chimie combinatoire

Technique qui permet de produire et de tester simultanément de nombreuses molécules nouvelles issues de la combinaison de familles de réactifs.

La chimie combinatoire implique d’une part des protocoles de synthèse à haut débit pour générer simultanément un grand nombre de molécules (banques de molécules), d’autre part des protocoles de criblage à haut débit (ou HTS, sigle de l'anglais High Throughput Screening) pour tester simultanément tous les membres d’une banque de molécules en vue d'une application donnée.

Elle constitue un processus qui permet de déterminer parmi N molécules celle(s) ayant le plus gros potentiel pour l’application visée. Des études plus poussées, nécessitant généralement davantage de temps et de produits chimiques, peuvent ensuite être engagées uniquement sur les molécules les plus prometteuses (appelées aussi « touches » ou « hits »).

Le « haut débit » dont on parle ici ne concerne pas le transfert de données informatiques (comme dans les réseaux à haut débit), mais s'applique aux cadences de production et de criblage de molécules en fonction du temps, beaucoup plus élevées que dans l’approche itérative classique.

Une réponse aux besoins de la recherche pharmaceutique

L’avènement de la chimie combinatoire résulte essentiellement de deux facteurs, la mise au point d’outils novateurs issus de la biotechnologie et la nécessité pour les grands groupes pharmaceutiques de développer et de breveter de nouveaux médicaments.

La génomique a pour objectif le séquençage et le décodage systématique du génome. Grâce à des techniques ultra miniaturisées (puces ADN), on dépose sélectivement des dizaines de milliers de gênes sur des plaques en verre. On obtient ainsi des spots microscopiques, disposés en colonnes et en lignes avec un repérage spatial de type XY (par exemple spot A1, spot D3,…). Après ajout d’un échantillon biologique, des techniques d’imagerie essentiellement basées sur la fluorescence permettent de repérer les spots actifs et d’obtenir simultanément et exhaustivement toutes les informations génétiques recherchées.

La mise sur le marché d’un médicament est l'aboutissement de plusieurs étapes successives s’étalant sur 10 à 15 ans. La première a pour objectif la découverte de molécules répondant efficacement à des tests in vitro. Ces têtes de séries (aussi appelées « Leads ») sont ensuite optimisées par de fines variations de leur structure. La troisième étape inclut les tests toxicologiques et les tests cliniques. Seules les molécules franchissant toutes ces étapes de sélection peuvent passer en phase de lancement (marketing, autorisation de mise sur le marché [A.M.M], etc.). Le taux d’échec, lié au nombre de molécules qui n’atteignent pas le stade de l’A.M.M. pour des motifs toxicologiques, les effets secondaires qu'elles provoquent ou d'autres raisons, est très élevé (supérieur à 90 %). Il est donc crucial pour les compagnies pharmaceutiques d’avoir un maximum de molécules « Leads » en étude et donc de découvrir un grand nombre de candidats via les tests in vitro de la première phase.

Les tests miniaturisés et en parallèle issus de la biotechnologie présentaient tout le potentiel nécessaire, après quelques adaptations, pour permettre de mesurer l’effet de molécules sur des cibles biologiques ou bien leurs intérêts thérapeutiques à une cadence de 100 000 à 1 million de molécules par an. Cependant, la synthèse chimique itérative ne peut fournir autant de molécules et à une telle cadence. Il a donc été nécessaire de développer une nouvelle méthode, la chimie combinatoire.

Le principe de la chimie combinatoire

Une molécule peut être décrite comme l’association de plusieurs blocs (atomes ou groupes d’atomes). La chimie permet d’assembler de manière sélective ces différents blocs. Pour une famille de molécules de type A-B (molécules constitués de 2 blocs différents A et B) l’approche itérative classique va consister à synthétiser la molécule A1 B1 (A1 correspondant à un bloc précis du sous groupe A ; B1 du sous groupe B), la purifier, la caractériser et finalement la tester. En fonction du résultat obtenu, une nouvelle molécule va être élaborée et testée en faisant varier un ou plusieurs blocs (par exemple : A1B3, puis A2B1, etc.).

