Hongrie : vie politique depuis 1989

Ferenc Mádl
Ferenc Mádl

1. La transition démocratique

Les prémices d’une démocratisation du régime apparaissent au cours des années 1980. Une nouvelle loi électorale instituant un système de candidatures multiples est adoptée en 1983. Elle sera mise en œuvre pour la première fois lors du scrutin de 1985. Malgré cette ouverture politique, le régime se durcit à l'égard des mouvements d'opposition. Les médias ont néanmoins la liberté d'aborder des thèmes polémiques, tels que les problèmes posés par la baisse de la natalité, les méfaits de l'alcoolisme ou encore le sort des minorités hongroises des pays voisins (Tchécoslovaquie, Roumanie). En 1987, si le parti socialiste ouvrier hongrois envisage de changer de secrétaire général, c'est probablement parce que János Kádár, âgé de 76 ans, est devenu un obstacle aux réformes. Celles-ci devenaient d'autant plus nécessaires que l'économie hongroise était en stagnation et que la situation présentait des risques d'explosion sociale.

Au congrès de 1988, Károly Grosz succède à János Kádár, qui conserve néanmoins un poste honorifique de président du parti. Ce changement accélère les réformes déjà en cours dans les autres pays d'Europe de l'Est sous l'impulsion de la perestroïka. L'entrée des réformateurs Imre Pozsgay et Rezsö Nyers au bureau politique du parti ouvre une période de changement.

À partir de 1989, deux mouvements d'opposition se transforment en partis : le Forum démocratique hongrois (MDF) rassemble des intellectuels nationalistes et populistes, dont József Antall, avec l'appui tacite d'Imre Pozsgay ; l'Alliance des démocrates libres (SzDSz) regroupe la plupart des dissidents anticommunistes et libéraux. Au début de l'année 1989, le parti socialiste ouvrier hongrois, qui a fondé avec d'autres partenaires le parti socialiste hongrois (MSzP), accepte l'instauration du multipartisme : le 23 octobre, jour anniversaire de l'insurrection de Budapest, la Constitution de 1949 est amendée par l'abandon de toute référence au socialisme et par l'instauration du pluralisme ainsi que la reconnaissance de l'économie de marché. Les événements de 1956 sortent de l'oubli dans lequel le régime communiste s'était efforcé de les enfouir. À partir de 1989, l'anniversaire de l'insurrection de 1956 sera commémoré chaque année le 23 octobre.

2. La naissance d’un système pluraliste

En mars-avril 1990 ont lieu les premières élections libres depuis 1947. Au premier tour, le Forum démocratique hongrois obtient 24,7 % des voix, l'Alliance des démocrates libres 21,3 %, le parti des Petits Propriétaires (FKgP) 11,7 %, le parti socialiste hongrois 10,9 %. Le second tour conduit à la mise en place d'une coalition de centre droit regroupant le Forum démocratique, le parti des Petits Propriétaires et les chrétiens-démocrates, dirigée par József Antall, qui devient président du Conseil (mai). Árpád Göncz, l'un des fondateurs de l'Alliance des démocrates libres, est élu président de la République.

La victoire politique de l'opposition conduit à accélérer la réforme économique, mais le manque de capitaux internes et la faiblesse des capitaux étrangers rendent difficile cette période de transition. En décembre 1993, J. Antall meurt : Péter Boross lui succède à la tête du gouvernement. Le premier tour des élections législatives de mai 1994 donne lieu à un retour spectaculaire du parti socialiste hongrois, qui arrive en tête avec 32,4 % des suffrages. Tandis que l'Alliance des démocrates libres, en deuxième position, maintient à peu près son score du printemps de 1990 (19,4 %), le Forum démocratique, avec seulement 12 %, perd la moitié de ses électeurs. À l'issue du second tour, le parti socialiste détient la majorité absolue au Parlement (209 sièges sur 386). Au terme d'un « compromis historique », les socialistes et l'Alliance des démocrates libres s'accordent sur la formation d'un gouvernement de coalition dirigé par le leader du parti socialiste, Gyula Horn (juillet).

3. La coalition libérale-socialiste entre réussites et fragilité

Conformément aux recommandations du Fonds monétaire international (FMI), le nouveau gouvernement (MSzP-SzDSz) est contraint d'adopter une politique de très grande austérité budgétaire (dévaluation du forint, resserrement de la politique monétaire, diminution des salaires réels) entraînant un vif mécontentement social et, en janvier 1995, la démission du ministre des Finances chargé de mettre en œuvre le programme d'austérité. Toutefois, l'ouverture du commerce extérieur vers l'Union européenne permet d'éviter une grave récession.

