les Marginaux

Oka Oorie Katha

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Drame de Mrinal Sen, avec Vasudeva Rao (le père), Mamata Shankar (la bru), Narayana Rao (le fils).

  • Scénario : Mrinal Sen, Mohit Chattopadhyaya, d'après Munshi Premchand
  • Photographie : K.K. Mahajan
  • Musique : Vijai Raghava Rao
  • Montage : G. Naskar
  • Production : Paradhama Reddy
  • Pays : Inde
  • Date de sortie : 1977
  • Son : couleurs
  • Durée : 1 h 55

Résumé

Dans un village, un vieillard et son fils vivent misérablement, à l'écart d'une société répressive et quasi féodale. Mais le fils se marie, et l'arrivée de la jeune épouse met en cause cette marginalité. Enceinte, elle se tue au travail pour essayer de construire un foyer. En vain : faute de soins, elle meurt en couches, « laissant les deux hommes dans l'amertume et le désespoir » (Mrinal Sen).

Commentaire

Silences et cris

Cinéaste issu de la génération en colère du cinéma indien des années 1950 (avec Satyajit Ray et Ritwik Ghatak), Mrinal Sen tourna son premier film en 1956. Depuis, au long de son inégal parcours, il a toujours recherché l'équilibre entre un souci d'engagement social et la maîtrise d'un style personnel, qu'il définit ainsi : « Seul ce qui est émotionnellement vrai peut devenir esthétiquement vrai ». Son dix-huitième film, les Marginaux, constitue peut-être l'expression la plus aboutie de cette quête.

Mrinal Sen, qui a si souvent choisi le cadre urbain pour filmer ses apologues didactiques, ouvre ici son regard à la beauté de grands paysages dénudés. C'est sur le mode de la fable qu'il raconte son histoire : pour nous parler de société, il choisit des marginaux absolus. Après avoir décrit l'exploitation des paysans par les « propriétaires de village », Mrinal Sen brosse le portrait anticonformiste d'un vieil ermite, obsédé par le refus des compromis avec le monde extérieur. Cet oisif professionnel fait de sa misère même une condition de sa révolte – en brandissant sa pauvreté comme une provocation, il hurle sa liberté.

Mais la faille se devine assez vite chez cet anarchiste édenté qui clame son insoumission en urinant contre un mur, comme le Boudu de Renoir crachait dans les livres. On s'étonne qu'il ait un fils : rejeton au sens propre, seul souvenir de ce passé qu'il a rejeté. Un passé d'opprimé, de travailleur, de père de famille qui a vu mourir son épouse après huit fausses couches : justification de sa marginalité, prémonition de l'atroce dénouement du film. L'arrivée d'une femme, d'ailleurs elle-même exclue de la communauté, va signifier le retour inconscient à un ordre social abhorré. Dans Une journée comme les autres (Sen, 1979), l'absence de la fille aînée, soutien matériel du foyer, provoquait la panique dans le microcosme familial. Ici, la présence de la bru déclenche le même effroi, pour des raisons inverses : sa belle autonomie menacée, le vieillard constate avec fureur qu'il doit s'interdire, désormais, le soulagement naguère antisocial de ses besoins naturels ! Les marginaux auront beau « éliminer » la jeune femme de leur univers, la société aura le dernier mot : ultime avilissement, le père et le fils seront obligés de mendier pour les obsèques.

La grande force de Sen est d'avoir refusé de « romancer » la misère de ses protagonistes. Il fait émerger de leur autodestruction observée au quotidien des vertus positives, créatrices, des cris d'indépendance. Sauvagerie et tendresse, gags et sanglots s'y côtoient avec le même bonheur que chez les marginaux de Kurosawa (Dodes'ka-den) ou de Papatakis (la Photo). La mise en scène épouse remarquablement ces contrastes, alternant la grandiloquence et l'extrême dépouillement, comme ces hurlements libérateurs venant rompre le silence du désespoir.