Corée

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

La littérature coréenne classique

La poésie

Période ancienne

La première œuvre attestée de toute la littérature coréenne est le Chant de la Tortue, que l'on date de 42 apr. J.-C. La chronique ancienne dit que cette année-là neuf chefs et deux cents hommes de l'État tribal de Karak, après avoir fait l'ascension du mont Kuji, entonnèrent un « chant de bienvenue à la divinité » (« Tortue, Tortue/ Montre-nous ta tête/ Si tu ne le fais pas/ Nous te rôtirons et te mangerons »). Deux remarques capitales s'imposent à propos de cette première production littéraire : bien que datée de 42, elle est attestée pour la première fois dans une chronique de 1279, les Récits de l'époque des Trois Royaumes ; elle est écrite en chinois classique. Cela permet de noter d'emblée quelques particularités remarquables de la littérature coréenne classique. La langue parlée dans la péninsule coréenne est depuis toujours le coréen, que l'on rattache de façon plus ou moins lâche à la famille ouralo-altaïque, mais, jusqu'en 1897, la langue officielle a été le chinois classique, qui était non seulement la langue dans laquelle étaient rédigés tous les actes officiels, mais aussi celle de l'élite intellectuelle du pays : les lettrés, classe d'où étaient issus les fonctionnaires et tous ceux qui s'occupaient de près ou de loin de littérature, bon nombre d'entre eux cumulant, à la chinoise, les deux activités. Aussi, quand on parle de littérature coréenne classique, on ne peut pas se limiter aux œuvres écrites en coréen. Une autre conséquence a été que tout ce qui ne répondait pas aux canons de l'esthétique chinoise ni à la morale d'abord du bouddhisme, ensuite du confucianisme, a été rejeté ou, dans le meilleur des cas, adapté à ces orthodoxies successives. C'est pourquoi bon nombre d'œuvres indigènes, à commencer par ce Chant de la Tortue, n'ont été notées que tardivement et bien souvent après maints remaniements et édulcorations. Au vrai, l'origine de la poésie coréenne ancienne se perd dans la nuit des temps et se signale par son caractère essentiellement magico-religieux. Il ne reste pratiquement rien de cette période initiale et il faut sauter plusieurs siècles avant de rencontrer un nouveau genre de poésies anciennes, les hyangga (chansons du terroir), également conservées dans les Récits de l'époque des Trois Royaumes  de 1279. En Corée, comme au Japon, on a autrefois opposé à la poésie « noble », en chinois classique, la poésie indigène, qualifiée de « chansons » (en coréen norae), née dans ce qui n'était, même aux yeux des Coréens, qu'une province éloignée de la Chine, mère des arts. Là aussi, les guerres, les destructions et surtout la censure de l'orthodoxie ont fait leur œuvre : il nous reste en tout et pour tout 25 hyangga, dont 14, écrites entre 579 et 886, datent de l'ancien royaume de Silla, tandis que les 11 autres, œuvres du bonze Kyunyo, ont été composées un siècle plus tard. Ces hyangga représentent les premières œuvres écrites directement en coréen, à l'aide d'un système d'écriture, appelé idu, à base de caractères chinois utilisés tantôt pour leur valeur phonétique, tantôt pour leur valeur sémantique. Les hyangga qui nous sont parvenues forment un ensemble plutôt hétéroclite de chansons de 4, 8 et 10 vers, où de courtes comptines telles que la Chanson de Mattung (« La princesse Sonhwa/ A un amour secret/ Celui qui s'appelle Mattung/ Elle le retrouve toutes les nuits en cachette ») voisinent avec des œuvres d'une inspiration plus élevée, d'origine bouddhiste ou confucianiste, comme la Prière à Amitabha (« Ô Lune/ Va jusqu'en Occident/ Prie Amitabha/ Et dis-lui/ Qu'il y a ici quelqu'un/ Qui adore son trône/ Et n'aspire qu'à atteindre la Terre Pure/ Pour prier devant lui les mains jointes/ Les Quarante-Huit Vœux [d'Amitabha] peuvent-ils être exaucés/ Tant que la chair n'a pas été anéantie ? »). Les poèmes de 4 vers sont les plus anciens ; ceux de 10 vers (2 strophes de 4 et une sorte d'épigramme ou d'envoi final de 2 vers) représentent l'évolution ultime du genre ; les poèmes de 8 vers représentent un stade intermédiaire.