Sur le terrain diplomatique, la coalition libérale-socialiste enregistre plusieurs succès. Les relations avec la Roumanie se sont améliorées de façon notable depuis la signature d'un traité de coopération en 1996. Grâce à son ministre des Affaires étrangères László Kovács, la Hongrie joue un rôle modérateur dans une région soumise à de fortes tensions, proche de l'espace yougoslave.

La droite populiste au pouvoir : dynamisme économique et déconvenues politiques

Cependant, à partir de 1997, la vie politique du pays est marquée par divers scandales, liés à de graves affaires de corruption. Aussi, lors des élections législatives des 10 et 24 mai 1998, les électeurs apportent-ils leur soutien (38,6 % des voix, soit 148 sièges) à une formation de droite, la Fédération des jeunes démocrates (Fidesz-MPP) emmenée par le jeune Viktor Orbán (35 ans), plutôt qu'aux socialistes (34,4 % des voix, soit 134 sièges). Ne disposant pas de la majorité absolue, la Fidesz-MPP doit composer avec le parti des Petits Propriétaires, arrivé en troisième position avec 12,9 % des voix (48 sièges), et le Forum démocratique hongrois (14 sièges). Formé et dirigé par V. Orbán (juillet), le gouvernement de coalition s'efforce de remplir les objectifs énoncés pendant la campagne électorale : à l'extérieur, l'intégration dans l'OTAN (effective en 1999) puis l'adhésion à l'Union européenne (ouverture des négociations en mars 1998) sans que les intérêts nationaux soient lésés ; à l'intérieur, la lutte contre la corruption et le crime organisé, l'édification par le développement des PME d'une classe moyenne quasi inexistante, le rétablissement des allocations familiales destiné à amortir la dureté des réformes, le maintien d'un fort taux de croissance par la baisse des impôts. Le 6 juin 2000, le juriste et conservateur Ferenc Mádl est élu à la présidence de la République.

En dépit de résultats économiques très satisfaisants, V. Orbán est jugé responsable de l'aggravation des inégalités sociales en période de croissance. Sur un autre plan, il lui est reproché d'avoir terni l'image de la Hongrie à l'étranger, en faisant voter le 19 juin 2001 une loi accordant des avantages économiques et sociaux aux 3,5 millions de Hongrois vivant dans les pays limitrophes. Aussi, lors des législatives d'avril 2002, marquées par une très forte participation (73 %), les électeurs renvoient-ils dans l'opposition la droite populiste pour lui préférer la coalition du parti socialiste (MSzP) et de l'Alliance des démocrates libres (SzDSz).

5. Le retour des socialistes et des libéraux et l'adhésion à l'Union européenne

Ne disposant que d'une courte majorité (198 sièges sur 386), la nouvelle coalition doit nécessairement composer avec la Fidesz-MPP de V. Orbán et le Forum démocratique qui, avec respectivement 164 et 24 sièges, constituent une opposition puissante. Emmenée par le candidat du parti socialiste, Péter Medgyessy, nommé Premier ministre le 15 mai 2002, la coalition libérale-socialiste voit sa position consolidée par sa victoire aux élections locales d'octobre.

Son objectif majeur – l'adhésion du pays à l'Union européenne – se trouve confirmé par le Conseil européen de Copenhague de décembre 2002, à l'issue duquel la Hongrie est invitée, avec neuf autres candidats, à rejoindre l'UE le 1er mai 2004. Dans cette attente, elle est tenue de rendre la loi sur les minorités hongroises vivant dans les pays voisins (entrée en vigueur le 1er janvier 2002) compatible avec le principe de non-discrimination énoncé dans les textes fondateurs de l'Union.

Signataire en janvier 2003 de la « Lettre des huit pour un front uni face à l'Iraq », la Hongrie apporte son soutien aux États-Unis en engageant un bataillon de 300 hommes sur le terrain. Si le 12 avril 2003, les électeurs hongrois approuvent par 83,76 % des voix l'adhésion de leur pays à l'Union européenne, leur participation demeure faible, particulièrement parmi les agriculteurs, les jeunes et les personnes à faibles revenus.

