le romantisme en musique

Ludwig van Beethoven
Ludwig van Beethoven

La plupart des exégètes du romantisme s'accordent à définir celui-ci comme un ensemble de mouvements intellectuels qui, dès la fin du xviiie s., donnent en général la prépondérance au sentiment sur la raison et s'efforcent soit de parfaire ou de dépasser le classicisme (en Allemagne), soit de combattre ses défenseurs et ses disciples (en France). Une semblable tendance fondée sur la primauté foncière de l'affectivité devait naturellement trouver un terrain favorable à son épanouissement dans le domaine des beaux-arts et un écho plus particulièrement sensible dans le cœur des musiciens de cette époque.

Origines

Au sein même du classicisme finissant s'ébauchent les premiers symptômes du romantisme musical, déjà pressenti. Les littérateurs et les poètes l'annoncent en France à la veille de la Révolution, tandis que les philosophes et les dramaturges allemands lui fournissent un tremplin. La comédie larmoyante avec Nivelle de La Chaussée, les écrits de Jean-Jacques Rousseau, la naissance du drame bourgeois, qui détrône les héros mythologiques au profit de personnages plus humainement réels, les conflits moraux, familiaux et sociaux, dont la scène devient le témoin favori, révèlent un état d'esprit nouveau, où l'affectivité revendique ses droits, en même temps que s'instaure progressivement une conception nouvelle de la nature, promue au rôle de confidente suprême des états d'âme romantiques. Les opéras-comiques de cette époque et même les opéras de Gluck en offrent maint exemple.

En Allemagne, le théâtre de Schiller (Intrigue et Amour), ses Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, prônant le retour aux sources populaires, à la poésie naïve de l'enfance et à l'instinct de jeu, orientent tout naturellement le singspiel vers les anciennes légendes, l'exotisme, le fantastique ou l'hallucinant. Le Faust de Goethe nous dira que « deux âmes habitent en sa poitrine », affirmant ainsi l'existence d'un devenir immanent à l'être. La vie intérieure s'anime ; elle tend à sortir d'elle-même, à s'extérioriser, à clamer sa présence dans un élan irrésistible qui va devenir le fondement et la finalité du lyrisme des compositeurs romantiques. Les événements politiques et sociaux, l'évolution des idées qu'ils engendrent (en particulier quant aux notions de liberté, d'autorité, d'ethnicité), l'influence des systèmes philosophiques qui, de Kant à Fichte, traitent le problème des rapports de l'intelligence et de la sensibilité autant qu'ils postulent l'affirmation du moi (cf. Fichte : « Le moi se pose en s'opposant ») accentueront encore les tendances précédentes en les acheminant vers un lyrisme intense et souvent (ce sera le cas pour Berlioz) exacerbé.

Les pionniers du romantisme

C'est à juste titre, semble-t-il, que les historiens du romantisme musical nomment en tout premier lieu Beethoven, Weber et Schubert ; en eux s'incarnent à des degrés divers les différents genres cultivés par les compositeurs romantiques : la symphonie, l'esprit du lied et la musique dramatique (incluant la musique à programme). Il est permis de considérer Beethoven comme l'un des derniers classiques par la forme et de voir en lui l'un des premiers romantiques par la mise en valeur de l'idée, car, chez lui, la musique prend figure de message ; s'il conserve les structures formelles du classicisme, il doit en repousser sans cesse les limites et leur donner une dimension proportionnelle à l'ampleur des idées humanitaires ou panthéistiques qu'il les charge de nous transmettre ; d'où l'expansionnisme de ses symphonies, qui visent à universaliser ses propres sentiments, mais aussi le dépouillement extrême des derniers quatuors, reflet d'une vie intérieure intense, où se profile parfois, à l'approche de la mort, le mystère de l'au-delà.

Homme de théâtre avant tout, Carl Maria von Weber se plonge dans la féerie des créatures irréelles, où le ballet romantique puisera dès 1832 (la Sylphide) son inspiration essentielle. Mais, auprès de ces évocations légendaires, les héros de ses drames incarnent avec un relief saisissant les aspects typiques de l'âme populaire, qu'il s'agisse de leurs amours humaines ou du sentiment de la nature qui les habite. Venant après l'Ondine (1814) de E. T. A. Hoffmann et le Faust (1816) de Louis Spohr, le Freischütz marque en 1821 l'avènement de l'opéra romantique allemand, et Weber saisit cette occasion pour souligner l'importance du caractère national en matière d'art. Son inspiration mélodique de tour populaire (authentique ou recréé) justifie amplement cette conception, qui paraît alors audacieuse.

