Bretagne

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

De tout temps, la Bretagne a été plurilingue. On y a parlé latin avec le vieux celtique, le roman avec le vieux breton ; on y parle aujourd'hui français, breton et parfois gallo.

Des premiers souffles de l'« awen » – ainsi appelle-t-on, en breton, l'inspiration poétique –, nous ne pouvons malheureusement avoir que des idées très vagues, pour l'excellente raison que la littérature était purement orale. Non que les Celtes ignorassent l'écriture, mais les druides interdisaient d'y recourir pour transmettre la connaissance. Tout l'enseignement métaphysique, mythologique, philosophique et scientifique était rassemblé en poèmes de plusieurs milliers de vers que les étudiants devaient conserver dans leur mémoire. En outre, la société celtique possédait des bardes, poètes sacrés dont le rôle était de célébrer les hauts faits de leur clan et du roi auquel ils étaient attachés, de chanter l'héroïsme des guerriers morts au combat et de soutenir le moral des armées en improvisant des poèmes qu'ils chantaient en s'accompagnant sur la harpe.

Les œuvres de l'époque en langue bretonne ne nous ont pas été conservées. Il est pourtant à peu près certain que des poèmes et des récits traditionnels avaient été mis par écrit bien auparavant : dans les couvents, les moines consignaient sur le parchemin les florilèges nationaux. Ils l'ont fait en Irlande et au pays de Galles, ils l'ont certainement fait en Bretagne. Malheureusement, en Bretagne, les abbayes ont été ravagées par les Normands, et les rares manuscrits qui ont pu être sauvés ou reconstitués ont été détruits pendant les guerres de la Ligue ou sous la Révolution.

L'éclipse

Du xiie au xive s., la langue bretonne a progressivement disparu de la zone intermédiaire où elle coexistait avec le français. Quelques textes en moyen breton, des xve et xvie s., ont été conservés : essentiellement des pièces de théâtre d'inspiration religieuse, mais aussi deux longs poèmes sur la destinée humaine : Melezour ar Marro (le Miroir de la mort, 1519) de Iehan an Archer Coz et Buhez Mabden (la Vie humaine, 1530). De la poésie lyrique, nous ne savons rien, ce qui ne signifie pas qu'il n'en ait pas existé. Marie de France ne disait-elle pas que « Bretagne est poésie ». Au xve s., la Bretagne, rattachée à la France, n'a plus de vie intellectuelle propre, et il faut attendre la fin du règne de Louis XIV pour qu'elle sorte de sa léthargie. Avec la seconde moitié du xviie s. commence la période du breton moderne, marquée à l'origine par les travaux de grammairiens et le philologues, tel le P. Maunoir, soucieux d'en rationaliser l'orthographe pour en faciliter l'étude.

La renaissance

Mais la vraie renaissance bretonne date du romantisme. Elle est préparée par l'œuvre du grammairien Jean-François Le Gonidec, dont la Grammaire celto-bretonne paraît en 1807, suivie quatorze ans plus tard par son Dictionnaire de la langue celto-bretonne. La poésie de tradition orale n'avait cependant pas cessé d'exister. Au xixe s., tout comme au Moyen Âge, il y a des bardes ambulants qui vont de ferme en ferme chanter à la veillée, contre le gîte et le couvert, des gwerzioù, c'est-à-dire des complaintes et chants épiques, et des sonioù, chansons d'amour et chansons humoristiques. Il y a dans ce florilège populaire du meilleur et du pire, des poèmes très anciens à côté de compositions nouvelles. Autres vestiges de la tradition orale, les contes mettent en scène des personnages comme l'Enchanteur Merlin, les fées Viviane et Morgane, le roi Arthur, le géant Gaor, le cruel roi Conomor (le Conchobar de la tradition irlandaise), la princesse débauchée Ahès ou Dahud, les nains malicieux qu'on appelle korrigans ou kornandons, et ce roi Marc que tout le monde connaît par le roman de Tristan et Iseult, mais qui, dans les légendes bretonnes, joue bien d'autres rôles.

Le xxe s. est marqué par un second réveil de la littérature en langue bretonne. Deux revues y ont joué un rôle essentiel : Dihunamb (fondée en 1905) pour le dialecte vannetais et Gwalarn pour la langue unifiée de Cornouaille, Léon et Trégor. Avant la Seconde Guerre mondiale, trois noms dominent une littérature florissante : le poète Jean-Pierre Calloc'h, dit « Bleimor », le dramaturge Tanguy Malmanche et Jakez Riou, au talent multiple, dont le chef-d'œuvre est un recueil de nouvelles, Geotenn ar Werc'hez (l'Herbe à la Vierge). Ce brillant mouvement littéraire avait peu d'impact populaire. Mais, par réaction, la jeunesse instruite, consciente d'avoir été frustrée de son patrimoine, se met à la réapprendre. Le breton devient la langue des élites, et cette situation nouvelle favorise l'essor littéraire.