le Sacrifice

Offret

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Drame psychologique d'Andreï Tarkovski, avec Erland Josephson (Alexandre), Susan Fleetwood (Adélaïde), Valérie Mairesse (Julia), Allan Edwall (Otto, le facteur), Gudrún S. Gisladóttir (Maria), Sven Wollter (Victor), Tommy Kjellqvist (le petit garçon).

  • Scénario : Andreï Tarkovski
  • Photographie : Sven Nykvist
  • Décor : Anna Asp
  • Musique : Bach, musique japonaise et chants de bergers suédois
  • Montage : A. Tarkovski, Michal Leszczylowski
  • Production : Argos Films, Svenska Filminstitute
  • Pays : Suède et France
  • Date de sortie : 1986
  • Son : couleurs
  • Durée : 2 h 25
  • Prix : Grand Prix spécial du jury, Cannes 1986 ; Prix de la Critique internationale

Résumé

Critique, journaliste et professeur réputé, Alexandre habite, dans l'île de Gotland, une maison qu'il aime beaucoup : il y vit entouré de sa femme, l'insatisfaite Adélaïde, de son petit garçon et de Martha, la fille qu'a eue Adélaïde d'un premier mariage. Le jour de son anniversaire, se produisent d'étranges événements : une guerre totale (nucléaire) est annoncée à la télévision. Terrorisé, Alexandre prie pour la première fois de sa vie et fait à Dieu la promesse de quitter tout ce qu'il aime si le péril est écarté. Le singulier facteur de la contrée, Otto, un étrange personnage qui philosophe, indique à Alexandre que sa femme de ménage, Maria, est une sorcière, et que coucher avec elle est le moyen de mettre fin à tout cela. Retourné chez lui, il se réveille le lendemain dans un monde qui a effacé jusqu'au souvenir de la menace. Il commence à accomplir sa promesse en mettant le feu à sa belle maison, puis se laisse emmener par une ambulance sans rien dire. Mais son petit garçon, qui pendant tout le film s'est tenu muet, emporte les paroles du père : « Si chacun accomplissait tous les jours, avec ténacité, une même action apparemment insignifiante, la face du monde pourrait être changée ».

Commentaire

Un regard voilé sur les êtres et les choses

Inspiré d'une nouvelle écrite en 1984 par le réalisateur, le dernier film de Tarkovski est, à tous égards, une œuvre stupéfiante. D'abord parce que bâti sur une histoire abracadabrante, qu'il raconte avec un art de l'ambiguïté sans pareil. Ensuite parce qu'il réussit le prodige de rester aussi étrange et personnel que ses autres œuvres cent pour cent russes. Enfin parce qu'il présente une extraordinaire mixture de pensée magique et païenne (la sorcière avec laquelle il faut coucher pour conjurer la guerre) et de problématique chrétienne. À plus d'un moment, le Sacrifice, par ses ellipses, ses non-dits, et la coexistence de réalités contradictoires, semble au bord de la schizophrénie. Il ne permet jamais de trancher entre la thèse de la réalité de la guerre et celle de la folie d'Alexandre. C'est aussi un film déjà proche de la tombe, avec un regard inoubliablement lointain et voilé sur les êtres et les choses. Cependant, le cinéaste exilé y reste fidèle à ses thèmes : une terre où tout semble réglé par les caprices et les sautes d'humeur du cosmos, un monde pan-féminin où il est difficile de faire régner une parole paternelle (pour être « père » aux yeux de son fils, le héros ne doit rien moins que se sacrifier et passer pour fou).

La facture cinématographique de l'œuvre est elle aussi passionnante, parce qu'irréductible à une formule simple : malgré quelques plans-séquences mémorables, il est normalement découpé. Cependant les cadrages, mis au point par le réalisateur lui-même, ne cessent de marquer la présence du sol ou de la terre. L'image en couleurs, passe par toute une phase « décolorée » dans un « entre-deux » indéfinissable.

Film obscur et compliqué, le Sacrifice est cependant une œuvre profondément émouvante parce qu'elle transmet le regard d'un homme qui semble avoir été « blessé à vie », autrement dit n'avoir pu respirer au rythme de l'existence commune qu'avec une immense difficulté, par l'art, la maladie et, finalement, la mort.