Moins ambitieux, Franz Schubert se complaît dans l'intimité du lied et dans la fréquentation des poètes authentiques, tels Novalis, Heine, Shakespeare, Schiller et Goethe ; fraîcheur d'âme, spontanéité d'inspiration, profondeur de l'émotion, aisance extrême dans la disposition originale des structures strophiques, tels sont les aspects principaux de l'alliance nouvelle qu'il consacre entre la poésie et la musique sous le sceau du romantisme ; et sa musique de chambre comme ses œuvres d'orchestre restent empreintes de ces tendances à la simplicité naïve mais géniale dont Schiller appelait ardemment le retour. Schubert n'a-t-il pas cultivé en outre, comme son contemporain Carl Loewe (1796-1869), le genre spécifiquement romantique de la ballade (genre auquel Bürger, Goethe et Schiller avaient littérairement donné droit de cité), dont s'inspirera également la musique de piano ?

Le romantisme allemand

S'engageant dans la voie que leur ont tracée Weber et Schubert, subissant l'influence des théoriciens et des poètes qui s'efforcent de réaliser la fusion des genres, des arts et même des élans sensibles (cf. les frères Schlegel, Tieck, Hoffmann, Schleiermacher, Heinse, Wackenroder, Jean-Paul Richter, etc.), subjugués par la philosophie de Hegel et de Schopenhauer, leurs successeurs allemands vont naturellement introduire dans la musique des éléments littéraires, narratifs, descriptifs, plastiques ou picturaux. Ils se sentent mal à l'aise dans les formes traditionnelles de la symphonie et de la sonate, et se tournent résolument vers les formes libres, plus aptes à extérioriser leur moi. La musique de Schumann épouse la forme de ses états d'âme, et Victor Basch n'y entrevoit qu'une « immense Sehnsucht inassouvie ». L'idée domine volontiers la forme et la conditionne, même lorsqu'elle est d'ordre extra-musical, comme c'est parfois le cas chez Mendelssohn lorsqu'il professe que « la musique est plus définie que la parole ». Conception qui achemine la musique vers la notion de « l'art pour l'art », dont Brahms est, au sein du romantisme, l'un des représentants les plus éminents.

C'est en Richard Wagner que s'épanouira finalement l'école romantique allemande. Son drame musical en réunit à peu près toutes les tendances ; s'efforçant d'opérer une vaste synthèse de la poésie, de la musique, des arts plastiques et de la mise en scène, Wagner opte pour le mythe, qui lui permet d'instaurer une forme d'art à la fois nationale (grâce à l'évocation des vieilles légendes germaniques) et universelle (en raison de l'essence purement humaine qu'il laisse entrevoir par-delà ses apparences contingentes). L'élaboration d'une telle œuvre va de pair avec les idées romantiques concernant la liberté de l'artiste créateur et les facteurs sociologiques dont elle doit nécessairement s'accompagner. De plus, elle réintègre l'homme et la vie dans l'élan cosmique qui les emporte ; elle rejoint à ce titre, à travers l'acceptation du destin, le néo-hellénisme, que les idées de Winckelmann ont contribué à introduire en Europe à l'aube du romantisme.

Chopin et Liszt

Le romantisme, soit par imitation, soit par réaction, est à l'origine de mouvements musicaux à tendance nationale et de l'éveil musical d'un certain nombre de pays : Pologne, Hongrie, Russie.

Ardent patriote, Chopin confie au piano ses états d'âme évanescents ou fougueux ; mais ce qu'il suggère est plus important que ce qu'il dit ; à travers les formes libres qu'il utilise, son imagination, sa rêverie se sentent à l'aise, et l'errance de leur trajet rejoint l'esprit immatériel et féerique du romantisme allemand, avec, toutefois, une sensibilité plus fragile et plus nuancée.