Période moyenne

Dans cette période qui correspond à la dynastie de Koryo (918-1392), le genre poétique caractéristique est la changga (chanson longue). 60 titres sont connus, mais 20 textes seulement nous sont parvenus, dont la plupart sont des notations tardives ou des « adaptations » en coréen d'une première notation en chinois classique. Dans la forme la plus répandue, chaque vers se compose de 3 groupes de syllabes, chaque groupe comportant 3 ou 4 syllabes. Le « vers » , basé sur le groupe, et le groupe, calculé en fonction du nombre de syllabes, constituent le fondement de la métrique coréenne. Par comparaison aux hyangga, les thèmes d'inspiration des changga sont plus austères et plus philosophiques, ainsi la Chanson de P'yongyang, Ode aux quatre saisons, le Chant des vertes montagnes. Le kyonggui ch'e ka (chanson de style kyonggui) est une variété de changga en vogue dans les milieux littéraires de l'époque.

Période moderne

Elle couvre la dynastie des Yi (1392-1910). C'est au cours de cette époque que s'affirme un genre apparu à la fin de la dynastie précédente et qui est considéré comme la forme la plus apte à exprimer la sensibilité coréenne classique, tant parmi le peuple qu'au sein de l'élite cultivée : c'est le sijo (« air populaire »). Dans sa forme de base, le sijo comporte 3 vers de trois groupes de syllabes, le nombre de syllabes étant réparti de la façon suivante : 3-4-3/ 3-4-3/ 3-5-4. Les deux premiers vers exposent le thème, le troisième apporte la conclusion. Parmi les sijo fameux on trouve une œuvre de l'amiral Yi Sun-sin, héros de la lutte antijaponaise (« Une nuit où la lune brillait sur l'île de Hansan/ Seul sur une tour de guet/ L'épée au côté, en proie à l'angoisse/ Venu d'on ne sait où l'appel d'un sifflet me déchire les entrailles »). La kisaeng (geisha coréenne) et poétesse Hwang Chin-i a laissé aussi des sijo célèbres (« Je coupe en deux la longue nuit de novembre/ Glisse une moitié sous la couverture printanière/ Quand il viendra, je la déroulerai pouce après pouce, pour rendre la nuit plus longue »). Les sijo, comme beaucoup d'œuvres de la dynastie Yi, sont écrits en coréen car, en 1446, le roi Sejong créa un alphabet national, le hangul. Le sijo toutefois n'offrait au sentiment poétique qu'un moule exigu et, malgré quelques variantes, assez rigide. C'est pour pouvoir exprimer leurs sentiments de façon plus libre et sans limitation du nombre des vers que les Coréens créèrent le kasa, qui est en quelque sorte une modification et une adaptation aux goûts du jour des longs poèmes de Koryo. La seule restriction imposée par ce genre était que chaque vers devait contenir deux groupes de quatre syllabes. En revanche, le nombre de vers n'était pas limité et certains kasa en comptent plusieurs milliers. D'abord lyriques et presque exclusivement consacrés à la description des beautés de la nature, ils devinrent par la suite plus réalistes, surtout avec les invasions japonaise et mandchoue et avec la désintégration du pouvoir, quand ces œuvres se mettent à exalter le nationalisme ou à stigmatiser la corruption. Ces sentiments de révolte donnèrent également naissance, à la fin du xviie s., à un genre nouveau de long poème populaire appelé chapka. Quant aux kasa, ils produisirent le ch'anggok, sorte d'opéra qui combine éléments rythmiques et prose narrative chantée. Ce panorama de la poésie serait incomplet sans les hymnes à la gloire des premiers souverains Yi : Hymnes aux dragons volants et Chant des reflets de la lune sur les mille rivières, œuvres qui servirent également de banc d'essai à la nouvelle écriture coréenne (hangul).

