Aleksandr Aleksandrovitch Blok

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète russe (Saint-Pétersbourg 1880 – id. 1921).

Issu d'une famille d'intellectuels, il est élevé, après la séparation de ses parents, par sa mère, avec laquelle il noue une tendre intimité. Représentant de la jeune génération symboliste, dont il partage la vision platonicienne du monde comme reflet, la conception de la poésie comme musique, Blok s'inscrit aussi, par sa personnalité et les thèmes qu'il aborde, dans la lignée romantique, celle d'un Lermontov en particulier. L'essentiel de son œuvre poétique (il commence à publier en 1903, dans la revue de Merejkovski, la Voie nouvelle) est regroupé dans une trilogie chronologique qui dessine comme un journal de la vie intérieure. Les Vers de la Belle Dame, recueil de 1904, donnent le ton du premier volume (1898-1904). La « Belle Dame », c'est l'incarnation de l'Éternelle sagesse, la Sophia de Vladimir Soloviov. Liouba Mendeleïeva, fille du célèbre chimiste que Blok épouse en 1903, est l'hypostase terrestre de cette Vierge des portes célestes. Le second volume (1904-1908) est marqué par la désillusion, la retombée dans un monde lourd de catastrophes, où railleries et dissonances traduisent la platitude de la vie. L'ironie domine et la Belle Dame devient « l'inconnue », figure récurrente (souvent une prostituée) de cette période. Le drame qu'il compose à la même époque, Baraque de foire (1906), autour de la figure de Pierrot, représente lui aussi une sorte de parodie de l'idéal perdu. Après cette période de désespoir, le poète se tourne vers la Russie, qui apparaît dans le troisième volume (1909-1916) comme une nouvelle incarnation de la Belle Dame. Un poème historique, « Sur le champ des bécasses » (1909, sur la victoire remportée en 1380 contre l'envahisseur mongol), inaugure ce thème. Pour Blok, la Russie, c'est le peuple, porteur d'une force élémentaire. Ses poèmes d'inspiration néo-slavophiles comportent fréquemment un élément messianique, prophétique, aux accents nietzschéens : la civilisation ne peut que trembler devant cette force primaire aspirant à prendre sur elle sa revanche (voir le cycle Représailles, 1911-1919). Cet aspect est particulièrement développé dans les derniers grands cycles poétiques de Blok, où le motif apocalyptique s'enrichit de l'expérience révolutionnaire. Dans les Scythes (1918), il proclame : Oui, nous sommes des Scythes, barbares de l'Asie, en annonçant la mort de la vieille Europe. Les Douze montrent des gardes rouges qui, au cours de l'hiver 1917-1918, patrouillent la nuit dans les rues de Petrograd, molestent les bourgeois, tuent, pillent et poursuivent les filles. C'est une sorte d'épopée, un chant de haine et d'espoir sur l'émergence d'un monde nouveau. L'écriture est tout en dissonances, en ruptures de rythmes, et mêle, dans un réalisme cru, l'argot des soldats et les chants d'usine avec des vers d'une harmonie toute classique. L'apparition du Christ, à la fin du poème, est révélatrice : la Révolution est une nouvelle Révélation. Rapidement déçu par la Révolution, dans laquelle il cesse très vite de voir cet élément organique qui l'attirait tant, il meurt à la poésie trois ans avant sa mort corporelle – de syphilis vraisemblablement – en 1921. Il a laissé de nombreux articles, dont la lecture éclaire son œuvre poétique, comme De l'état actuel du symbolisme (1910) ou la Russie et l'intelligentsia (1907-1918). Son œuvre dramatique, moins connue, est remarquable par son lyrisme plus sans doute que par ses qualités scéniques. Sa pièce la plus célèbre, la Rose et la croix (1912-1913), se prête difficilement à la mise en scène, mais la représentation d'une France médiévale, sur fond de croisade albigeoise, avec ses héros qui sont une jeune femme séquestrée, un chevalier et un ménestrel (figure du poète) qui chante la « joie-souffrance », frappe encore l'imagination.