Belgique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Littérature de langue française

Les origines

La littérature de langue française étend son réseau d'auteurs et d'œuvres à toute la Belgique et n'est donc pas limitée à la région où le français est la langue naturelle. La Flandre n'a d'ailleurs pas cessé de produire des écrivains de langue française, dont quelques-uns des plus importants de Belgique, tel Maeterlinck. Cette situation remonte au Moyen Âge, où la cour des comtes de Flandre et celle des ducs de Brabant étaient par moments de véritables foyers littéraires français.

Du xiiie au xvie s., la production des provinces formant aujourd'hui la Belgique ne saurait se distinguer de la littérature en ancien français. Beaucoup d'écrivains (l'auteur d'Aucassin et Nicolette, celui de la farce le Garçon et l'Aveugle, le conteur Gautier le Leu, le chroniqueur Froissart) appartiennent au Hainaut, sans qu'on puisse dire s'il s'agit du Hainaut belge ou français, tant cette distinction est alors anachronique. Au xiiie s., la littérature religieuse ou morale est la plus abondante, surtout dans le pays de Liège, principauté ecclésiastique. La littérature épique, elle, n'est représentée que par des refontes tardives, comme celle d'Adenet le Roi, plus roman que chanson de geste.

C'est la littérature historique qui connaît le développement le plus remarquable : au xive s., à Liège, avec les chroniqueurs Jacques de Hemricourt, Jean d'Outremeuse et, surtout, Jean le Bel, le maître de Froissart ; au xve s., dans le milieu des ducs de Bourgogne, avec les mémorialistes d'origine flamande Georges Chastellain et Philippe de Commynes. La brillante cour des princes bourguignons régnant alors sur la plupart des provinces belges est un centre de rayonnement artistique et littéraire. La vie de cour se prolongera, à l'époque suivante, à Malines, autour de la gouvernante Marguerite d'Autriche, qui protège Jean Lemaire de Belges, dernier grand rhétoriqueur, puis à Liège, avec le prince-évêque Ernest de Bavière, entouré de savants, humanistes et poètes imitateurs de la Pléiade. Mais le xvie s. des luttes politiques et religieuses voit surtout s'affirmer, parmi le foisonnement des pamphlets, un Marnix de Sainte-Aldegonde, polémiste à la prose vigoureuse nourrie de Rabelais.

Le xviie et le xviiie s. sont tributaires de la France, qui fait triompher son classicisme dans tous les genres : les Pays-Bas du Sud et la principauté de Liège consomment bien plus qu'ils ne produisent, état de choses voué à durer. Du siècle des Lumières on retiendra le nom du prince Charles-Joseph de Ligne, brillant polygraphe qui, se disant « Autrichien en France, Français en Autriche, l'un ou l'autre en Russie », représente, au temps de Voltaire, de Frédéric II et de la Grande Catherine, l'idéal cosmopolite européen. En 1772, l'impératrice Marie-Thérèse, voulant favoriser la vie intellectuelle dans les Pays-Bas autrichiens, fonde à Bruxelles une Académie des sciences, des arts et des lettres, qui existe encore.

L'indépendance

En 1830, le jeune royaume de Belgique naît en pleine effervescence romantique et ses écrivains se mettent tout naturellement à l'écoute des grandes voix du mouvement (Hugo, Lamartine, Byron, Scott, Goethe, Heine). La constitution d'une littérature « nationale » correspond d'ailleurs au vœu des dirigeants politiques, qui y voient un facteur de cohésion, une affirmation d'existence de cette entité belge reconnue du bout des lèvres par l'Europe d'alors. Le passé, désormais national, est la principale source d'inspiration d'innombrables romans et drames historiques avec H. Moke, J. de Saint-Genois, P. Lesbroussart, J.-B. Coomans, F. Bogaert.