Le roman

Période ancienne

Comme pour la poésie, les premiers témoignages, écrits en chinois classique, se trouvent dans des textes beaucoup plus tardifs tels que les Récits de l'époque des Trois Royaumes (1279) ou la Chronique des Trois Royaumes (1145). À cette époque, on ne peut pas encore parler de roman. Les spécimens de prose apparemment les plus anciens sont les légendes et les mythes concernant les anciens royaumes de Corée, tels que celui de Tangun, le Grand Ancêtre, père des Coréens, ou de Kija, le Civilisateur, porteur de la culture chinoise. Toutefois, on trouve dans ces mêmes chroniques, sous l'appellation de chon (biographie), de brèves notices consacrées à des personnages célèbres et dont beaucoup frappent par le caractère vivant de leurs descriptions et l'art du récit. C'est le cas des « vies » de Pak Chesang (vers 426), modèle du vassal fidèle jusqu'à la mort, ou des généraux Ulchi Mundok (vers 612) et Kim Yu-sin (595-673).

Période moyenne

L'évolution vers le roman se poursuit à l'époque de Koryo avec les P'aegwan sosol (récits des fonctionnaires appelés p'aegwan). Ces p'aegwan étaient chargés par la cour de recueillir les anecdotes et les histoires étranges circulant dans le peuple. Ce genre subit aussi l'influence des littératures chinoises Tang puis Yuan. Le premier exemple de ces recueils d'histoires est l'Histoire du nuage blanc de Yi Kyu-bo (1168-1241). On trouve aussi le Recueil des œuvres de Yi Sang-guk (1251) par Yi Kyu-bo, le Recueil divertissant (1254) par Ch'oe Cha (1188-1260) et le Recueil pour chasser l'ennui par Yi Il-lo (1152-1120), compilé en 1210 ou 1214. On note également toute une série d'histoires dont le personnage principal est la personnification d'un objet : ainsi Histoire du vin (1170) par Im Ch'un, à qui l'on doit aussi l'Histoire d'une pièce de monnaie ; l'Histoire de Maître la Levure par Yi Kyu-bo ; l'Histoire de la femme en bambou par Yi Kok (1298-1351) ; l'Histoire du papier par Yi Ch'om (1345-1405). Ces objets personnifiés permettaient de critiquer indirectement les maux de l'époque et les travers des contemporains.

Période moderne

Il faut attendre la dynastie des Yi pour trouver le premier vrai roman : Nouvelles Histoires de la tortue d'or, écrit par Kim Si-sup (1435-1493). Cette œuvre composée de cinq récits diffère sur deux points importants des précédentes : l'action se situe en Corée alors qu'auparavant les histoires se passaient invariablement en Chine avec des personnages chinois ; la fin est tragique, contrairement aux récits antérieurs où, sous l'influence de la morale confucianiste, il faut toujours un heureux dénouement. Kumo shinhwa a cependant été écrit en chinois classique. Son auteur a été le dernier écrivain coréen à oser écrire que l'amour à lui seul constituait un motif suffisant pour se marier. La deuxième étape du roman coréen est marquée par l'Histoire de Hong Kiltong, de Ho Kyun (1569-1618), premier récit écrit en hangul. Cette œuvre, très influencée par le roman Ming, à commencer par Au bord de l'eau, donne une place importante à la critique sociale. Avec les œuvres de Kim Man-jung (1637-1692), le Rêve des neuf nuages et le Récit du voyage vers le Sud de Dame Sa, le roman coréen classique est à son zénith. Le premier de ces textes, fortement influencé par le bouddhisme, est construit autour de l'idée que la vie n'est qu'un rêve ; le second dissimule derrière la critique du système des concubines une attaque contre le roi Sukchong (r. 1674-1720), qui bannit la reine pour faire plaisir à une favorite. Mais tout le monde s'accorde pour voir dans l'Histoire de Ch'unhyang, écrite au xviiie s. par un auteur inconnu, le chef-d'œuvre du roman coréen classique : l'œuvre montre comment l'amour entre Yi Mongyong, un jeune aristocrate, et Ch'unhyang, fille d'une kisaeng, parvient à surmonter les barrières sociales et à triompher de la corruption des fonctionnaires. Parmi les autres variantes du roman coréen, il faut citer le roman satirique et humoristique, représenté par Pak Chi-won (1737-1805) qui, dans les Fonctionnaires, critique l'hypocrisie de la société confucianiste, ainsi que le roman historique et patriotique inspiré par les deux invasions de la Corée et dont le plus célèbre est la Chronique de l'année Imjin (1592, date de l'invasion japonaise), dont l'auteur est inconnu. Très intéressants non seulement du point de vue de l'histoire mais aussi par la langue, les romans de cour relatent les intrigues du palais : le Kyech'uk ilgi, qui évoque la période allant de 1609 à 1623, l'Histoire de la reine Inhyon et, surtout, la Chronique des jours de chagrin, écrite par la princesse Hyegyong (1735-1815) et consacrée à la vie tragique de son mari, le prince Sado, psychopathe que le roi son père fit étouffer dans un coffre en 1762. Signalons enfin l'existence de romans policiers (kong'an sosol) et d'histoires de fantômes telles que l'anonyme Kim Won chon (Histoire de Kim Won, xviiie s.). À partir du xixe s., le roman coréen classique entre dans sa période de déclin.