La chimie combinatoire permet d’impliquer en une seule étude un grand nombre de blocs de natures différentes et de générer simultanément toutes les combinaisons possibles sous la forme d’une banque de molécules. En partant de 10 blocs différents de type A et de 100 blocs de type B, 1 000 molécules (soit 10 x 100) peuvent être produites en une seule fois.

À l’aide de tests miniaturisés et automatisés, ces 1 000 molécules vont alors être évaluées simultanément. D’une manière générale un premier criblage à haut débit, dit criblage primaire, va permettre de classer, parmi un très grand nombre de molécules, les cas intéressants et ceux qui ne le sont pas pour l’objectif visé (par exemple, l'aptitude à neutraliser une bactérie ou une souche de champignons). Les molécules sélectionnées subiront ensuite un criblage plus précis mais plus long, dit criblage secondaire, pour comparer plus finement leurs performances (efficacité, rapidité d’action, stabilité dans le temps,etc.). Outre le gain de temps, la chimie combinatoire permet une économie de produits chimiques et de solvant puisque seules les molécules ayant le plus gros potentiel sont alors synthétisées en plus grosse quantité pour passer à l’étape d’optimisation.

Les techniques et leur évolution

La méthode dite « en mélange »

La synthèse chimique consiste à faire réagir deux réactifs (ou plus) pour produire le produit souhaité. Ce dernier se trouve cependant dans le milieu réactionnel, avec les réactifs de départ qui n’ont pas entièrement réagi ou des sous-produits, dont il faut l’extraire avant de le purifier et de l’analyser. L’étape d’extraction-purification étant la plus longue (jusqu’à 70-80 % du temps du technicien), la méthode dite en mélange vise à s’en affranchir. Pour cela, les N molécules d’une banque donnée sont préparées in situ dans un même réacteur puis le mélange est directement testé sans isoler les N molécules. Un test positif indique qu’une ou plusieurs molécules contenues dans le mélange présentent une activité. Pour connaître leur structure, on applique un processus de déconvolution. Par exemple, une banque de 1 000 molécules de formule générale AB issue de la mise en réaction simultanée de 10 blocs de type A (A1-10) et 100 blocs de type B (B1-100) donne un résultat positif lors du test. La banque va être repréparée en 10 lots. Le premier va impliquer le bloc A1 et les 100 blocs B1-100, dans un deuxième tube à essai (ou réacteur) vont être mélangés le bloc A2 et les 100 blocs B1-100 et ainsi de suite jusqu’au dixième lot à base du bloc A10 et des blocs B1-100. Chaque lot contient alors 100 molécules. Les 10 lots sont alors testés. Le ou les lots positifs seront alors repréparés en 10 sous-lots de 10 molécules (par exemple, le lot A3-B1-100 sera reparti en A3-B1-10 ; A3-B11-20 ; A3-B21-30…A3-B91-100) qui sont à nouveau testés. Une dernière déconvolution du sous-lot actif (par exemple, A3 – B41-50) va permettre en repréparant 10 tubes contenant chacun 1 seul type de molécule de connaître la molécule active (par exemple, A3-B44). Cette méthode, dite du mélange, présente cependant des limitations (interaction entre molécules, structure de base très simple, faux positifs) qui ont conduit à développer d’autres procédés.

La synthèse organique sur support solide

Cette méthode est particulièrement efficace pour préparer des banques de molécules de structure complexe nécessitant une synthèse en plusieurs étapes. Elle est basée sur l’utilisation de petites billes poreuses de polymères, de taille homogène (par exemple, 300 µm), présentant des fonctions chimiques réactives. Via ces dernières, une molécule peut être élaborée par une succession de réactions chimiques sur la surface réactive des billes. La diversité va dépendre du nombre de blocs impliqués pour chacune de ces étapes. Par exemple, à partir de 10 blocs A1-10, 10 blocs B1-10 et 10 blocs C1-10, une banque de 1 000 molécules constituées de l’assemblage de trois blocs A-B-C peut être préparée en seulement 3 étapes (fixations successives du bloc A, B puis C à la surface des billes). Une banque de N molécules se présente sous la forme de N réacteurs contenant des billes qui supportent un même type de molécule (par exemple, le lot A1-B3-C10 sera différent du lot A1-B2-C2). Le nombre de réacteurs à utiliser limite le nombre de membres N de la banque.