En affinant les techniques du récit, le réalisme avait mis au point une forme romanesque particulièrement apte à véhiculer l'idéologie bourgeoise : ainsi des romans de L. Hymans, É. Greyson, É. Leclercq, C. Gravière. Sous prétexte d'« observation de mœurs », ces romanciers se muent en sévères moralisateurs et en censeurs s'ils se mêlent de critique. Cette période voit pourtant naître une œuvre majeure, la Légende d'Uylenspiegel (1867), épopée populaire de Charles De Coster : truculence verbale et liberté de ton désarçonnent la critique, qui en méconnaît la véritable dimension.

Du bilan poétique des cinquante premières années du royaume émergent quelques personnalités : T. Weustenraad célèbre les effets matériels et sociaux de l'industrie ; E. Dubois, poète maudit, rappelle souvent Musset ; les recherches de A. Van Hasselt sur la musicalité du vers attireront l'attention de Verlaine. Et le pessimisme mystique de O. Pirmez annonce celui des décadents et de symbolistes.

L'activité artistique s'accélère dans les années 1870 : revues et journaux littéraires se multiplient, et les éditeurs belges se chargent d'imprimer un assez grand nombre de naturalistes français. La nouvelle génération défend, pêle-mêle, Courbet, Wagner, Baudelaire, Flaubert, Gautier et Zola. À sa tête, Camille Lemonnier inaugure un réalisme d'observation qui mêle envolée lyrique, écriture artiste et crudité naturaliste. Georges Eekhoud s'inscrit dans la foulée de Lemonnier, mais il est fasciné davantage par les marginaux de la société industrialisée.

Le « mouvement de 1880 »

L'éclosion concomitante de plusieurs revues littéraires marque le réveil des lettres belges. C'est d'abord la Jeune Belgique, fondée en 1881 par Max Waller. Elle regroupe les écrivains voulant libérer l'art de toute préoccupation morale et sociale,  jouant un rôle capital dans le renouveau littéraire belge des années 1880. Waller, A. Giraud et I. Gilkin s'y réclament du Parnasse pour la forme, mais Baudelaire est leur véritable maître. Également favorable en partie au naturalisme, cette première équipe tente surtout de faire éclore une littérature originale et autonome. Elle publie en 1887 un Parnasse de la Jeune Belgique. Le dernier numéro paraît en 1897. L'esprit de la Jeune Belgique se retrouve alors dans de multiples publications, plus ou moins éphémères : Durandal (1894-1914), la Revue indépendante (1898-1899), le Visage de la vie (1908-1911), le Masque (1910-1914).

La seconde revue-clé est l'Art moderne, fondée la même année par E. Picard et O. Maus. Elle défend la nécessité d'une littérature engagée et authentiquement nationale, Picard rêvant de voir la littérature s'orienter vers l'« âme belge » et l'« art social » ; cela n'empêche pas la revue de s'ouvrir peu à peu à toutes les formes d'expression, réservant même un meilleur accueil au symbolisme que sa consœur, inquiète des libertés prises avec le vers par les tenants de la nouvelle école ; elle prend, dès 1887, grâce à Verhaeren, le parti de Mallarmé. Elle montrera toujours une grande indépendance interne, restant, avec sa consoeur, l'organe le plus important de ce renouveau littéraire.

De son côté, F. Brouez fonde en 1884 la Société Nouvelle, visant à promouvoir en Belgique un « mouvement vers les études sociales » ; cette revue va elle aussi tenir une place de choix dans ces années de renaissance culturelle. Elle cessera de paraître en 1914. Enfin A. Mockel fonde la Wallonie à Liège, en 1886. Cette revue, faisant suite à la Basoche, est d'emblée un bastion du symbolisme ouvert à tous les jeunes poètes : Mallarmé, Verlaine, Gide, Retté, Viélé-Griffin, Bourget, Merrill, Quillard, Verhaeren, Maeterlinck, Rodenbach, Elskamp, Van Lerberghe...

