André du Bouchet

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète français (Paris 1924 – Truenas, Ardèche, 2001).

Comme les poètes de sa génération, qui commencent à publier dans l'après-guerre, André du Bouchet est moins sensible aux enchantements d'un surréalisme déjà lointain qu'à la réalité matérielle et objectale du monde spatial telle que le corps l'appréhende phénoménologiquement.

C'est le parti-pris du monde et l'extériorité (du péril, du risque) plus que l'intimité romantique, l'horizon plus que le sujet. Plus que d'ajouter, et donc de voiler, cette parole, franche jusqu'à la coupure, se propose au rebours un travail volontiers minimaliste sur la nudité, ce qui induit une mise en espace aussi nécessaire et exigeante que remarquable et caractéristique. Au nu de l'être correspond celui de la matière de la page où le blanc, dimension à part entière, est une présence répondant à la présence première au monde : espace du dehors et espace de la page se correspondent. Hugo, Reverdy et Baudelaire irrémédiable (1993) sont des voix qu'il interroge. Du Bouchet traduit des langues, dont certaines qu'il connaît mal (l'allemand, avec Celan et Hölderlin, si important à ses yeux qu'il le traduit en 1986), faisant de la traduction un travail sur la langue française, en même temps qu'une réflexion plus globale sur l'acte créateur. Ce qu'emblématise aussi un travail sur la génétique des carnets (Carnets 1952-1956, 1982) et un vif souci de picturalité (la Peinture, 1983).

Du Bouchet est un témoin des créateurs (Giacometti, Tal Coat). Traduire les langues, traduire le monde, comprendre les peintres obéissent à un même geste fondateur. L'espace de du Bouchet est vide (Dans la chaleur vacante, 1961), réduit à l'essentiel, au plus serré, parfois au plus angoissant. Les hommes, le moi et ses prérogatives avec eux (Qui n'est pas tournée vers nous, 1972), semblent en avoir disparu. Dans la revue l'Éphémère (1967-1972), publiée par la Fondation Maeght, et dont J. Dupin eut l'initiative, du Bouchet croise sa parole critique avec celle de G. Picon, de Y. Bonnefoy, de L.-R. Des Forêts, mettant en lumière les enjeux communs des poètes les plus représentatifs de cette génération. Son œuvre poétique, accompagnée d'un ensemble notable de préfaces et d'études, n'a eu de cesse de casser le bel ordonnancement rhétorique pour rallier la nudité sensible de la sensation jusque dans le recueil de la grande maturité, Aujourd'hui c'est (1984).

Plus qu'une filiation mallarméenne, la mise en espace du blanc, qui vaut aussi comme respiration pour la voix, est une circulation du sens et de l'air, le lieu de présence (c'est l'un des grands vœux de cette génération, et la raison de son éloignement du surréalisme). La page est l'espace de la confrontation, de la contradiction aussi des grandes présences matérielles : l'air, le feu, la montagne, qui valent comme autant de repères, y prennent effectivement corps, vie et souffle. Célébrée par sa forte unité, sa cohérence extrême, la portée sans concession de son projet, interrogée par de grands critiques (J.-P. Richard, Y. Bonnefoy), cette poésie est l'une des plus personnelles d'aujourd'hui en ceci aussi : l'abstraction est son autre. Elle n'oublie pas le monde. Carnets 2 paraît en 1999, l'Emportement du muet, en 2000.