Le théâtre

Le théâtre en Corée n'a jamais connu le développement qu'on lui connaît en Chine ou au Japon. On trouve des germes de représentations théâtrales dans les fêtes qui accompagnaient les actions de grâce aux divinités antiques mais, de bonne heure, l'élite des lettrés s'opposa farouchement à ce genre de spectacle : le théâtre traditionnel en Corée est donc essentiellement folklorique et populaire. Théâtre de masques et de marionnettes, il critique crûment la classe dirigeante ainsi que le clergé bouddhiste. Les formes les plus connues de ce théâtre sont la danse de masques de sandae, celle de Haeso dans le nord de la Corée et celle de Hahoe dans le sud. La même critique sociale se retrouve dans le théâtre de marionnettes, kkoktukaksi. Ch'unhyang chon et d'autres romans célèbres sont issus d'un genre théâtral populaire, le p'ansori, ou « récit chanté ». C'est un spectacle à deux personnages : le kwangdae, sorte de trouvère, et un musicien qui l'accompagne au tambour et l'encourage de la voix.

La littérature coréenne moderne (avant 1945)

Caractéristiques générales

La littérature coréenne moderne voit le jour à l'une des périodes les plus sombres de l'histoire du pays. Sous les coups combinés de la pénétration économique des puissances étrangères et des luttes de factions, la monarchie et la société traditionnelle sont en pleine décomposition ; la menace de colonisation japonaise se précise. L'apparition d'un « nouveau roman » (sin sosol) et d'une « poésie nouvelle » (sinsi) représente l'effort désespéré des intellectuels coréens pour sauvegarder non seulement leur langue et leur culture mais aussi le peuple et la nation. Dans une première période (1880-1905), la Corée découvre la littérature occidentale. Vient ensuite l'époque des pionniers : Yi In-jik (1862-1916), qui publie en 1906 le premier roman moderne, Larmes de sang ; Ch'oe Nam son (1890-1957), fondateur en 1908 de la première revue littéraire Sonyon (les Jeunes), où il publie les premiers poèmes modernes ; Yi Kwang-su, qui donne à la jeune prose coréenne ses premières œuvres de qualité. À ce stade, il s'agit surtout d'une « littérature du sermon » qui veut propager les idées occidentales et inciter les lecteurs à se rallier à la modernisation. Au cours de la troisième période (1919-1922), de jeunes auteurs regroupés autour de la revue Ch'angjo (Création) essaient de donner à la littérature naissante une véritable qualité esthétique et y parviennent, comme le romancier Kim Tong-in (1900-1951). À cette date, la Corée a déjà été annexée par le Japon et les jeunes auteurs fuient leur réalité de colonisés, dans le symbolisme, le romantisme, l'imitation du style « décadent » que l'on trouve dans leurs productions, essentiellement poétiques, qui paraissent dans les revues P'yeho (Ruines), fondée en 1920, et Paekcho (Marée blanche), créée en 1922. En réaction contre cette attitude défaitiste, d'autres écrivains, rassemblés autour de la revue Sin Kyonghyang (Tendances nouvelles), fondée en 1923, vont employer comme arme le naturalisme : ainsi Yom Sang-sop (1897-1963), Hyon Chin-gon (1900-1943) et Ch'oe So-hae (1901-1933). Ce mouvement se poursuivra jusqu'à la fin des années 1920 avec la « littérature prolétarienne », mais l'impossibilité d'agir et la poigne de fer de l'administration japonaise détournent les écrivains des idéologies de l'époque. C'est le retour à la Corée de toujours, à la beauté immuable de ses paysages, au petit peuple des campagnes, symbole de ses vertus et de ses traditions, avec Kim Yu-jong (1908-1937), Pak Tae-won (né en 1909), Kim Tong-ni (né en 1911). Inmun P'yongnon (Critique de la culture), créée en 1938, et Munjang (Littérature), fondée en 1939, seront les deux dernières revues à voir le jour. La guerre du Pacifique va faire entrer la littérature coréenne dans la nuit. Les Japonais interdisent les publications en langue coréenne, obligent les Coréens à prendre des noms japonais ; parler coréen en public est puni de prison.