Dans cet incomparable climat d'effervescence littéraire et artistique, un groupe de jeunes Flamands va se distinguer : Georges Rodenbach, nostalgique poète des vies encloses et des villes mortes (Bruges-la-Morte, 1892) ; Émile Verhaeren, qui déploie une puissance lyrique visionnaire dont les images violentes s'inscrivent dans la tradition des Bosch et des Bruegel (les Soirs, 1887 ; les Flambeaux noirs, 1891) ; Maurice Maeterlinck qui, après avoir signé en 1889 l'un des recueils les plus caractéristiques de sa génération (Serres chaudes, 1889), donne au théâtre symboliste droit de cité grâce à sa Princesse Maleine et à Pelléas et Mélisande (1892) ; Max Elskamp, poète de l'« enfantin missel de la Passion selon la vie » qui réinvente une « ville-extase » peuplée d'enfants, d'artisans, de bateaux et de vierges ; Charles Van Lerberghe, dont les Entrevisions (1898) et la Chanson d'Ève (1904) disent la fascination pour un univers voué à l'illusion, mais constituant le seul monde possible pour l'homme.

De l'enracinement au réalisme fantastique

Réalisme et naturalisme français ont suscité à la fin du xixe s. une riche lignée de romanciers et de conteurs régionalistes, flamands et wallons, s'attachant à enraciner la matière romanesque dans leur terroir, tout en interprétant, chacun à sa manière, les mots d'ordre des maîtres français. Si Lemonnier, qui domine le roman jusqu'en 1914, évolue vers un panthéisme franciscain en accord avec le « naturisme » de son époque, si Georges Eekhoud traduit ses déchirements personnels dans Escal-Vigor (1899), c'est la Campine désolée et mystique qui attire Georges Virrès, la Hesbaye qui inspire l'art sobre, voire impersonnel, d'Hubert Krains (le Pain noir, 1904).

Le régionalisme, d'abord expression d'une contestation sociale et symbole d'une rupture esthétique, devient simple réservoir à thèmes d'observation et apparaît sous cette forme comme marque distinctive d'une grande partie de la production romanesque jusqu'à nos jours : on le reconnaît ainsi chez Jean Tousseul, dont le roman-fleuve des Clarambaux (1927-1936) allie, dans un utopisme souriant, l'humanitarisme tolstoïen et le pacifisme de Romain Rolland, ou chez Marie Gevers qui transmue son attention à la nature et aux traditions populaires de sa région anversoise en secret de sagesse et de bonheur.

Peu à peu, cependant, l'analyse psychologique prime sur les servitudes régionalistes. André Baillon se livre à une confession personnelle, mi-journal intime, mi-roman russe (Délires, 1927). Avec Charles Plisnier, le roman se voue à la fresque sociale, chaque œuvre thématisant un conflit particulier de la quotidienneté moderne : malentendu sexuel (Mariages, 1936), solitude humaine (Meurtres, 1939-1941), condition féminine (Mères, 1946-1948). Le Gantois Franz Hellens reconnaît le territoire des Réalités fantastiques (1923), comme Jean de Boschère (Satan l'Obscur, 1933) ou Robert Poulet (Handji, 1933). Le Flamand Jean Ray (Malpertuis, 1955) et l'Ardennais Thomas Owen (la Cave aux crapauds, 1945) prouvent la vitalité d'une tradition onirique remontant aux grands peintres flamands. Quant à Georges Simenon, il invente sa propre dimension littéraire et sait l'imposer au monde pour devenir, après Maeterlinck, le plus célèbre des écrivains belges : parti du roman populaire sur lequel il greffe un roman policier « psychologique », il crée dans son œuvre sérielle le « multiple » romanesque.

