la Foule

The Crowd

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Drame de King Vidor, avec Eleanor Boardman (Mary), James Murray (John Sims).

  • Scénario : King Vidor, John V.A. Weaver, Harry Behn
  • Photographie : Henry Sharp
  • Production : Irving Thalberg
  • Pays : États-Unis
  • Date de sortie : 1928
  • Son : noir et blanc ; muet
  • Durée : 2 600 m (environ 1 h 45)

Résumé

John Sims naît le 4 juillet 1900. À l'âge de 12 ans, il voit mourir son père. Arrivant à New York à 21 ans, il devient employé aux écritures et se laisse entraîner à Coney Island pour une escapade qui le mène droit au mariage. Au Noël suivant, il déserte le réveillon familial. En avril, après une querelle, sa femme lui annonce qu'elle est enceinte. Son fils naît en octobre. Cinq ans plus tard, avec « un enfant et huit dollars de plus », il invente sur la plage un slogan publicitaire qui lui rapporte 500 dollars, mais sa fille meurt écrasée par un camion le jour de son triomphe. Alors commence sa déchéance : incapable de continuer à travailler, il songe au suicide quand son fils lui redonne courage, assez pour qu'il accepte un emploi de bateleur au service d'une réclame ; comme son épouse a renoncé à le quitter, la famille, perdue dans la foule du théâtre, applaudit ce soir-là un jongleur qui ressemble à John Sims.

Commentaire

L'Individu anonyme

Fait pour continuer la Grande Parade, le film évoque une vie banale, avec ses instants de bonheur et ses problèmes domestiques, mais aussi son épreuve mélodramatique, avant la réconciliation finale, dont la tournure invite le spectateur à méditer sur son propre cas.

En contrepoint, une méditation sur l'anonymat. Se croyant promis à un grand destin, John est plongé par une série de plans vertigineux dans la cohue de la métropole. Bureaux, couples, berceaux : tout vient en série. Malgré son lyrisme, l'idylle même se réduit à des clichés. La pléthore ne rend pas seulement le quidam insignifiant : la foule reluque ses amours ; elle le presse ; elle aggrave son chagrin de ses bruits ; elle retarde, par sa masse même, sa réhabilitation. Il est vrai qu'il la nargue à l'occasion ; il est vrai surtout que ses échecs tiennent au caractère chimérique et paresseux de ses ambitions. Mais son absence de singularité reste accablante : Vidor avait choisi un acteur sensible, mais inconnu.

Le film coûta 551 millions de dollars et fut tourné en grande partie à New York. La peinture précise de la vie moderne assura son succès et Vidor pourra lui donner une suite, Notre pain quotidien, en 1934. Quant à sa morale, elle est complexe. Sept dénouements avaient été réalisés ; le plus heureux ne fut pas retenu. Tel quel, l'ouvrage n'a pas cessé d'inspirer la discussion : Paul Rotha regrettait la solution de continuité entre l'intimisme et la vision de la masse ; Welford Beaton niait qu'un homme ordinaire pût intéresser le public ; Marshall Deutelbaum voit en Sims un individu prisonnier de son incapacité à comprendre combien il ressemble aux autres ; Barthélemy Amengual note que son drame est celui de l'ambition… Mais n'est-ce pas aussi l'absence de subjectivité d'un homme réduit au mutisme ? Comme Crépuscule de gloire, Tabou et les Lumières de la ville, la Foule répond au cinéma sonore, que Vidor défie par instants sur son terrain même.

  • 1928 La Foule, film de K. Vidor.