La méthode « diviser/mélanger »

Cette technique présente l’avantage de ne générer qu’un seul type de molécule à la surface d’une bille de polymère donnée : par exemple, une bille supportera la molécule A3-B5-C2 et aucune autre combinaison bien que toutes les billes soient mélangées. Cette méthode est particulièrement adaptée aux banques de grande taille (plusieurs milliers de molécules). Une technique de marquage permet de connaître la nature des molécules supportées par chaque bille.

Les techniques de chimie combinatoire en solution

Certaines molécules ou certaines applications peuvent être pertubées par la présence d’un support solide. Il est possible après la dernière étape de synthèse de libérer la molécule de son support en coupant de manière chimique, photochimique, enzymatique ou électrochimique le lien (aussi appelé espaceur) qui la relie au support.

Une autre technique consiste à synthétiser les molécules en solution, de manière indépendante les unes des autres. Afin de conserver un processus parallèle, des plaques présentant des micro-cavités (micro réacteurs) sont utilisées. Ces plaques de taille standardisée (8 cm x 12 cm) peuvent contenir 96, 384 ou 1 536 petites cavités. Chacune de ces cavités, positionnées en colonne et en ligne dans un repère XY, va contenir une molécule bien précise. Par exemple, une plaque 96 puits permettra de combiner 12 blocs A (A1-12) et 8 blocs B (B1-8) pour générer les 96 types de molécules correspondantes de type AB, avec un type de molécule par puits. L’évaluation d’une plaque (ou lecture de plaque), par des modifications de couleur ou de fluorescence, permet de repérer en une seule mesure lesquels, parmi les 96 puits (et donc quelles molécules), présentent les meilleures activités.

L'automatisation en chimie combinatoire

Des systèmes totalement robotisés ont été développés pour répondre aux cadences rapides en termes d’ajouts de liquides ou de solide, de chauffage ou de filtration, de purification ou d’analyse. Par ailleurs, l’utilisation de codes-barres sur les plaques multipuits permet d’assurer une traçabilité complète de toutes les opérations qui ont eu lieu, de les relier aux résultats des tests d’activité et, d’une manière générale, d’extraire toutes les informations nécessaires par traitement informatisé.

L'évolution de la chimie combinatoire

Même si les nouveaux outils automatisés et les méthodes de la chimie combinatoire ont considérablement accéléré les cadences de synthèse et d’évaluation de molécules, différentes stratégies sont appliquées en privilégiant la qualité des banques (c'est-à-dire leur diversité) aux dépens de la quantité (nombres de molécules par banque). En effet, différentes estimations indiquent qu’il y a 10 180 nouvelles molécules chimiques possibles possédant un poids moléculaire inférieur à 750. Ce nombre considérable de possibilités incite à utiliser des règles permettant de créer des banques de molécules de façon plus intelligente qu'une simple production tous azimuts et totalement aléatoire.

Par exemple, les « règles de Lipinsky », basées sur des propriétés physico-chimiques, permettent d’orienter la création des banques de molécules ayant un fort potentiel pour devenir un médicament actif par voie orale. De même, le concept de « similarité moléculaire » propose des modélisations moléculaires, par des approches informatiques, pour faire des criblages virtuels . Des chimiothèques permettent de comparer la topologie (similarité 2D) ou l’encombrement stérique (similarité 3D) de molécules créées par des logiciels.

Pour les banques réelles, il est admis que la pureté des différentes molécules qui les constituent doit être supérieure ou égale à 80% pour éviter les phénomènes de faux positifs. Cela sous entend la nécessité de procéder à l’analyse de pureté d’un très grand nombre de molécules ; celle-ci est rendue possible aujourd’hui par la miniaturisation et l’accélération de la plupart des techniques d’analyse classiquement utilisées par les chimistes.

Plus récemment, la chimie combinatoire s'est étendue à d’autres domaines que la recherche pharmaceutique. Si, à l'origine, elle a effectivement été utilisée quasi exclusivement pour la découverte de médicaments, cette méthode s'applique aussi maintenant à la catalyse (synthèse de produits à haute valeur ajoutée ou de matières premières à fort tonnage), aux polymères (matières plastiques, peintures, vernis), aux matériaux électroluminescents (diodes, écrans flexibles) et en agrochimie (engrais, pesticides).