Le roman contemporain offre une diversité qui rend compte à la fois de la richesse d'une production et des multiples mutations de l'esthétique romanesque : analyse psychologique dépouillée jusqu'à l'ascèse avec Maud Frère (les Jumeaux millénaires, 1962) ; exploration têtue du réalisme traditionnel avec Daniel Gillès (Brouillards de Bruges, 1962), tandis que Pierre Mertens part surtout à la découverte du langage (les Bons Offices, 1974 ; Perdre, 1984). Le régionalisme s'est effacé, mais l'enracinement – ou sa nostalgie – n'a pas disparu  pour autant : celui, gaumais, des Hameaux (1978) d'Hubert Juin ; celui, anversois, du Rempart des béguines, premier roman de F. Mallet-Joris ; ou celui, liégeois, des débuts de Conrad Detrez (Ludo, 1974). Ces écrivains, on l'observera, ne se sont imposés qu'à Paris, ainsi d'ailleurs que Marcel Moreau dont la prose torrentielle fait craquer de toutes parts les frontières du roman (Quintes, 1962 ; Moreaumachie, 1982). Le bonheur d'être de quelque part et de le dire n'est d'ailleurs pas sans effet sur l'efficacité du style des Vêpres buissonnières (1974) de Jean Mergeai, de Julienne et la Rivière (1977) de Jean-Pierre Otte, de Plein la vue (1981) de Paul Emond, tandis que Eugène Savitzkaya (la Disparition de maman, 1982), Jean-Pierre Verheggen (Ninietzsche peau de chien, 1983), Francis Dannemark (les Eaux territoriales, 1984) s'attachent à définir un nouvel espace du récit.

Une aventure poétique

Grâce à son apport au mouvement symboliste français, la Belgique de culture romane avait joué un rôle de tout premier plan dans la littérature européenne. La crise des valeurs symbolistes, sensible dès les dernières années du xixe s., n'avait pourtant terni en rien la gloire des Maeterlinck, Elskamp, Verhaeren ou Van Lerberghe. Bien au contraire : Verhaeren devient, avec la Multiple Splendeur (1906), le fer de lance d'un renouveau vitaliste qui balaie, au début du siècle, le climat de rêve parfois morbide du symbolisme. M. Elskamp, après un silence de plus de vingt ans, offre brusquement, entre 1921 et 1924 (Aegri somnia), une gerbe de recueils unissant confession et réflexion philosophique.

Mais la Première Guerre mondiale n'est pas seulement pour la Belgique une tragédie débouchant sur un climat intellectuel bouleversé : elle signifie aussi le début effectif de la division du pays. Désormais les forces centrifuges, qui n'arrêteront plus d'écarteler le royaume, vont faire paraître obsolète toute variation sur une prétendue « âme belge », cette chimère d'une spécificité nationale qui avait parfois hanté intellectuels et politiciens de l'époque antérieure. Une page est définitivement tournée : désormais, le moindre cadre qu'acceptera l'écrivain sera celui d'une culture.

C'est alors qu'apparaissent des revues à vocation internationale : déjà, avant la guerre, de 1905 à 1908, Antée, créée à l'initiative de Christian Beck et Henri Vandeputte, avait, par son éclectisme, sa recherche d'une formule littéraire inédite susceptible de réunir les écrivains issus du symbolisme, préparé la voie à la Nouvelle Revue française. Dans les années 1920, Lumière, fondée à Anvers par Roger Avermaete, défend en peinture l'expressionnisme et le constructivisme. Ça ira, fondée en 1919 à Anvers par M. Van Essche et P. Neuhuys, née de la volonté de quelques jeunes écrivains d'élargir l'horizon artistique et littéraire d'un milieu provincial étriqué, prend rapidement place parmi les meilleures revues d'avant-garde de l'époque. Succédant à Signaux de France et de Belgique (1921), le Disque vert, fondé en 1922 à Bruxelles par F. Hellens et R. Mélot du Dy, fait connaître des écrivains russes comme Essenine et Maïakovski, accueille les débuts de Michaux et compte parmi ses collaborateurs Cendrars, Malraux, Cocteau, Gide, Supervielle, Crevel, Eluard et Ponge. Il disparaît en 1925, reparaissant un moment (1953-1957) sous la direction d'Hellens et de René de Solier. La Renaissance d'Occident de Maurice Gauchez, grâce à sa longévité (1920-1948), constitue également l'un des pôles actifs de la littérature belge de l'entre-deux-guerres, continuant à défendre les valeurs de l'humanisme européen. Le Journal des poètes, enfin, fondé en 1931 par P.-L. Flouquet, se place à la pointe des combats d'avant-garde et ouvre toutes grandes ses portes aux influences étrangères.

