Au bord de l'eau

(Shuihu zhuan)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Ce roman d'aventures chinois fut le premier roman-fleuve à être interdit officiellement, et ce, dès 1642 pour incitation au « banditisme ». Il est le fruit d'un long et complexe processus d'élaboration mettant à contribution des sources d'époques et de natures différentes : des annales historiques notant un soulèvement populaire qui s'est produit au Shandong vers 1120 ; des récits des conteurs publics des Song (960-1279) qui avaient commencé de broder sur cette trame somme toute assez ténue ; les premières versions écrites que ces cycles narratifs cristallisés autour du personnage mythique du chef rebelle Song Jiang avaient suscitées aux alentours de 1300 ; ainsi que deux douzaines d'opéras de l'ère mongole (1279-1368). La version complète serait redevable à Shi Nai'an (1296-1370), lettré dont on ignore tout, et à Luo Guanzhong, l'auteur du Roman des Trois Royaumes. L'édition la plus ancienne ne date que du milieu du xvie siècle. Ses 100 chapitres décrivent le rassemblement progressif de 108 héros, de leurs combats héroïques pour venger les torts causés par les puissants dirigeants d'un empire en pleine déliquescence, avant qu'ils ne se mettent finalement au service de l'empereur. Ce revirement, diversement apprécié selon les époques, cause la disparition progressive et tragique de toute la confrérie fidèle à son chef charismatique. En 1614, le philosophe Li Zhi (1527-1602) en fournit une nouvelle édition en 120 chapitres et lui donne une préface mettant en avant le sens de la loyauté et de l'honneur des rebelles. Ces éditions furent occultées jusqu'au xxe siècle par l'édition en 71 chapitres concoctée en 1644 par le lettré iconoclaste Jin Shengtan (1610-1661), lequel condamne la troupe dans un ultime chapitre afin de décourager quiconque de se livrer au brigandage. Malgré cette intervention discutable, c'est lui qui, grâce à un commentaire brillant et abondant, sut le mieux rendre justice à l'excellence de ce roman riche en épisodes mémorables et en personnages hauts en couleur finement individualisés. Usant d'une langue parlée pleine de verve, l'œuvre est à ce point réussie qu'elle a eu une influence marquante sur la production littéraire chinoise, livrant notamment au Jin Ping Mei (Fleur en fiole d'or) ses principaux personnages. C'est l'un des ouvrages les plus lus et les plus adaptés aujourd'hui encore dans l'aire culturelle asiatique.