La fin de l'année 2003 et l'année 2004 sont marquées par de très vives tensions entre le parti socialiste et la Fidesz, cette dernière ayant lancé une « Pétition nationale » réclamant un certain nombre de changements dans le budget de l'État. Par ailleurs, l'Alliance des démocrates libres (SzDSz), partenaire indispensable du parti socialiste pour voter les lois, réussit à obtenir que la réduction de l'impôt sur le revenu, décidée en 2002, soit appliquée dès 2004, et ce malgré l'ampleur du déficit budgétaire.

Les résultats des élections du 13 juin 2004 au Parlement européen, remportées par l'opposition conservatrice devant la coalition au pouvoir, reflètent l'affaiblissement du soutien dont cette dernière a bénéficié lors de sa première année d'exercice. Après avoir déclenché en août un conflit au sein de la coalition en limogeant le ministre de l'Économie issu de la SzDSz, P. Medgyessy démissionne. Ferenc Gyurcsány, ministre de la Jeunesse et des Sports dans le cabinet sortant, est désigné par le parti socialiste pour lui succéder.

5.1. La Hongrie sous la direction de Ferenc Gyurcsány (2004-2009)

Ferenc Gyurcsány, fils d'ouvrier et ancien dirigeant des Jeunesses communistes, entrepreneur devenu milliardaire puis revenu à la politique en 2002, est élu Premier ministre par le Parlement le 29 septembre 2004.

Lors du référendum organisé le 5 décembre suivant à la demande de l'Union mondiale des Hongrois (MVSz), les Hongrois sont appelés à se prononcer sur l'octroi éventuel de la double nationalité aux minorités hongroises disséminées dans les pays voisins et sur l'arrêt du processus de privatisation des hôpitaux. Les électeurs répondent « oui » aux deux questions dans leur très grande majorité mais le référendum est invalidé faute de participation suffisante (37,4 %), majorité et opposition revendiquant alors toutes deux la victoire. Le 2 mai 2005, F. Gyurcsány présente au Parlement son « Programme des cent pas » concernant la politique de l'emploi, les systèmes de santé et de retraite, l'éducation, le régime fiscal, les collectivités locales. Les 6 et 7 juin 2005, le candidat de la Fidesz-Alliance civique (nouveau nom de la Fidesz depuis 2003), le conservateur László Sólyom, est élu à la tête de l'État.

Les élections législatives des 9 et 23 avril 2006 voient la victoire de la majorité socialiste-libérale sortante avec 210 sièges (sur 386), contre 175 sièges pour l'opposition conservatrice (164 pour la Fidesz-Alliance civique à laquelle s'est rallié le parti chrétien démocrate [KDNP], 11 pour le Forum démocratique). Le parti socialiste, ayant obtenu la majorité avec 190 sièges, forme de nouveau une coalition avec son fidèle partenaire, l'Alliance des démocrates libres (SzDSz), détentrice de 20 sièges. Entré en fonctions le 9 juin, le second gouvernement de coalition Gyurscány, est – à l'image de son programme intitulé « Une nouvelle Hongrie » – un cabinet resserré de 12 ministres. L'objectif annoncé – rejoindre la zone euro en 2010 – nécessite en effet une cure d'austérité passant notamment par la réduction des effectifs des ministères, la suppression d'emplois de fonctionnaires, la hausse des impôts et celle de la TVA sur certains produits courants, l'augmentation des prix de l'électricité, du gaz, du tabac, de l'alcool, l'introduction d'une taxe de solidarité à laquelle sont soumis particuliers et entreprises.

Le 17 septembre, la diffusion par la télévision publique d'un discours du Premier ministre tenu à huis clos le 26 mai devant son parti, dans lequel il reconnaît avoir menti sur la politique économique de son gouvernement pour remporter les élections législatives d'avril, provoque de violentes émeutes à Budapest. Malgré l'ampleur des manifestations, F. Gyurscány refuse de démissionner. Après avoir reçu le soutien de la Commission européenne l'invitant à appliquer rigoureusement sa politique d'austérité, il présente ses excuses fin septembre. En dépit de la victoire de la Fidesz-Alliance civique aux élections locales du 1er octobre – à l'issue desquelles elle remporte 18 des 19 assemblées départementales de province, à l'exception de Budapest qui reste acquise à la coalition gouvernementale –, le Premier ministre refuse toujours de démissionner. Le président L. Sólyom appelle le Parlement à déposer une motion de censure, mais, conforté par le vote de confiance de 207 députés contre 165, F. Gyurcsány lance un appel au calme.