Des poètes, non des moindres, quittent définitivement le pays : Jean de Boschère trouve auprès d'Ezra Pound et des Imagistes anglais la confirmation qu'un lyrisme nouveau devait naître des cendres du symbolisme : The Closed Door (1917) et Job le Pauvre (1922) sont d'ailleurs publiés à Londres en édition bilingue. Henri Michaux quitte sa Namur natale et s'embarque pour « bourlinguer » vers l'Amérique (Ecuador) et l'Asie (Un Barbare en Asie), puis, accueilli par Gide et Paulhan, se fixe définitivement à Paris,  prenant finalement la nationalité française.

Au dadaïsme européen se rattachent directement les quelques plaquettes de Clément Pansaers, tôt disparu en 1922 ; mais l'esprit dada, plus marqué en Belgique qu'en France, souffle encore incontestablement chez Paul Neuhuys ou Louis Scutenaire. Ce dernier est le fidèle compagnon de route du brillant groupe surréaliste belge qui comprend, outre des peintres comme René Magritte et des musiciens comme André Souris, des écrivains majeurs comme Marcel Lecomte, Paul Colinet, Camille Goemans, E. L. T. Mesens et Paul Nougé. Paradoxalement pour un mouvement à vocation internationale, le surréalisme belge, « Société du mystère » selon Magritte, a une dimension provinciale très marquée. Il prend d'ailleurs rapidement ses distances envers le groupe de Paris avec les revues Distances (1927-1928) et Variétés (1929-1930), pour s'établir comme communauté de création et de réflexion indépendante et originale, plus sensibilisée aux écrits de Jean Paulhan qu'à ceux d'André Breton. Le groupe hennuyer « Rupture », animé par Achille Chavée, se caractérise, lui aussi, par un esprit d'indépendance qui lui donne un ton personnel.

Plus marqué par des personnalités comme Max Jacob, Blaise Cendrars ou Pierre Reverdy que par le surréalisme, Robert Guiette suit une voie personnelle, vouée à une recherche de la concision, de l'ellipse et de la densité poétiques. Souplesse et rigueur caractérisent les poèmes de Robert Vivier et d'Edmond Vandercammen, pour qui la découverte du lyrisme espagnol et hispano-américain ouvre de nouveaux horizons. Marcel Thiry inscrit la prodigieuse aventure de ses jeunes années (Toi qui pâlis au nom de Vancouver, 1924) dans une forme qui rappelle le symbolisme par sa musicalité et sa frappe caractéristique du vers, à laquelle il reste fidèle jusqu'à ses derniers recueils. Odilon-Jean Périer ne chanta « ni très haut ni très longtemps », mais le Citadin (1924) et le Promeneur (1927) contiennent peut-être les plus purs poèmes de la littérature française de Belgique, grâce à un « calme langage » qui rappelle à la fois celui de Racine, de Segalen et d'Eluard, au service d'une inspiration attachée à chanter une « réalité plus simple, la couleur du ciel et des choses, le visage émouvant des hommes ». Proche de Périer, Robert Mélot du Dy allie une ironie désenchantée à une versification traditionnelle mais souple et variée. Les jongleries verbales de Géo Norge et de Maurice Carême rappellent – voire dépassent – souvent celles des fantaisistes français.

