant doué, il entre, après une enfance bretonne, au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris (1838). Dès cette époque, il est amené à s'interroger sur les implications de sa foi, au travers des signes extérieurs de piété auxquels il est astreint. Il quitte Saint-Nicolas-du-Chardonnet en 1841 pour entrer au séminaire d'Issy. Il y découvre Fénelon et le quiétisme, Pascal, Malebranche. Son intérêt pour la philosophie s'éveille, et son goût s'affirme pour une vie d'étude et de réflexion. L'orientation de sa pensée prend un tour antiobscurantiste, sa foi est de plus en plus malmenée par les aperçus que lui révèlent la critique historique et la philosophie allemande. Il apprend l'hébreu. Finalement, Renan refuse le sous-diaconat en 1845 et quitte le séminaire. Bachelier en 1846, licencié l'année suivante, il est reçu premier à l'agrégation en 1848. Durant cette période, il se lie avec Berthelot, sous l'influence duquel il écrit l'Avenir de la science, qui paraîtra quarante ans plus tard. Il lit Quinet et Herder, Ballanche, Michelet ; ses études hébraïques se concentrent sur les Psaumes, tandis qu'il travaille à un Essai sur l'origine du langage.
Son projet d'examen rationaliste du christianisme prend la forme d'une recherche sur la personnalité de Jésus : il met en chantier un Essai psychologique sur Jésus-Christ ainsi qu'une Histoire générale des religions ; les problèmes soulevés par la destinée de l'âme l'amènent à s'intéresser à Averroès, auquel il pense consacrer sa thèse. Au cours de son deuxième voyage en Italie, il est reçu par Pie IX en 1850, et passe une dizaine de jours au mont Cassin, où il dépouille nombre de documents pour son étude sur Averroès. De retour à Paris, il s'installe avec sa sœur Henriette, qui lui sert de secrétaire. En 1852, il soutient sa thèse : Averroès et l'Averroïsme. Renan y pose le problème de l'autonomie de la raison, du statut de l'intellect et de l'âme ; confronté à l'échec du rationalisme arabe, il en cherche la cause dans la montée du fanatisme musulman. Son ouverture sur le monde sémite lui inspire une série d'articles sur Mahomet et les origines de l'islam (1852). Autant de jalons qui aboutiront à la publication, en 1863, du premier volume des Origines du christianisme.
Pour l'heure, affecté au département des manuscrits grecs de la Bibliothèque nationale, il jouit d'une relative prospérité. Hébraïsant réputé, il est chargé d'un cours au Collège de France ; il est aussi élu à l'Académie des inscriptions (1856). Outre Burnouf et Thiers, il est lié à Augustin Thierry, chez qui il fait la connaissance de Cornélie Scheffer. Il l'épouse en 1856. C'est Henriette, cependant, qui l'accompagne dans une mission archéologique en Phénicie qu'il accepte en 1860, peu après avoir publié la traduction du Livre de Job (1858). Séduit par les sites de la Galilée, stimulé par les traces de protagonistes qu'il ressuscite sous sa plume, Renan a presque achevé le manuscrit du premier tome des Origines au terme de son séjour. Cependant, Henriette meurt en 1861, à Amshet.
Peu après son retour, Renan est reçu au Collège de France, à la chaire de langue hébraïque (1862) : il présente Jésus comme « un homme incomparable » ; le tollé qui s'ensuit conduit à la suspension du cours (février 1862). Le cycle des Origines du christianisme s'ouvre en 1863 par la publication de la Vie de Jésus ; le second volume, les Apôtres, paraît en 1866 ; puis, Saint Paul en 1869 ; l'Antéchrist paraît en 1873, suivi des Évangiles et la deuxième génération chrétienne (1877), de l'Église chrétienne (1879), enfin du Marc Aurèle (1881). La Vie de Jésus est un assez beau succès de librairie, mais ne satisfait personne. Cependant, en dépit de son échec au Collège de France, de la polémique qui s'élève autour de la publication des Origines, Renan fait déjà figure d'autorité.
En 1871, il reprend en volume une série d'articles, les Réflexions intellectuelles et morales ; bien qu'accaparé par les Origines, il compose, dans la décennie qui suit, les pièces des Drames philosophiques : Caliban, l'Eau de jouvence, le Prêtre de Némi, l'Abbesse de Jouarre. Sa santé, qui s'altère de plus en plus, met un terme aux rituels séjours qu'il effectue chaque année en Italie jusqu'en 1882, et lui interdit le périple qu'il envisage au Moyen-Orient lorsqu'il s'attelle au projet d'une Histoire du peuple juif. Il donne en 1882 et 1883 plusieurs conférences et articles consacrés aux rapports du christianisme, du judaïsme et de l'islam, ainsi que les Souvenirs d'enfance et de jeunesse.
Retiré partiellement en Bretagne, il y reçoit le jeune Barrès. En 1890 paraît enfin, événement retardé, l'Avenir de la science, où il affirme la déchéance du surnaturel, la primauté du savant et proclame la science religion de l'avenir. En octobre 1891, il termine son Histoire d'Israël, où il tente de « mettre le christianisme en perspective » à partir de l'histoire du judaïsme. Il s'éteint le 2 octobre 1892.