Afrique du Sud

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Trois grands domaines linguistiques se partagent la littérature sud-africaine : le domaine des langues bantoues, le domaine afrikaner et le domaine de la littérature de langue anglaise.

Le domaine bantou

Représenté par les littératures en sotho, xhosa et zoulou, il est certainement le plus ancien, puisque dès la première moitié du xixe s. des missionnaires avaient entrepris la traduction dans ces différentes langues de la Bible et du Pilgrim's Progress de John Bunyan, point de départ des premières œuvres de création de la littérature sud-africaine. Si E. L. Segoete et Z. D. Mangoela peuvent être considérés comme les pionniers de la littérature sotho, celle-ci doit surtout sa renommée à Thomas Mofolo dont le Chaka, publié en 1925 et traduit en anglais dès 1931, a connu un très grand succès à travers toute l'Afrique, où il a servi de modèle à de nombreux écrivains. En xhosa, les écrivains les plus notables sont S. E. K. Mqhayi – dont le roman la Case des jumeaux (1905) est une tentative de restitution de la vie à la cour des anciens souverains avant l'arrivée des premiers Européens –, J. R. Jolobe, connu pour son recueil poétique UmYezo, et A. C. Jordan, qui, dans un récit intitulé la Colère des ancêtres (1951), prend ses distances vis-à-vis des conventions littéraires imposées par les missionnaires et affirme la permanence des valeurs traditionnelles de la tribu. La plus jeune des littératures du domaine bantou, la littérature zoulou, s'attaque d'entrée de jeu aux problèmes posés par la situation des Noirs d'Afrique du Sud avec le pamphlet de J. L. Dube, le Pire Ennemi de l'homme noir c'est lui-même (1922), mais son meilleur représentant est certainement B. W. Vilakazi (1906-1947), romancier et poète, dont l'œuvre la plus connue, Amal'ezulu (1945), témoigne avec énergie contre la condition misérable faite au Noir. Si King Masinga et Welcome Msomi (Umabatha, 1972) traduisent Shakespeare en zoulou, les littératures bantoues, nées dans le giron des missions chrétiennes, en sont venues progressivement à rejeter le moralisme et le folklore des premières œuvres pour exprimer la protestation des opprimés.

Le domaine afrikaans

Il en va tout autrement avec la littérature afrikaner, dont la naissance et l'évolution sont étroitement liées à l'implantation des colons d'origine hollandaise installés dans la région du Cap dès le xviie s,. et qui finissent par faire de leur langue, l'afrikaans, le symbole de l'indépendance nationale et le ciment culturel de la communauté boer ; c'est le révérend S. J. Du Toit (1847-1911), un pasteur de l'Église hollandaise réformée, qui, le premier, a compris l'importance du problème linguistique pour la communauté boer, et ses efforts ont abouti en 1914 à la reconnaissance de l'afrikaans comme langue officielle de l'enseignement secondaire. Toutefois, il faut attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale pour qu'apparaissent les premières œuvres écrites dans cette langue, avec la publication des recueils poétiques de Jan Celliers (1865-1940), Eugène Marais (1871-1936), Totius (1877-1953) et Louis Leipoldt (1880-1947). En 1930, le mouvement des Dertigers prend la relève : c'est l'œuvre de N. P. Van Wyk Louw (1906-1970) qui exprime le mieux les tendances complexes d'une littérature hésitant encore entre la fresque historique, la confession romantique et la méditation métaphysique. On doit à Van Wyk Louw à la fois un important travail sur la langue littéraire, qu'il contribue à créer, et un profond renouveau de la critique longtemps limitée à l'interprétation biographique. Dans son sillage s'inscrit l'œuvre de deux poètes de moindre envergure, Élisabeth Eybers (Die stil Avontuur, Die Ander Dors) et Uys Krige (Rootdag, Hart Sonder Hawe), dont la poésie trahit l'influence des grands romantiques et qui a depuis lors choisi de s'exprimer en anglais. Après les bouleversements consécutifs à la Seconde Guerre mondiale, ce sont encore les poètes qui occupent la première place avec D. J. Opperman (Heilige Beeste, Joernaal van Jorik), S. J. Pretorius, Ernst Van Heerden, Peter Blum, mais, à partir de 1960, le roman jusque-là minoritaire (il faut toutefois excepter le best-seller de Hettie Smit, Sy Kom Met Die Sekelmaan, succès des années 1930) va l'emporter dans la production littéraire afrikaner. En partie sous l'influence du « nouveau roman » français, un groupe de « jeunes gens en colère », les Sestigers (écrivains des années 1960) s'appliquent en effet à donner de la société sud-africaine une image plus conforme à la réalité, et leurs œuvres traduisent un souci de sincérité qui n'a pas toujours rencontré l'approbation des milieux conservateurs. Ainsi le plus célèbre d'entre eux, André Brink (né en 1935), déjà connu pour son roman Die Ambassadeur, a-t-il encouru les rigueurs de la censure (jusqu'alors très indulgente à l'égard des écrivains afrikaners) au moment de la parution de Connaissance du soir en 1973. Cette sévérité, qui n'a pas épargné non plus le romancier Étienne Leroux (Sewe dae by die Silbersteins, Die Derde Oog), s'explique par le fait que, à l'instar de son cadet, l'auteur de Een Vir Azazel aborde dans ses œuvres le sujet tabou des relations sexuelles entre Blancs et non-Blancs : c'est pour avoir transgressé ce sujet, et cette législation, que le poète et peintre Breyten Breytenbach (né en 1939) a été emprisonné à plusieurs reprises (Feu froid, 1976).

