Albanie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

L'albanais a sans doute été écrit dès le xive s. Néanmoins, le premier document qui nous soit parvenu est daté de 1462. C'est une simple formule de baptême insérée dans une lettre latine de Pal Engjëlli, archevêque de Durrës (Durazzo). Le premier livre qui nous soit parvenu en entier – ou peu s'en faut – est le Missel du prêtre catholique Gjon Buzuku, en 1555.

Comme dans la plupart des littératures, on rencontre d'abord des textes religieux ou techniques. En 1592, Lekë Matrënga (un des Albanais, ou Arbëresh, émigrés en Italie pour fuir l'occupation turque) publie, à la suite de son Missel, le premier poème albanais connu. Frang Bardhi (1606-1643) publie en 1635 le premier dictionnaire latin-albanais, enrichi notamment d'un curieux recueil de proverbes ; Pjetër Budi (1566-1623) est l'auteur de trois adaptations de livres de piété italiens accompagnées de poésies et d'appendices originaux, où il se révèle un véritable écrivain et un précieux témoin de la vie de son temps : il en est de même avec Pjetër Bogdani (vers 1625-1689) dont la Clef des prophètes (1685) témoigne d'un enrichissement notable de la langue. La production littéraire du xviie s. émane donc intégralement de prêtres catholiques du Nord de l'Albanie, très influencés par la culture italienne et occidentale, ou d'Albanais d'Italie.

Les œuvres du xviiie s., en revanche, sont dues à des musulmans formés aux littératures turque, arabe ou persane. Rédigées en caractères arabes – et non plus latins –, elles sont essentiellement poétiques. Les auteurs exploitent les thèmes orientaux traditionnels tout en évoquant parfois les événements contemporains et les aspects de la vie locale. Nezim Frakulla et Hasan Zuko Kamberi sont les premiers représentants de cette période qui s'épanouit avec Muhamet Kyçyku (1784-1844).

Le réveil culturel

Le réveil culturel qu'on observe au xixe s. en Europe centrale et orientale se manifeste en Albanie par le mouvement de la « Renaissance Nationale » (Rilindja Kombëtare), dont les efforts seront couronnés en 1912 par l'accession à l'indépendance. Dès 1840, ses partisans cherchèrent, malgré l'oppression ottomane, à faire sortir le pays de son sous-développement culturel. Ils s'attachèrent à créer un alphabet unique (trois alphabets : latin, grec et arabe, se faisaient alors concurrence).

Naïm Frashëri (1846-1900) est un des plus éminents représentants de cette période. Haut fonctionnaire du gouvernement turc en Albanie du Sud, puis à Istanbul, homme politique et publiciste, son œuvre littéraire, essentiellement poétique, exprime le charme du pays albanais (Bucoliques et Géorgiques), le désir de voir sa patrie accéder à la civilisation et à la liberté. Il évoque aussi les traditions historiques de son peuple (le Paradis) et naturellement le héros national Skanderbeg, symbole de l'unité des Albanais (Histoire de Skanderbeg). Mais bien d'autres auteurs importants s'affirmeront pendant cette période, comme Andon Zako Çajupi (1866-1930), Asdreni (1872-1947), Ndre Mjeda (1866-1937), Filip Shiroka (1859-1935) et Luigj Gurakuqi (1879-1925).

La vie culturelle interrompue pendant la Première Guerre mondiale reprendra activement dans les années 1920. Les intellectuels s'attachent à défendre leur pays dans les organismes internationaux, font revivre les sociétés culturelles, créent de nouvelles revues (la Flamme, la Renaissance, le Monde Nouveau). Parmi eux, Fan S. Noli (1882-1965) occupe une place de choix : poète, dramaturge, journaliste, historien, musicologue, traducteur des principaux chefs-d'œuvre de la littérature mondiale, il rejoint très vite le mouvement de la Rilindja et participe à la vie politique albanaise.

Les débuts de la littérature sociale

À partir des années 1930, une tendance dite « progressiste » ou « démocratique » se dessine. Moins axée sur les thèmes traditionnels, la littérature devient essentiellement sociale. Les auteurs restent inspirés par les sujets patriotiques, comme Foqion Postoli ou Mihaïl Grameno, mais ils abordent des thèmes nouveaux comme celui de l'émancipation de la femme avec Haki Stërmilli (la Dibrane en larmes) ou la situation des couches les plus démunies de la population : c'est le thème préféré de Migjeni (Poème à la misère) ou de Nonda Bulka, qui y joint souvent une satire féroce du personnel politique. Une nouvelle génération commence à se manifester, avec Aleksandër Çaçi, Shevqet Musaraj, Aleksandër Varfi, Dhimitër S. Shuteriqi, Risto Siliqi, Sterjo Spasse. Mais c'est pendant et après la Seconde Guerre mondiale que leur œuvre se développera vraiment.