Au-delà des écoles et des groupes, les poètes contemporains ont pour point commun de restituer à la poésie sa vocation d'aventure spirituelle, même si celle-ci condamne trop souvent le poète à la solitude et à l'éloignement du public. Pierre Della Faille propose (Requiem pour un ordinateur, 1970) la vision de « l'homme requalifié » pour qui la poésie doit d'abord être révolte dans la lucidité. Pour Fernand Verhesen, l'acte poétique est avant tout une manière de vivre en avant de soi-même (Franchir la nuit, 1970). Dans son patient travail de dépossession de soi, Claire Lejeune utilise le puissant levier de la négativité enfoui dans tout langage pour naître à une vie libérée des anciennes entraves (Mémoire de rien, 1972). André Miguel poursuit à travers les mots et les marges du poème une alliance du monde et de l'intériorité, à la fois respectueusement distante et avide de conjonction. La poésie baroque de Jacques Crickillon, hantée par l'angoisse du vide, s'articule sur la faille du « je » (Nuit la neige, 1983), tandis que Jacques Izoard thématise volontiers l'écart entre les mots et les choses et que Marc Rombaut sonde l'abîme de la langue (Matière d'oubli, 1983). Chaque recueil de Christian Hubin se lit comme un rituel de l'attente et de l'espoir, destiné à maintenir le poète sur un seuil, à le rendre attentif à ce qui le guette et exige sa venue, en promettant un sacre ou une illumination (Coma des sourdes veillées, 1973).

Notons enfin le rôle important joué par le Centre international d'études poétiques, créé en 1954 au cours des Biennales internationales de poésie de Knokke-le-Zoute (Belgique) ; il a pour but de susciter des études historiques sur la poésie et des recherches sur le langage poétique.

Un baroque dramatique

Le théâtre est dominé jusqu'à la Première Guerre mondiale par Maurice Maeterlinck, qui renonce, à partir du début du siècle, au statisme angoissant de ses premières pièces pour le mouvement et l'invention de féeries poétiques comme l'Oiseau bleu (1909) ou des pièces historiques comme le Bourgmestre de Stilmonde (1918). Verhaeren s'est essayé aux drames historiques (Philippe II, 1901 ; Hélène de Sparte, 1912), mais leurs qualités formelles l'emportent de loin sur leur efficacité scénique.

Après la guerre, le théâtre français de Belgique est à l'honneur sur les planches parisiennes grâce au triomphe du Cocu magnifique (1921) de Fernand Crommelynck, qui pratique un théâtre du paroxysme se souvenant de Jarry mais aussi de Pirandello, et où le style baroque se greffe sur une structure classique. Henri Soumagne est représenté, lui aussi, au Théâtre de l'?uvre de Lugné-Poe avec l'Autre Messie (1923), pamphlet dramatique qui affronte le problème de l'existence de Dieu et la nécessité de la religion. Michel de Ghelderode, lui, reprend à ses devanciers la formule de la farce tragique, mais pour lui donner une empreinte désormais ineffaçable : son théâtre est d'abord joué par une troupe flamande (le Théâtre populaire flamand de Johan de Meester), et il faut attendre la création de Hop signor ! en 1947, à Paris, pour que soit vraiment reconnue une œuvre d'une extraordinaire force verbale qui fait corps avec un univers cruel et fascinant, déguisé en carnaval macabre où mort, folie, amour et vie dansent une ronde effrénée et destructrice.