Le domaine anglais

En revanche, les écrivains de langue anglaise, qu'ils soient blancs ou noirs, sont depuis longtemps la cible préférée du régime de Pretoria, très attaché au maintien du système de l'apartheid, et singulièrement depuis que les lettres sud-africaines ne sont plus exclusivement d'inspiration britannique, dans la lignée de Thomas Pringle (1789-1834), William Scully (1855-1943) et A. S. Cripps (1869-1952), ou ne se contentent plus de faire de la nature, du Veld, le personnage central de toute œuvre. Il faut toutefois faire une exception pour le poète Roy Campbell (1901-1957) et pour les romanciers Sarah Gertrude Millin (les Beaux-enfants de Dieu, 1924) et Stuart Cloete (le Grand Trek, 1937), qui s'attardent avec complaisance sur les dangers des amours mixtes et célèbrent l'époque des pionniers, dans une perspective héritée d'Olive Schreiner (Histoire d'une ferme africaine, 1883) et de Pauline Smith (le Petit Karoo, 1925). Dans une optique rigoureusement inversée, ce problème est au cœur des meilleures œuvres produites depuis un demi-siècle par les écrivains blancs ou métis de langue anglaise, qu'il s'agisse de William Plomer (Turbott Wolfe, 1925), Peter Abrahams (Mine Boy, 1946), Nadine Gordimer (Un monde d'étrangers, 1958), Alan Paton (Pleure, ô pays bien-aimé, 1948), Jack Cope (L'Aube se lève deux fois, 1969), ou bien encore de l'Afrikaner d'expression anglaise Athold Fugard (Liens du sang, 1973). Laurens Van der Post, autre Afrikaner, évoque les origines des Bochimans (A Story like the Wind, 1972), tandis que Wilbur Smith (A Sparrow Falls, 1977) s'intéresse aux aventures populaires.

Si plusieurs de ces écrivains ont eu des ennuis avec le pouvoir, au point, pour certains, de préférer l'exil, ce sont évidemment les auteurs noirs de langue anglaise qui ont été le plus durement frappés, en raison notamment de leurs activités militantes. Après des séjours variables dans les prisons ou les camps de détention, beaucoup d'entre eux – Lewis Nkosi (le Rythme de la violence, 1964), Alex La Guma (Nuit d'errance, 1968 ; le Pays de pierre, 1974), Dennis Brutus (Poèmes d'Alger, 1969), Ezekiel Mphahlele (les Vagabonds, 1970), Bessie Head (Question de pouvoir, 1973) – ont choisi de vivre à l'étranger d'où ils continuent à dénoncer l'oppression dont sont toujours victimes leurs compatriotes. La plupart de leurs œuvres, en grande partie autobiographiques (Au bas de la deuxième avenue, 1959, de Mphahlele ; Chocolats pour mon épouse, 1961, de Todd Matshikiza ; la Faute à l'Histoire, 1963, de Bloke Modisane), racontent dans leurs moindres détails – misère des bidonvilles, rafles de la police, mesures vexatoires – les innombrables humiliations de l'apartheid.