Sous sa conduite, la Hongrie prend ses distances avec les États-Unis. Dès novembre 2004, le Premier ministre annonce le retrait du contingent hongrois déployé à la suite de l'intervention américano-britannique en Iraq au printemps 2003 ; celui-ci est achevé fin mars 2005.

En décembre 2007, par 325 voix pour, 5 contre et 14 abstentions, la Hongrie ratifie le traité de Lisbonne, censé remplacer le projet de Constitution européenne. Par ailleurs, en mai 2008, la France et la Hongrie signent un partenariat stratégique portant sur une coopération dans les domaines politique, scientifique, énergétique (nucléaire civil), agricole, environnemental ainsi que celui de la défense.

En mars et avril 2008, en remportant un référendum contre deux mesures budgétaires sur les droits d'entrée à l'université et le paiement des consultations médicales, prises dans le cadre du plan de restrictions budgétaires, l'opposition de droite fait éclater la coalition de centre gauche au pouvoir. La suspension de la privatisation partielle de l'assurance-maladie entraîne le limogeage du ministre libéral de la Santé et la démission des autres ministres membres de la SzDSz.

À la tête d'un gouvernement minoritaire, F. Gyurscány ne parvient pas à trouver la majorité nécessaire pour appliquer son plan de réformes alors que la Hongrie est touchée de plein fouet par la crise financière internationale, et doit démissionner en mars 2009. Gordon Bajnai, ministre de l'Économie (sans étiquette) dans le gouvernement sortant, est chargé de lui succéder et reçoit le soutien du Parlement en avril à la suite d'une « motion de défiance constructive », procédure permettant d'éviter les élections législatives anticipées réclamées par l'opposition de droite. Ce gouvernement, investi pour un an, est chargé d'adopter les mesures d'urgence dans l'attente des élections de 2010 et alors que l'opposition conservatrice, représentée par la liste Fidesz-KDNP, l'emporte aux élections européennes de juin. Si la participation reste toujours très faible (36,2 % contre 38,5 % en 2004), avec 56,3 % des suffrages, la droite devance très largement le parti socialiste qui recule de 34,3 % à 17,3 % des voix tandis que le parti d'extrême droite Jobbik (Mouvement pour une meilleure Hongrie, constitué en 2003) fait une percée en arrivant en troisième position avec près de 15 % des voix et trois députés.

6. Le tournant national-conservateur (2010-)

Cette progression de la droite se transforme en raz-de- marée aux élections législatives des 11 et 25 avril 2010 à l’issue desquelles, la coalition Fidesz-KDNP obtient la majorité des deux tiers au Parlement hongrois – une première depuis l’instauration de la démocratie en 1989 –, le parti Jobbik devenant, par ailleurs, la troisième force politique du pays avec près de 17 % des voix et 47 députés. Se définissant officiellement « chrétien », « conservateur » et « radicalement patriote », ce parti résolument hostile au traité de Lisbonne, se caractérise par un nationalisme virulent. Sa volonté de réhabiliter la régence de Horthy [1920-1944], l’évocation de la « Grande Hongrie » et la présence à ses côtés d’une milice, la Garde hongroise, accusée d’inciter à la violence contre la communauté tzigane et d’être l’héritière des Croix-Fléchées dont elle reprendrait de manière déguisée les emblèmes, donnent à cette mouvance des traits « néofascistes ». Des accusations qu’elle rejette, de même que celle d’antisémitisme et qui servent d’utile épouvantail à la droite triomphante dont la propre idéologie nationaliste n’est cependant pas dépourvue d’ambiguïté.

V. Orbán, leader de la Fidesz et ancien Premier ministre (1998-2002) forme le nouveau gouvernement. Un programme mêlant la défense de valeurs conservatrices, un nationalisme à la fois politique et économique (qui n’exclut pas des mesures très libérales d’austérité budgétaire) et des dérives autoritaires manifestes, va dès lors être mis en œuvre. .

Une première mesure très symbolique est adoptée en mai : une nouvelle loi accorde la citoyenneté hongroise aux membres des minorités magyares des pays limitrophes qui en feront la demande. Le droit de vote leur sera accordé l’année suivante.

Au moment où la Hongrie prend la présidence de l’UE (1er janvier 2011), le gouvernement Orbán fait promulguer une loi sur les médias publics et privés prévoyant notamment de lourdes sanctions financières à l'encontre des productions ou des articles qui ne seraient pas « équilibrés politiquement ». Pressé de s’expliquer par la Commission et le Parlement de Bruxelles qui jugent cette loi répressive et en contradiction avec les textes européens, le gouvernement finit par amender la loi mais la création d’un Conseil des médias contrôlé par le parti au pouvoir est maintenue.