Inspirée elle aussi de l'histoire et de la légende, l'œuvre d'Herman Closson, moins violente, participe à un certain renouveau du théâtre de masse en Belgique, auquel collaborent, durant les années 1950, Georges Sion avec son Voyageur de Forceloup (1951), Charles Bertin, Suzanne Lilar et surtout Paul Willems, qui renouvelle la leçon maeterlinckienne (la Ville à voile, 1966) en montrant que l'efficacité scénique n'est pas incompatible avec un langage poétique et allusif (Elle disait dormir pour mourir, 1983). Jean Sigrid apporte avec Mort d'une souris (1966) et Quoi de neuf, Aruspice (1970) la confirmation d'un talent que les Bijoux de famille (1949) annonçaient déjà. La vraie relève vient pourtant de René Kalisky (1936-1981) qui instaure – sans toutefois réussir à l'imposer vraiment à ses metteurs en scène – avec Trotsky, etc. (1969) et le Pique-nique de Claretta (1973) une écriture théâtrale impliquant sa propre dramaturgie. L'activité de nombreuses jeunes compagnies et le travail de directeurs et metteurs en scène comme Frédéric Baal, Henri Ronse, Marc Liebens ou Guy Denis (qui, avec le « Capich Arden Théâtre », réinvente un théâtre populaire), ont mis en place un processus dépassant largement le domaine dramatique, et dont la dynamique embrasse la totalité de l'univers de l'expression. Avec les Cahiers Théâtre Louvain (depuis 1975, Documents dramaturgiques), enfin, la Belgique francophone dispose d'une revue de théâtre de haut niveau.

Les institutions

Il ne faut pas oublier le poids propre des institutions dans le « champ littéraire » de la Belgique francophone.

Un prix Victor Rossel a été créé en 1938. Au fil des années, il s'est imposé comme la plus importante distinction littéraire attribuée annuellement en Belgique à une œuvre romanesque ou à un recueil de nouvelles. En couronnant par exemple Gaston Compère en 1978, Jean Muno en 1979, Jacques Crickillon en 1980 ou François Weyergans en 1981, il joue son rôle dans le processus de consécration de ces auteurs.

Il en va de même, à un niveau certes plus haut, de l'Académie royale, lorsqu'elle accueille en son sein, par exemple, un Henry Bauchau octogénaire enfin comblé par la notoriété : c'est en 1920 que le roi Albert ier, à l'initiative de Jules Destrée, a créé l' Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Elle regroupe depuis non seulement des écrivains et des philosophes belges de langue française, mais réserve un certain nombre de sièges (10 sur 40) aux écrivains et philologues de la francophonie. Ses statuts lui ont permis aussi d'élire des femmes (Émilie Noulet, Suzanne Lilar...), bien avant sa consœur du quai Conti. Parmi les membres étrangers, on relèvera notamment F. Vielé-Griffin, G. D'Annunzio, J. Cocteau, A. de Noailles, Colette, J. Cassou, J. Green, M. Yourcenar. L'une des originalités de cette institution est de faire une place (pour un tiers) aux grammairiens et philologues à côté des littérateurs proprement dits : l'aura d'un académicien comme Joseph Hanse, par exemple, aura tenu autant à la réputation universelle de son Dictionnaire des difficultés de la langue française qu'à ses travaux sur C. De Coster ou Maeterlinck. L'Académie royale fournit par ailleurs un travail d'édition (colloques, thèses, éditions critiques...) de tout premier ordre.

De leur côté, des maisons d'édition comme De Boeck, Duculot, Jacques Antoine, Labor, Complexe, Mardaga, pour ne citer qu'elles, ont acquis une réputation européenne, voire mondiale, et témoignent de la grande vitalité de l'édition littéraire belge francophone d'aujourd'hui.

« Lettres françaises de Belgique » ... ou « Littérature belge de langue française » ?

Les littérateurs français de Belgique ont longtemps cru pouvoir jouir sans souci ni complexe d'une sorte de prééminence naturelle sur le pays. Mais la situation a évolué rapidement. La législation linguistique, en 1930, partage le pays en deux communautés autonomes ; devant la montée des revendications flamandes, certains écrivains francophones ont alors tendance à se replier sur leur terroir. D'autres n'hésitent pas à se tourner franchement vers Paris, voire quittent leur pays. Le 1er mars 1937, sous la houlette de Franz Hellens, une vingtaine d'écrivains, dont Marie Gevers, Michel de Ghelderode, Charles Plisnier, Marcel Thiry, Robert Vivier (le « Groupe du lundi » ), dénoncent dans un manifeste le danger de réduire l'activité littéraire à l'illustration de particularités géographiques et vont jusqu'à prôner une sorte de rattachement à la France : « Il est absurde de concevoir une histoire des lettres belges en dehors du cadre général des lettres françaises. »

