Adam le Bossu ou Adam de la Halle
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Trouvère picard (Arras, vers 1240 – vers 1287).
Natif d'Arras, qui fut au xiiie siècle un centre économique, culturel et poétique de première importance, « maître » Adam de la Halle (il a dû obtenir sa maîtrise à Paris) a été surtout admiré de son temps pour ses talents de musicien et de poète. Ont été conservés avec leurs mélodies des chansons, des jeux-partis, des rondeaux, des motets à plusieurs voix d'inspiration profane, qui ont assuré sa réputation auprès de la puissante Confrérie des jongleurs et bourgeois d'Arras ou auprès du Puy d'Arras. Dans ses chansons, Adam, bon élève des trouvères, laisse parfois percer une réaction plus personnelle à l'amour et à sa dame, à laquelle fait écho le « je » Adam, partagé entre amour et « clergie », du Jeu de la feuillée, son œuvre majeure, sans doute composée et jouée pour une séance de la confrérie. Dans son Congé, poème contemporain du Jeu de la feuillée et adieu lyrique à l'amour, à son amie, à ses compagnons et à sa ville, Adam se livre aussi à une critique acerbe de la société d'Arras corrompue par l'argent. Selon le Jeu du pèlerin, Adam a accompagné en Italie (à Naples) Robert d'Artois venu au secours de son oncle Charles d'Anjou, pour qui le poète a composé une sorte de chanson de geste, le Roi de Sicile.
Transposant avec brio, pour un public aristocratique, les situations propres aux pastourelles (poésies stylisant la rencontre en pleine nature d'un chevalier sûr de lui et d'une bergère plus ou moins complice), Adam s'amuse dans le Jeu de Robin et Marion (1275) à mettre en scène les avances amoureuses d'un chevalier balourd, ridiculisé par la bergère, et les divertissements rustiques, parfois grivois, parfois violents, de bergers de fantaisie. Figure centrale de ce divertissement qui annonce le genre de la pastorale, l'aimable Marion incarne le rêve toujours menacé d'un bonheur paisible au sein de la nature.
Tirant son titre de la « feuillée » où était exposée à Arras, à la Pentecôte, la châsse de Notre-Dame, le Jeu de la feuillée (1276) est la première pièce en français qui unisse comique et sujet entièrement profane. Pièce de circonstance, le « jeu » met en scène autour du « je » Adam des bourgeois d'Arras, nommément désignés, dont certains jouent peut-être leur propre rôle et qui finiront la nuit dans une taverne de la ville, lieu théâtral déjà utilisé par Jean Bodel dans le Jeu de saint Nicolas. D'abord centré sur le discours d'Adam, se justifiant avec emphase et brio de reprendre ses études à Paris et de quitter une femme qu'il ne désire plus, le jeu glisse vers une sorte de revue satirique aussi leste que grinçante de la bourgeoisie (et des femmes) d'Arras menée par les compagnons d'Adam, qu'interrompent sur le mode grotesque les interventions d'un médecin charlatan, d'un moine cupide, d'un fou et de son père, etc. Le moment le plus spectaculaire est la féerie (le repas préparé pour les fées par les vieilles femmes de la ville), qui met en scène trois fées (dont Morgain) aussi ridicules que ridiculisées et qui culmine avec la présentation de la Roue de Fortune où sont suspendus de puissants Arrageois. Le finale se joue dans l'ivresse et la cacophonie de la taverne d'où sont finalement exclus le moine et le fou. On verra aussi bien dans ce jeu la représentation d'une société assez sûre d'elle-même pour railler avec verve ses vices, que le drame existentiel d'Adam, jouet de la Fortune, hésitant entre études et vie bourgeoise, et définitivement englué dans la médiocrité arrageoise.