L'occupation fasciste – dès avril 1939 – et la Seconde Guerre mondiale ne favorisèrent évidemment pas la production littéraire. Les pamphlets politiques et les hymnes partisans – souvent publiés dans les colonnes du journal clandestin du jeune Parti communiste albanais, la Voix du peuple – prenaient le pas sur des œuvres plus étendues. Quelques pièces de théâtre d'inspiration patriotique ou satirique, comme Margarita Tutulani d'Aleksandër Çaçi ou Federali de Zihni Zako, peuvent être signalées. Mais c'est la poésie qui sera le mieux représentée au cours de cette période, notamment grâce à Shevqet Musaraj, dont l'Épopée du Front national est une satire des plus réussies de l'Albanie au déclin du fascisme. Le volume des écrits de guerre fut donc modeste ; cependant, les événements politiques et sociaux de cette période ont fourni l'un des thèmes principaux de la littérature contemporaine.

Le réalisme socialiste

Après 1944, les écrivains adoptent les principes du réalisme socialiste. Regroupés depuis novembre 1945 dans la Ligue des écrivains, ils se voient assigner une mission d'éducation des masses et de consolidation de l'ordre socialiste établi par le parti communiste albanais (le Parti du travail).

Tous les genres littéraires se développent. Néanmoins, si la poésie garde une place importante, si le théâtre – souvent humoristique – est très apprécié du public albanais, c'est la prose qui connaît l'essor le plus remarquable. La notoriété d'Ismaïl Kadaré a d'ailleurs franchi les frontières, puisque la plupart de ses romans ont été traduits en langues étrangères, du Général de l'armée morte au Crépuscule des dieux de la steppe.

Le passé de l'Albanie reste une source non négligeable d'inspiration : période de la domination ottomane, comme dans les Tambours de la pluie et le Pont à trois arches d'Ismaïl Kadaré ou Ali Pacha de Sabri Godo ; années 1930, avec la pièce de S. Çomora, le Carnaval de Korça. Mais la Seconde Guerre mondiale est devenue le thème majeur, notamment de la poésie : Prishtinë de Risto Siliqi, À quoi pensent les montagnes d'Ismaïl Kadaré, Mère Albanie de Dritëro Agolli, Alertes sanglantes de Fatos Arapi, le Chant du partisan Benko de Fatmir Gjata. Romans, contes et nouvelles y font souvent appel (le Fleuve mort de Jakov Xoxa, Ils n'étaient pas seuls de Sterjo Spasse, Avant l'aube de Shevqet Musaraj, Commissaire Memo de Dritëro Agolli, Automne d'orage d'Ali Abdihoxha, Chronique de la ville de pierre d'Ismaïl Kadaré, la Mariée et l'état de siège d'Elena Kadaré), tout comme le théâtre (la Famille du pêcheur de Sulejman Pitarka, le Préfet de Besim Levonja).

Pendant longtemps, une grande partie des œuvres a évoqué la mise en place et l'évolution du socialisme : réaction des individus devant les nouvelles conditions économiques et sociales créées par le socialisme ou tout simplement par la vie moderne, ainsi des contes de Naum Prifti (le Médecin de la localité) et des romans de Fatmir Gjata (le Marais), de Teodor Laço (De nouveau debout) ou encore du théâtre : Notre terre de Kolë Jakova, la Fille des montagnes de Loni Papa, la Dame de la ville de Ruzhdi Pulaha. Les obstacles à l'évolution de la société  vers le socialisme étaient abordés avec l'Ascension et la chute du camarade Zylo de Dritëro Agolli ou le Vent puissant d'Agim Cerga.

La littérature albanaise d'Italie

Dès la fin du xve s., certains Albanais fuyant devant les envahisseurs turcs émigrèrent en Calabre et en Sicile. Ces Albanais, ou Arbëresh, sont à l'origine d'une littérature encore bien vivante aujourd'hui. Cette littérature se borna longtemps à la traduction de textes religieux, de prières et de catéchismes. Mais on observa bientôt l'apparition d'une véritable poésie d'inspiration religieuse, et c'est à Lekë Matrënga que l'on doit le plus ancien texte poétique connu en albanais (1592).

Aux xviie et xviiie s. la poésie, cultivée par les prêtres, se teinte souvent de motifs folkloriques. Jul Variboba (vers 1730-1762), considéré comme le meilleur auteur de cette période, offre une bonne description d'un village albanais de Calabre au xviiie s. (la Vie de la Vierge) et témoigne de l'enrichissement de la langue et des progrès de la versification.

Au xixe s., l'action en faveur de leur langue va de pair, pour les Arbëresh, avec celle qu'ils mènent pour l'unité italienne (beaucoup d'entre eux combattront aux côtés de Garibaldi). Ils furent aussi, naturellement, très attentifs aux efforts menés en Albanie même pour la langue et la liberté. La littérature, d'un romantisme parfois exacerbé, aime les longues ballades, les épopées, mais le théâtre est à peine représenté et la prose ne se développe guère que dans les colonnes de la presse.