Ce courant tend aujourd'hui à devenir minoritaire. Certes, nombreux sont encore les auteurs à venir chercher la consécration à Paris : après la Seconde Guerre mondiale, une D. Rolin, une F. Mallet-Joris ou un H. Juin, naguère un F. Weyergans ou, plus récemment, une Amélie Nothomb, sont aux yeux des Français des auteurs français. Et on trouverait encore des intellectuels belges pour déclarer, tel M. Piron en 1968, que « ce qui fait une littérature, ce qui lui donne son nom, ce n'est pas la nation, l'État ou le peuple, c'est – ici du moins – la langue ». Il n'empêche que, en ce moment où le royaume de Belgique semble plus que jamais au bord de l'éclatement définitif, renaît paradoxalement une sorte de « patriotisme littéraire », les écrivains français de Belgique (ceux qui ont refusé l'exil) ayant tendance désormais à se réclamer ouvertement de leur « belgitude ». Ce néologisme, calqué par provocation sur la « négritude » chère à Senghor, désigne plus précisément un courant intellectuel et littéraire apparu avec la génération 1970-1980. Rassemblé par P. Mertens en 1976, un dossier spécial des Nouvelles littéraires, intitulé Une autre Belgique, constitue le point de départ explicite de ce regain d'intérêt des écrivains belges pour leur pays, attitude réaffirmée et explicitée en 1980 dans un numéro spécial de la Revue de l'Université libre de Bruxelles (« la Belgique malgré tout ») où 70 écrivains ont répondu sur ce thème à l'invitation de J. Sojcher. Caractérisé par la volonté de « ne plus vivre par Paris interposé », ce courant n'en dénonce pas moins tout repli sur un provincialisme étriqué. Il revendique le droit à une « bâtardise » culturelle, due à la situation marginale qu'occupe le pays, offrant une plus grande porosité à d'autres cultures. Beaucoup ont le sentiment d'appartenir à un « pays de l'impossible identité », selon Marc Quaghebeur dont les Balises pour l'histoire de nos lettres, en 1982, ont opéré une relecture en ce sens de l'histoire littéraire belge. Cette attitude va souvent de pair avec une pratique littéraire où l'écriture souligne plus ce qui déstabilise le sujet et creuse ses contradictions que ce qui constitue son unité d'individu ou de membre d'une communauté.

Y aurait-il donc quelque chose de spécifiquement « belge » chez tous les écrivains du pays, un dénominateur commun à Verhaeren, à Simenon, à Ghelderode, à Michaux et à Mertens ? Voire... C'est là une conception dangereuse, propre à faire ressortir des oubliettes on ne sait quel « génie de la race ». Au mieux une telle approche ne vaudrait que pour la poésie et le théâtre, tant le style des prosateurs de Belgique apparaît généralement difficile à distinguer de celui de leurs confrères hexagonaux. Ce que l'on peut remarquer, toutefois, c'est la précellence des auteurs belges dans certains genres bien précis : une forme bien à eux de théâtre à la fois baroque, farcesque et onirique, un goût pour l'insolite de type « réalisme magique », une certaine touche de naturalisme mêlé de symbolisme... Cela expliquerait qu'à certaines époques du moins, comme celle qui va des années 1880 à 1914, on ait une plus forte impression d'existence d'une « littérature belge » autonome. Cela permet aussi d'éclairer la tonalité sui generis des écoles proprement belges du symbolisme, voire du naturalisme, puis du surréalisme, qui ne se calquent pas sur leurs sœurs parisiennes, et n'ont du reste parfois rien à leur envier.

Littérature de langue néerlandaise

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