Tout autre apparaît Liszt, dont l'art, épris de grandeur, se rapproche fréquemment de celui des antiques rhapsodes. Le tempérament passionné de l'artiste, la générosité de l'homme se reflètent dans les élans lyriques de ses amples compositions, toujours somptueusement parées ; le sens de la grandeur s'y révèle non par une ascèse intérieure, comme chez Brahms, mais par une puissance créatrice qui débouche sur la vie intense et frôle parfois à ce titre, sans y jamais sombrer, la grandiloquence. L'idée, cependant, maintient la forme, particulièrement dans les poèmes symphoniques, dont la nature et la dimension sont toujours adéquates au développement de l'idée contenue dans le « programme » qui les a engendrés.

Le romantisme français

Deux tendances caractérisent le romantisme français, et deux noms l'incarnent au regard de l'histoire.

La personnalité de Berlioz, dont le nom est inséparable de ceux de V. Hugo et de E. Delacroix, fait de ce compositeur le représentant le plus authentique du romantisme français. Son ardeur juvénile, ses élans enthousiastes, ses amours passionnées et toujours malheureuses sont présents dans une œuvre tumultueuse, où semblent s'inscrire les étapes successives d'une immense autobiographie. Épris des masses sonores imposantes (dont les fêtes populaires de la Révolution lui avaient peut-être légué le goût) et d'un tempérament dramatique exemplaire, Berlioz a voulu faire de ses œuvres symphoniques des évocations colorées de scènes vigoureuses, fantastiques ou sentimentales, dont il établissait lui-même le « programme », à l'instar de son maître Le Sueur. Jamais, sans doute, l'affirmation du moi n'a été aussi loin chez les artistes romantiques, et l'art tout extérieur, théâtral et grandiloquent d'un Giacomo Meyerbeer (1791-1864) paraît bien pâle auprès de celui de Berlioz.

César Franck incarne avec humilité l'autre aspect du romantisme musical français : reflet d'une mystique orientée vers la vie intérieure et tendue vers Dieu ; son œuvre, au cours de ses modulations incessantes, est toujours, dira Jacques Rivière, « comme une main qui s'ouvre lentement, comme l'insensible introduction à plus de lumière, comme une clarté filtrant à travers plus d'espace ». C'est dans une voie identique que s'engageront ses élèves : Ernest Chausson (1855-1899), Duparc et Vincent d'Indy.

Le romantisme dans les autres pays

Le seul grand nom du romantisme musical italien est celui de Verdi ; son lyrisme abondant et son génie de l'effet dramatique font de lui, dans le domaine de l'opéra, l'égal de ce que fut Victor Hugo dans le domaine de la poésie. Ses deux dernières œuvres, Othello (1887) et Falstaff (1893), semblent résumer les deux pôles de son art, qui s'ouvre en son ultime manifestation à la féerie, dans l'esprit du scherzo.

Le romantisme musical a eu d'ailleurs dans tous les autres pays un retentissement immense, peut-être en raison de ses caractères extra-musicaux plutôt que pour la valeur proprement artistique de ses maîtres. Sa vogue s'est prolongée pendant tout le xixe s. ; les musiciens russes (le groupe des Cinq), tchèques (Dvořák, Smetana), scandinaves (Grieg) et finlandais (Sibelius) lui doivent beaucoup.

Prolongements du romantisme

L'influence de Wagner se fait encore sentir en Autriche dans les œuvres d'Anton Bruckner, de Hugo Wolf et de Mahler, tandis qu'en Allemagne le romantisme jette ses feux ultimes avec Hans Pfitzner (1859-1949) et Richard Strauss, créateur du style de la « conversation musicale ».

Malgré l'influence persistante du wagnérisme, certains musiciens commencent, dès la fin du xixe et au début du xxe s., à se détourner des conceptions romantiques : les véristes italiens (P. Mascagni, R. Leoncavallo, G. Puccini), les naturalistes français (A. Bruneau, G. Charpentier), l'impressionniste Debussy. En d'autres pays s'affirme un néo-classicisme (Bartók, Schönberg, Hindemith, Stravinski) en réaction contre les tendances pittoresques et extra-musicales héritées du romantisme.