Cette dénonciation va de pair avec les plus extrêmes réticences vis-à-vis des tentatives de récupération gouvernementales, en particulier à l'égard de la politique dite de « développement séparé des races », qui tend à encourager l'essor des littératures de langues bantoues. C'est la raison pour laquelle de plus en plus d'écrivains noirs choisissent de s'exprimer en anglais – moyen de sensibiliser l'opinion internationale – et refusent avec la dernière énergie l'idéologie de la négritude telle qu'elle a été formulée par Léopold Senghor, idéologie dans laquelle certains d'entre eux, Mphahlele (Image de l'Afrique, 1962) ou Lewis Nkosi (Au pays et en exil, 1965), ne voient qu'un jeu d'esthètes aliénés et un renfort inespéré pour les partisans des thèses de l'apartheid.

Malgré Douglas Livingstone (Rosaire d'ossements, 1975) ou Sheila Couzyn (Christmas in Africa, 1977), ce sont d'ailleurs les poètes noirs qui occupent la place prépondérante avec Oswald Mtshali (Son d'un tambour en peau de vache, 1971), Wally Serote, Dennis Brutus, dont les Lettres à Martha (1969) racontent l'emprisonnement du poète au bagne de Robben Island, ou les métis comme James Matthews (Cry Rage) et Don Mattera.

Lignes de forces actuelles

Au total, ce qui donne son unité à la littérature sud-africaine contemporaine, indépendamment des clivages linguistiques, c'est avant tout, comme le fait remarquer Nadine Gordimer (The Novel and the Nation), sa thématique étroitement articulée autour du problème de la ségrégation raciale et son engagement politique. Néanmoins, la situation des écrivains blancs et des écrivains de couleur présente une différence notable dans la mesure où les premiers sont les porte-parole des communautés noire et métisse, alors que les seconds, en prenant la défense des exclus et des opprimés, s'exposent au double risque d'être rejetés par leurs compatriotes et accusés de paternalisme par les Africains.

Si l'on voulait caractériser en un mot la dernière décennie, le terme qui conviendrait le mieux est sans doute celui de radicalisation. Radicalisation de la révolte chez les écrivains noirs, d'abord, qui sont passés progressivement de l'illusion libérale au « black consciousness », un mouvement qui par bien des points s'apparente à celui des Black Panthers aux États-Unis. Le temps n'est plus, en effet, où la littérature noire prospérait à l'ombre des missions chrétiennes ; depuis bientôt vingt ans, elle s'est déplacée en direction des grandes métropoles et de leurs bidonvilles, et elle a acquis ce rythme et cette agressivité dont le magazine Drum aura été à la fois le catalyseur et le symbole. Fini donc le temps de l'apitoiement sur soi et sur sa condition de nègre ; désormais « Black is struggle », pour reprendre le titre d'un des poèmes de Pascal Gwala, l'un des plus grands poètes noirs sud-africains contemporains.

Dans un sens opposé, la même radicalisation est perceptible chez les écrivains blancs d'Afrique du Sud dont les œuvres trahissent, d'une manière plus ou moins métaphorique, une véritable mentalité d'assiégés. Le fantasme d'enfermement dans une citadelle, investie de toutes parts par les Noirs révoltés, est particulièrement manifeste dans les dernières œuvres de Nadine Gordimer (July's People, 1981), de J. M. Coetzee (En attendant les Barbares, 1980 ; Michael K., sa vie, son temps, 1983) ou d'Elsa Joubert (Poppie), et il s'affiche même de manière encore plus explicite dans le sous-titre d'André Brink, Sur un banc du Luxembourg : essais sur un écrivain dans un pays en état de siège (1983). La mauvaise conscience, l'attente angoissée de l'apocalypse, le désarroi et, à la limite, le sentiment d'être en état de survie hantent en effet la plupart des personnages que mettent en scène les romans de Brink ou de Gordimer.

D'une manière qui peut paraître paradoxale, des deux côtés de la « frontière » l'obsession de « la situation » conduit les écrivains sud-africains, qu'ils soient blancs ou noirs, à se tourner vers le passé. Cette recherche du temps perdu se traduit en particulier chez les Blancs par la nostalgie de l'époque héroïque des pionniers, le Grand Trek, tandis qu'émerge dans la poésie et le théâtre noirs, en particulier le théâtre de quartier des « townships », une véritable parole collective dont les racines s'enfoncent dans le passé ancestral. Celui qui exprime le mieux, actuellement, cette volonté de ressourcement est certainement Muzisi Kunene qui a tenté de restituer la figure légendaire de Chaka dans un somptueux poème de plus de 15 000 vers (Le Grand Empereur Shaka. Une épopée Zoulou, 1979). Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, a-t-on le sentiment de se trouver en présence d'une littérature palimpseste qui, sous les couches successives laissées par des générations d'écrivains, laisse finalement resurgir une mémoire du fond des temps.