Jeronim (Geronimo) de Rada (1814-1903) est la plus grande figure de cette période. Publiciste (il est à l'origine des journaux l'Albanese d'Italia et le Drapeau de l'Albanie), éducateur, linguiste, folkloriste (les Rhapsodies d'un poète albanais, publiées en 1866, reprennent d'anciens poèmes épiques de Calabre), il a surtout laissé des œuvres patriotiques, traitées sous une forme historique (les Chants de Milosao, 1836 ; les Chants de Séraphine Thopia, 1839). Gavril Dara le Jeune (1826-1885) chante, lui aussi, dans le Dernier Chant de Bale (publié en 1900) le patriotisme albanais et les exploits de Skanderbeg. Il faut mentionner également Anton Santori (1819-1894) et Vinçenco Stratico (1822-1866). Zef (Giuseppe) Serembe (1843-1901), sous une forme originale, joint à son patriotisme une note individualiste et pessimiste.

Les conditions politiques de la première moitié du xxe s. n'étaient guère favorables aux littératures non italiennes. C'est pourquoi les années 1900-1945 représentent la phase la plus pauvre de la littérature arbëresh et il ne faut pas s'étonner qu'on ne puisse guère citer que deux auteurs : Giuseppe Schiro et Salvatore Braili. L'après-guerre, en revanche, permettra un nouveau développement. On assiste à une véritable renaissance, culturelle en général et littéraire en particulier, qui s'exprime de multiples façons : publication de nouvelles revues (Notre village, le Feu, le Réveil, la Ligne, organe du Cercle des écrivains et des artistes arbëresh), enseignement de l'albanais à l'école primaire, création de « Radio-Skanderbeg », etc.

La littérature albanaise de Kosova

Les Albanais formaient en ex-Yougoslavie la majorité de la population de Kosova et constituent en Macédoine et au Monténégro d'importantes minorités. Avant 1945 cependant, la littérature albanaise dut rester confidentielle et c'est avec beaucoup de difficultés que certains auteurs s'exprimèrent dans les quelques revues clandestines sous l'Occupation. On publia d'abord des anecdotes guerrières, on étudia les nouvelles conditions sociales, on célébra la reconstitution du pays. Cette littérature triomphaliste, en vers ou en prose, s'exprima essentiellement jusqu'en 1955 dans quelques périodiques : la Voix de la jeunesse, la Renaissance, la Vie nouvelle. Le recueil poétique d'Esad Mekuli, Pour toi (1955), restera longtemps l'œuvre majeure de référence. À côté de lui, on peut citer Josip V. Rela, Rexhep Hoxha ou Murat Isaku. Hivzi Sulejmani ne fera paraître qu'en 1949 le premier grand roman, le Vent et la Colonne. Les contes, parfois humoristiques et satiriques, de Sitki Imami, Tajar Hatipi et Zekeria Rexha méritent d'être cités. Mais le théâtre, malgré Hasan Vokshi, T. Hatipi, Josip V. Rela, reste un genre mineur. Vers la fin des années 1960, une nouvelle tendance se dessine. La littérature se diversifie ; elle devient plus intimiste, plus personnelle. Le réalisme socialiste cède du terrain et on se penche vers le sens de la vie, sur les difficultés d'insertion dans le monde, sur les problèmes de communication entre les êtres. On adopte volontiers une attitude critique à l'égard de la bureaucratie ou des convenances sociales. Cette évolution est nette chez les poètes comme Azem Shkreli (les Gouttes, 1963) et Enver Gjerqeku (Notre os, 1966), chefs de file d'une nouvelle génération avec Fahredin Gunga, Rrahman Dedaj, Ali Podrimja, Din Mehmeti, Jakup Ceraja, Muhamed Kërveshi, Musa Ramadani, ou Beqir Musliu attentif à l'expérience de Baudelaire ou de Mallarmé. La prose manifeste les mêmes tendances avec Anton Pashku, dont l'œuvre est diversement marquée par Kafka, Faulkner, Joyce ou Orwell. Le courant réaliste traditionnel se maintient cependant, plus particulièrement au théâtre. La critique littéraire devient, quant à elle, une institution importante de la vie culturelle, grâce d'abord à Vehap Shita et Hasan Mekuli, puis à Agim Vinca, Sabri Hamiti et surtout Rexhep Qosja.

Avec l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, certains écrivains de langue albanaise, comme d'autres de leurs confrères, choisissent l'exil. L'un des écrivains les plus prometteurs de la nouvelle génération est Skender Sherifi (né au Kosova en 1954) qui publia à Paris et à Tirana, et qui se définit comme un Albanais francophone.