Le matériau sonore

L'originalité du romantisme musical a été favorisée par un certain nombre d'apports nouveaux, dont les compositeurs se sont emparés aussitôt. La disparition de la basse continue et sa répartition entre les groupes d'instruments de l'orchestre, dont Haydn a été l'un des premiers artisans, ont mis en valeur la notion de « timbre » et l'emploi expressif qu'on en peut faire ; en faisant « chanter » ses allégros (symphonie en sol mineur par exemple), Mozart introduisait la notion de lyrisme dans un mouvement voué jusqu'alors à la virtuosité. Les compositeurs romantiques trouvaient donc dans le legs des derniers classiques deux des principaux éléments nécessaires à la réalisation de leurs desseins. Le perfectionnement de la facture des instruments, l'apparition de plusieurs autres instruments, entraînant le développement de la technique d'exécution et d'orchestration, modifiant aussi dans une certaine mesure la syntaxe (cf. le clair-obscur de nombreuses harmonies de Schumann), ont grandement contribué à l'évolution d'un genre dont Wagner et Berlioz marquent l'apogée. Il semble bien que le Grand Traité d'instrumentation et d'orchestration modernes (1843) de ce dernier témoigne d'un art et d'une science des timbres dont le pittoresque et l'expressivité n'ont jamais été dépassés. Il en est de même s'il s'agit de la technique du piano sous les doigts d'un Chopin ou d'un Liszt. À ce titre, l'évolution du matériau sonore a grandement servi l'épanouissement du romantisme.

Visages du romantisme

À l'ombre des données fondamentales du romantisme, deux grands courants se manifestent. D'une part, le romantisme allemand fait appel à l'intuition sensible pour pénétrer le sens cosmique des grands symboles vitaux ; pour résoudre la dualité qui existe entre la petitesse de l'homme et son rêve infini, le retour intuitif à l'unité primordiale de toute chose lui semble nécessaire. Le romantisme allemand vise donc à la profondeur, à la recherche de l'essence des choses et de l'absolu ; dès lors, la mort, pour lui, devient l'étape nécessaire qui prépare l'accession à une vie plus haute et transfigurée (cf. la mort d'Isolde de R. Wagner).

D'autre part, le romantisme français (notamment celui de Berlioz et des « Jeune-France ») s'oriente vers une vision externe du monde, car c'est au sein de l'univers tout entier que ses représentants s'efforcent, en s'y projetant eux-mêmes, d'en atteindre l'essence et peut-être, en bons panthéistes, d'y trouver Dieu. Ils tentent, en outre, d'abolir l'antagonisme qui oppose l'homme réel à l'homme idéal par un élargissement de l'être aux frontières de l'infini, mais sans les transgresser, car la mort leur apparaît comme une inconnue, un objet de terreur qui met un terme au sens exalté qu'ils ont de la vie. De cette attitude, le lyrisme intense et l'expression paroxystique sont la juste rançon ; il faudra l'âme mystique d'un César Franck et de ses disciples pour ramener le romantisme français vers une vie intérieure plus riche et plus proche du romantisme allemand, qui l'a, sans doute, largement influencé.

Carl Maria von Weber
Carl Maria von Weber
Carl Maria von Weber, Der Freischütz : ouverture
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César Franck
César Franck
Franz Liszt, les Préludes, poème symphonique n° 3
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Franz Schubert, Marguerite au rouet, D.118
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Frédéric Chopin, Étude en ut mineur n° 12 op. 10, dite « Révolutionnaire »
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Giuseppe Verdi
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Hector Berlioz
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Louis Spohr, Symphonie n° 3 en ut mineur, op. 78 (1er mouvement, allegro)
Louis Spohr, Symphonie n° 3 en ut mineur, op. 78 (1er mouvement, allegro)
Ludwig van Beethoven
Ludwig van Beethoven
Ludwig van Beethoven, Ouverture d’Egmont
Ludwig van Beethoven, Ouverture d’Egmont
Ludwig van Beethoven, Symphonie n° 5 en ut mineur, op. 67 (1er mouvement, allegro con brio)
Ludwig van Beethoven, Symphonie n° 5 en ut mineur, op. 67 (1er mouvement, allegro con brio)
Richard Wagner
Richard Wagner
Richard Wagner, Tannhäuser : ouverture
Richard Wagner, Tannhäuser : ouverture
Robert Schumann
Robert Schumann
Robert Schumann, Symphonie n° 2 en ut majeur, op. 61 (1er mouvement, allegro ma non troppo)
Robert Schumann, Symphonie n° 2 en ut majeur, op. 61 (1er mouvement, allegro ma non troppo)