Les auteurs

Quelques grands noms se détachent de la masse des auteurs modernes. Il s'agit d'écrivains dont les œuvres sont imprégnées de la chaleur de l'humanisme coréen, mis en valeur par la maîtrise de la langue, qualités qui ne sont pas si courantes dans une littérature encore jeune, à la langue encore imparfaitement unifiée et où, bien souvent, les idées d'avant-garde tiennent lieu de talent littéraire. Chong Chi-yong (né en 1903) a été d'emblée plus loin que le mouvement de la littérature prolétarienne dans lequel il a fait ses débuts : il s'est révélé un maître de la langue, dont il sait mettre en valeur la beauté rythmique, mélodique, visuelle. Kim Ki-rin (né en 1909) restera en tant que maître de l'image, alchimiste du verbe qui a donné une forme poétique aux idées les plus neuves. Le bonze Han Yong-un (1879-1944) a écrit de très beaux poèmes en prenant pour thème sa vie intérieure et son patriotisme, qu'il se voit contraint de cacher derrière des allégories : tous les Coréens connaissent le Silence de la bien-aimée, qui représente les deux pôles de son inspiration, la Patrie et le Bouddha. Quant à Kim So-wol (1903-1934), il incarne, à lui seul, la poésie coréenne. Chaque vers, chaque mot, chaque sentiment, chaque paysage évoque la Corée dans ce qu'elle a de plus profond et de plus spécifique ; il fait partie de ces poètes qui désespèrent les traducteurs : sa langue est à la fois si simple, si naturelle et si riche en nuances, en connotations que toute transposition paraît d'emblée une trahison. Citons enfin Yun Tong-ju (1917-1945), mort dans les prisons japonaises et dont les poèmes furent publiés à titre posthume en 1948.

Si Yi In-jik est le père historique du roman coréen moderne, Yi Kwang-su a été le premier à produire des œuvres littéraires dignes de ce nom. Avec lui (la Terre, 1919), la nouvelle, que les Coréens appellent « roman court », s'impose comme le genre prépondérant. On doit aussi à Kim Tong-in des nouvelles d'une élégance toute classique comme les Patates (1925), où un fait divers sert de prétexte à une critique glacée de la décomposition de la Corée traditionnelle. Yi Sang (1912-1939) s'insère dans le mouvement moderniste et intellectualiste des années 1930, et sa nouvelle Nalgae (les Ailes), écrite en 1936, est une des plus célèbres de la littérature moderne. Après un début dans la littérature prolétarienne, Yi Hyo-sok (1907-1942) est vite revenu à la Corée profonde : dans une prose lyrique, il chante la beauté des campagnes et décrit la vie des petites gens (Quand le sarrasin refleurit, 1936).

