société

PHILOSOPHIE POLITIQUE

Du point de vue philosophique, le mot « société » est ambigu : il désigne à la fois un ensemble de relations spontanées, fondées sur des rapports de dépendance, et un ensemble de relations fondées sur un accord réciproque (société civile). Dans le premier cas, contrairement au second, la société ne signifie pas une association volontaire. Elle relève toujours des intérêts particuliers ; son objet n’est jamais l’intérêt général. Elle n’obéit pas à une logique d’ensemble ; elle se régule elle-même par tâtonnement, négociation ou conflit. Elle ne concerne pas directement la sphère publique. La société a des règles non instituées, comme la bienséance ou le savoir-vivre.

La société se définit donc par distinction d’avec l’État ; toutefois, il ne semble pas possible de séparer État et société : la question de leurs relations est fondamentale.

La société et l’État : deux logiques distinctes

La société, étant définie comme l’ensemble constitué par les relations entre individus ou groupes d’individus sans intervention extérieure, naît des relations d’échanges, du jeu des besoins et des intérêts. Elle a une certaine rationalité en ceci que les individus entretiennent entre eux des relations fondées sur le calcul des profits et des pertes. Les conflits ne l’emportent pas sur les liens d’interdépendance : la société se maintient par une forme d’autorégulation, chacun ayant intérêt à ce que les autres soient en mesure d’échanger. Comprise ainsi, la société est le lieu des relations naturelles comme la famille ; elle est aussi le lieu de l’initiative, de la récompense par le succès et de la sanction par l’échec. La société est en outre le lieu de l’activité économique. En son sein, la combinaison des intérêts particuliers produit de façon plus ou moins parfaite une forme d’intérêt général. Selon Adam Smith, auteur des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), tout se passe comme si une « main invisible » mettait en ordre la diversité des actions individuelles. Bernard de Mandeville (1670-1733), dans la Fable des abeilles (1714), montre comment la prospérité de tous vient du fait que chacun ne cherche que son propre intérêt. Enfin, l’Idée d’une histoire universelle (1784) d’Emmanuel Kant met en avant le paradoxe de l’insociable sociabilité : la méfiance et l’ambition conduisent chacun à renoncer à la paresse et à développer ses qualités, ce qui profite à tous.

L’État, en revanche, est institué en vertu d’un volontarisme politique : il régule ce qui ne se régule pas de soi-même ; il adopte d’emblée le point de vue de l’intérêt général. Il est nécessairement supérieur aux parties en présence. La question du rapport entre société et État ne manque donc pas de se poser.

La société et l’État : des relations complexes

En vertu du principe de subsidiarité, l’État est censé assurer les fonctions que la société ne peut pas assumer. Rendre la justice, organiser la sécurité intérieure et la défense extérieure, garantir la monnaie : ces trois fonctions nécessitent l’intervention d’un tiers investi d’une légitimité reconnue par tous ; on les appelle fonctions « régaliennes » parce qu’elles étaient l’apanage du roi et que, par extension, elles sont devenues celles de tout pouvoir politique. Le modèle républicain français a ajouté l’instruction à ces fonctions classiques – la formation des citoyens étant comprise comme une tâche publique et non pas seulement privée. La revendication sociale du Front populaire relayée par l’essor de l’État providence a ajouté la prise en charge des dépenses de santé. Le souci de la souveraineté nationale après la Seconde Guerre mondiale a conduit à la nationalisation des chemins de fer et de la production d’énergie.

Le rôle de l’État s’est donc accru considérablement, restreignant le champ d’action de la société. Cette situation fait l’objet d’un débat très vif, opposant les partisans de l’État fort aux défenseurs du libéralisme. Les mesures de privatisation des entreprises, de déréglementation et de simplification de l’Administration semblent laisser aujourd’hui plus de place à la société.

La société civile

La notion de société civile était, jusqu'à Hegel, équivalente à celle de « société politique ». Elle signifiait alors l'état de société opposé à l'état de nature, autrement dit, une communauté politique organisée autour d'un État.

La société civile, toujours pensée en référence à l'État, prend au xixe s. sa signification classique. Hegel est l'un des premiers à opérer la division entre État et société civile, cette dernière recouvrant la sphère des intérêts privés des individus, les réalités économiques et sociales, par opposition au domaine politique, ainsi que les institutions qui en découlent (celle du droit de propriété privée en particulier).

La société civile n'est plus conçue comme un espace de liberté, car elle est le théâtre des affrontements des intérêts particuliers ; ses contradictions seront régulées et dépassées par l'instance étatique, représentante de l'intérêt général, grâce à laquelle les individus pourront atteindre la « paix civile ». Marx sera très critique à l'égard de la théorie hégélienne de l'État, mais il poursuivra la définition de la société civile comme étant le lieu d'expression de la lutte des classes.

La séparation entre État et société civile est à l'origine du sens qu'on lui attribue communément aujourd'hui : elle comprend l'ensemble des individus extérieurs à la classe politique, s'opposant ainsi à la société politique. Dans un certain discours contemporain, la société aurait ses propres représentants, qui se distingueraient des « professionnels de la politique », qualifiés dans ce cas de manière péjorative.