6.1. La nouvelle Constitution et les réformes institutionnelles

La coalition Fidesz-KDNP réitère sa volonté de reprise en main lors de l'adoption de la nouvelle Constitution par le Parlement hongrois le 18 avril. Si la Hongrie reste une république, cette mention disparaît du nom officiel du pays. Par ses références au christianisme et à la défense de la famille traditionnelle, la remise en cause du droit à l’avortement, les limitations qu’il apporte aux compétences de la Cour constitutionnelle et du Parlement (en particulier dans le domaine budgétaire), le texte suscite les vives protestations de l’opposition et les réserves de juristes. Ces critiques – confirmées par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (ou Commission de Venise) du Conseil de l’Europe dans son avis consultatif du 20 juin – sont d’autant plus virulentes que la future Constitution permettrait également de limiter fortement les marges de manœuvre des gouvernements futurs en cas de défaite de la Fidesz, en obligeant l’Assemblée nationale à réunir une majorité des deux tiers pour adopter ou modifier certaines lois considérées comme « cardinales ». L’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, le 1er janvier 2012, est ainsi accueillie par d’importantes manifestations de protestation à l’appel de l’opposition.

Un régime politique peu conforme aux principes de la démocratie occidentale, qualifié parfois de « démocrature », est instauré malgré les réactions de l’UE, au demeurant trop timides aux yeux des observateurs les plus critiques. N’hésitant pas à provoquer, devant céder dans certains cas aux remontrances européennes ou faisant fi de ces dernières, le Premier ministre s’impose par un exercice très personnalisé du pouvoir dont les différents leviers sont confiés à des hommes liges.

Parmi les quelque 850 lois adoptées ou modifiées entre 2010 et 2014, pour une grande part sans débat, certaines mesures sont plus particulièrement critiquées tandis que la Constitution est révisée à plusieurs reprises. L’amendement, voté en mars 2013, visant principalement à limiter et contourner le pouvoir de la Cour constitutionnelle (qui avait annulé plusieurs dispositions) est vivement contesté par la commission de Venise qui estime que les modifications – notamment la constitutionnalisation de lois ordinaires controversées et l’instrumentalisation politique de la Loi fondamentale – mettent en danger la séparation des pouvoirs.

En juillet, dressant à son tour un sévère réquisitoire contre l’affaiblissement de l’État de droit, le Parlement européen adopte un ensemble de recommandations, suscitant la réaction des députés hongrois qui appellent le gouvernement à résister aux pressions de l’UE. En septembre, une nouvelle réforme constitutionnelle apporte une réponse partielle à ces critiques, mais si la Hongrie échappe à l’ouverture d’une « procédure de suivi » par le Conseil de l’Europe, l’évolution de la situation politique continue d’inquiéter.

6.2. Les élections de 2014

De nouvelles réserves sont émises, cette fois par l’OSCE, à l’issue des élections législatives du 6 avril 2014 qui se soldent par la victoire de la Fidesz. Parmi les griefs documentés dans le rapport préliminaire de l’organisation figurent notamment : l’insuffisante séparation entre l’État et le parti au pouvoir ; les soupçons de charcutage électoral en faveur de ce dernier à la suite de la réduction du nombre de députés de 386 à 199 ; la campagne atone dominée par la propagande officielle et enfin l’accès très déséquilibré à des médias contrôlés ou bridés soit par l’État soit par des groupes privés proches du pouvoir.

Malgré la politique d’austérité et les soupçons de clientélisme ou de corruption – qui ternit cependant également l’image d’un parti socialiste sur la défensive –, V. Orbán, fort d’une indéniable popularité due en partie à des mesures comme la réduction du prix de l’énergie, l’emporte largement même si son parti obtient moins de voix qu’en 2010. La réforme électorale lui est favorable : avec 44,6 % des suffrages (contre 53 % au scrutin précédent), l’alliance Fidesz-KDNP conserve sa majorité des deux tiers (133 sièges), loin devant la coalition de centre gauche. Cette dernière, formée autour du MSzP et de son président Attila Mesterházy (à laquelle se sont ralliés les anciens dirigeants du parti F. Gyurcsány et G. Bajnai ainsi que le libéral Gábor Fodor) remporte 26,2 % des voix et ne parvient à faire élire que 38 députés. Tentant de lisser son image et bien que sa rhétorique nationaliste soit assourdie par celle du pouvoir, le parti Jobbik progresse avec 20,3 % des suffrages, ce qui lui permet de conserver sa troisième place (23 sièges) devant le parti écologiste et libéral, « Une autre politique est possible » (LMP), qui, lui, réussit à sauver 5 sièges.