Face à ces réussites, le théâtre moderne n'occupe qu'une place marginale. Kim U-jin, Yu Ch'i-jin, Ch'ae Man-sik (1904-1950) ou Yi Kwang-nae (né en 1908) ne parviennent pas à sortir le théâtre coréen de sa position de genre mineur.

La littérature nord-coréenne

Kim Il-song, leader de la Corée du Nord, a écrit : « Notre littérature et nos arts sont devenus vraiment une littérature et des arts du Parti, de la Révolution et du Peuple, ils constituent un puissant moyen pour l'éducation communiste des travailleurs. » C'est dans cette perspective qu'il faut voir la littérature nord-coréenne, littérature difficile d'accès, non seulement parce qu'elle obéit à la pensée du Djoutché (Autonomie), doctrine créée par Kim, mais aussi parce qu'il n'est pas facile d'avoir accès aux œuvres et de se faire une idée de l'activité littéraire de ce pays.

La littérature nord-coréenne a connu plusieurs grandes périodes. De 1945 à 1950 : édification du socialisme dans la Corée du Nord libérée ; de 1950 à 1953 : guerre de Corée ; de 1950 à 1960 : reconstruction du socialisme ; puis, après une campagne de productivité dite du Ch'ollima (le Cheval qui galope pendant mille li), elle s'est plongée dans la mise en pratique du Djoutché. Ses grands thèmes sont les louanges à la gloire du président Kim, la guérilla antijaponaise, les faits d'armes de la guerre de Corée, la lutte des ouvriers et paysans pour augmenter la production et réaliser les objectifs du Ch'ollima puis du Djoutché, et enfin « la lutte du peuple sud-coréen pour se libérer de la dictature ». Parmi les principaux romanciers, on trouve Yi Ki-yong avec Création (1946) et la Terre (1947), consacrés à la réforme agraire ; il a aussi écrit sur la guérilla antijaponaise (Tumangang, 1954). Han Solya est l'auteur des Gens du village (1946), sur la lutte pour la production, et de Taedonggang, sur la guerre de Corée. Le roman de Ch'on Se-bong Nouveau Printemps au village de Sokkoul (1959), consacré à la productivité, a connu lui aussi beaucoup de succès. Le Phare (1975) de Li Puk-ryong vante, lui, les vertus de Kim Il-song. La mort de ce dernier (8 juillet 1996) et son remplacement, à la tête de l'État, par son fils Kim Joung-il n'ont pas fait évoluer la situation. La littérature doit rester un moyen efficace pour stimuler les travailleurs afin qu'ils accomplissent les tâches qui leur sont assignées. Tous ces thèmes se retrouvent chez Cho Ki-ch'on, le poète le plus représentatif.

La littérature sud-coréenne

Le 15 août 1945, date de la libération du joug japonais, est le point de départ de la littérature sud-coréenne. Dans sa phase initiale, cette littérature est caractérisée par le retour à la liberté, liberté d'opinion mais aussi liberté d'expression car, pour la première fois, les auteurs peuvent écrire en coréen sans contraintes. Cela ne va pas sans problèmes car, comme l'a écrit un critique, la plupart des écrivains « se trouvaient dans la situation difficile de devoir penser en japonais et écrire en coréen ». Pour ce qui est du contenu des œuvres, on assiste à un foisonnement chaotique d'idées et de tendances. Mais l'euphorie de la liberté retrouvée fut de brève durée. La division du territoire, l'opposition violente des forces de gauche et de droite au sein de la République et surtout la guerre de Corée (1950-1953) produisirent une « génération des blessés », période durant laquelle les écrivains plongent dans le désespoir et l'anéantissement. Cet état de prostration se poursuivra jusqu'au mouvement des étudiants du 19 avril 1960, suivi du coup d'État militaire du 16 mai 1961. On voit alors se lever une nouvelle génération qui n'a aucun lien avec le passé et qui a reçu une éducation entièrement coréenne. Elle apporte avec elle des thèmes nouveaux : recherche d'une identité et d'une indépendance culturelles, problèmes posés par la modernisation du pays.

