Ahmadou Kourouma
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain ivoirien (Togobala, Guinée, 1927-Lyon 2003).
Confié dès l'âge de 7 ans à son oncle maternel, comme le veut la coutume malinké, puis élève de l'École technique supérieure de Bamako (dont il est chassé en 1945 en raison de ses activités politiques), il est mobilisé d'office en Côte d'Ivoire, puis en Indochine. À son retour il suit les cours de l'Institut des actuaires de Lyon, commence à écrire, puis vit dans un semi-exil à Yaoundé à la suite de la représentation de sa pièce de théâtre Tougantigui (le Diseur de vérités) qui ne sera éditée qu'en 1978, jugée subversive par les autorités ivoiriennes. Son roman, les Soleils des indépendances (1968), innove sur tous les plans. Il est le premier à délaisser le thème dominant de la dénonciation du système colonial, pour se tourner vers l'état présent des pays devenus indépendants. Par la voix d'un vieux prince déchu, il critique vigoureusement le nouveau régime et toutes les « bâtardises » qui s'installent. Mais, surtout, convaincu de l'importance essentielle du langage, il réussit la gageure d'une écriture métisse, où le français se plie au rythme et à la perspective malinké. Ce livre devient très vite un classique, mais apparaît longtemps comme un chef-d'œuvre unique. C'est seulement en 1990 que Kourouma publie un deuxième livre, longuement mûri, Monnè, outrages et défis. Retour sur le passé, Monnè fait avec brio le bilan d'un siècle d'histoire africaine vue depuis Soba, une « ville » du Sahel au nom imaginaire, ayant à sa tête un roi centenaire, Fama. Son originalité est de donner une place essentielle, comme source des malheurs de l'Afrique, à tous les « outrages » infligés au langage, aux mensonges et aux malentendus. En attendant le vote des bêtes sauvages (1998) continue l'histoire en prenant pour cible le temps des dictatures africaines, soutenues par les puissances occidentales au nom de la guerre froide. Moins créative au niveau linguistique, cette satire féroce réussit pourtant un métissage remarquable entre le roman à l'occidentale et une forme traditionnelle, le « donsomana », chant de chasseurs malinkés. Accélérant son rythme d'écriture, comme sous l'effet d'une urgence, Kourouma publie en 2000 Allah n'est pas obligé. À travers le discours brutal, mais distancé par l'humour, d'un enfant-soldat, il entraîne le lecteur dans une traversée de l'enfer des guerres dites « tribales » du Liberia et de la Sierra-Leone. Le roman reçoit le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens et apporte à son auteur, et à la littérature africaine en langue française, une célébrité largement méritée.