Les poètes du « Cerf bleu » (Ch'ong Nok), comme Pak Tu-jin (né en 1916), Pak Mok-wol (1917-1988) et Cho Chi-hun (1920-1968), assurent la transition avec la dernière période « japonaise » par des œuvres où dominent le sentiment de la nature, le calme, la douceur et la passivité d'un monde subjectif. Une réaction à cette tendance se manifeste avec le groupe des « modernistes » : Pak In-hwan (1923-1956), Kim Kyong-nin (né en 1918) et Kim Kyudong (né en 1925) expriment l'aspect négatif de la civilisation moderne, surtout dans le milieu urbain, et leur contribution la plus importante a été le renouvellement de la langue poétique par le recours au langage de la conversation courante. So Chong-ju (né en 1915) est le représentant le plus typique de la « génération des blessés » : après une période d'un réalisme violent, il s'enferme dans un monde abstrait, idéal et utopique, le royaume ancien de Silla, qui n'a rien à voir avec la vérité historique. Ce monde introspectif et passif se retrouve chez Kim Ch'un-su (né en 1922), tandis que Kim Su-yong (1921-1968) est celui qui exprime le mieux les conflits de la génération des années 1960. Le poète sud-coréen le plus connu à l'étranger est sans conteste Kim Chi-ha (né en 1941) : en 1970, il publia O Chok (les Cinq Bandits), long poème qui dénonce la corruption des classes dirigeantes ; la propagande nord-coréenne diffusa largement ce texte, sans autorisation préalable, et il tomba alors sous le coup des lois anticommunistes.

Les mêmes courants, les mêmes tendances se retrouvent chez les romanciers. Les conséquences désastreuses de la guerre de Corée, les bouleversements économiques, le drame d'une urbanisation trop rapide ont donné naissance dans le roman à tout un courant « noir » avec Shorty Kim (1957) de Song Pyong-su (né en 1932), Kapitan Lee (1958) de Chon Kwang-yong (né en 1919), Une balle perdue (1959) de Yi Pom-son (né en 1920), le Sang (1972) et la Route de Sanp'o (1973) de Hwang-Sok-yong (né en 1943), Un million pour mourir (1977) de Kim Chin-ok (né en 1927). Mais, comme par le passé, la dure réalité a produit un contre-courant représenté par le refuge dans la beauté éternelle de la Nature, la grande consolatrice : Hwang Sun-won (1915-2000) est le meilleur représentant de cette tendance, avec l'Averse (1952) et les Grues (1953), évocations poétiques de la campagne coréenne, source de tendresse ou de réconciliation. Le courant le plus neuf du roman sud-coréen est celui qui, né dans les années 1960, évoque derrière des histoires en apparence banales, la chape de plomb d'une insularité autant culturelle que politique : Séoul, Hiver 1964, Récit d'un voyage à Moujin (1965), À la façon des années soixante (1986) de Kim Sung-ok (né en 1941), Liberté sous clef (1972) de Chong Yong-hui (né en 1936), le Fauconnier (1968), Ce paradis qui est le vôtre (1976), le Prophète (1977), de Yi Ch'ong-jun (né en 1939). Si la guerre de Corée marque encore beaucoup d'œuvres : l'Aurore (1978), la Maison dans la cour du bas (1989) de Kim Won-il (né en 1942) par exemple, le « miracle économique » coréen et ses conséquences souvent dramatiques pour une partie de la population est un thème que l'on rencontre chez Yi Mun-yol, né en 1948 (Notre héros défiguré,1987), Cho Se-hui, né en 1942 (la Petite Balle lancée par un nain, 1978) ou Kim Sung-ok (la Surproductivité, 1987). Alors que la nouvelle est la forme littéraire la plus répandue, on voit aussi apparaître de longues sagas comme la Terre (1993) de Pak Kyong-ni (née en 1927), les Monts T'aebaek (1986) ou Arirang (1994) de Cho Chong-nae (né en 1943).

Le théâtre reste, pour sa part, très en retrait de la prose ou de la poésie, malgré les efforts de dramaturges comme Ch'a Pom-sok, Yi Kun-sam, O T'ae-sok, No Kyong-sik.