6.3. Nouvelles tensions avec l’UE

Les relations entre la Hongrie et les institutions européennes se détériorent de nouveau à partir de l’été 2015 marqué par l’afflux de migrants et de demandeurs d’asile fuyant les conflits (Syrie, Iraq et Afghanistan), et empruntant la « route des Balkans » après avoir traversé la Grèce. Bien que son territoire ne soit qu’une voie de passage vers l’Allemagne et l’Autriche, le gouvernement hongrois décide tout d’abord de fermer sa frontière avec la Serbie voisine et d’y ériger une clôture.

La « crise migratoire » prenant l’Union Européenne au dépourvu, le programme de relocalisation des réfugiés au sein des États membres, adopté en juillet-septembre 2015 afin de réduire la pression exercée sur la Grèce et l’Italie, suscite l’hostilité de certains pays au premier rang desquels la Hongrie qui tente de faire entériner cette position par référendum en octobre 2016.

Toutefois, si 98 % des électeurs soutiennent leur gouvernement, la consultation est invalidée faute d’une participation suffisante (41 %). Dans la foulée, ayant perdu sa majorité des deux-tiers à la suite de deux élections partielles en 2015, la coalition Fidesz-KDNP ne parvient pas non plus, pour l’heure, à inscrire dans la constitution sa politique « anti-migrants ». Dû notamment à l’opposition du parti d’extrême droite Jobbik qui exigeait, en échange de son soutien, la suppression du régime de permis de résidence accordé aux riches investisseurs extra-européens accusé de favoriser la corruption, cet échec est un premier revers pour V. Orbán. Ce dernier ne renonce pas pour autant à faire entendre sa voix discordante en soutenant notamment la Pologne dirigée depuis octobre 2015 par le PiS de Jarosław Kaczyński, son alliée dans cette fronde ultraconservatrice au sein de l’Union européenne.

6.4. Le troisième mandat consécutif de Viktor Orbán

En avril 2018, le Fidesz et son chef remportent de nouveau une victoire sans appel, à l’issue d’une élection certes pluraliste mais très déséquilibrée, dont les conditions sont sévèrement critiquées par l’OSCE. V. Orbán obtient un troisième mandat consécutif (et quatrième avec celui de 1998-2002).

S’appuyant sur une couverture médiatique qui lui est largement favorable, le Premier ministre a focalisé ses discours sur le rejet du multiculturalisme ou du « cosmopolitisme », la dénonciation des influences étrangères (incarnées notamment par l’homme d’affaires américain d’origine hongroise Georges Soros, fondateur de l’Université d’Europe centrale de Budapest, dans la ligne de mire du Premier ministre) et sur les menaces que l’immigration – pourtant négligeable – feraient peser sur l’identité nationale. Avantagée par le mode de scrutin, la coalition Fidesz-KDNP retrouve ainsi sa majorité des deux tiers en obtenant 133 sièges sur 199 avec 49,2 % des voix.

Divisée et affaiblie, l’opposition, qui a privilégié les attaques contre la corruption du régime, ne parvient pas à contrer le pouvoir en place, qui s’est considérablement renforcé depuis 2010 et semble imperméable aux accusations dont il est la cible. Ayant opté pour une tactique de « recentrage » pour tenter d’élargir son électorat, le parti Jobbik arrive en deuxième position avec 19 % des suffrages et 26 sièges. Le Parti socialiste (MSZP), présidé par Gyula Molnár, et son allié Dialogue pour la Hongrie (PM, petite formation sociale-démocrate et écologiste née d’une scission de LMP en 2013) obtiennent 20 sièges avec 11,9 % des suffrages devant le parti LMP conduit par Akos Hadhazy et Bernadett Szel (7 % des voix et 8 sièges ) et la Coalition démocratique (DK), parti social-libéral de l'ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsany (5,3 % des voix et 9 sièges).

Fort de cette victoire et indifférent à l’importante manifestation d’opposants organisée à Budapest (rare circonscription où le Fidesz est minoritaire), V. Orbán peut poursuivre sa politique fidèle à sa conception dite « illibérale » de la démocratie ouvertement assumée, à commencer par un durcissement des mesures contre les ONG et les migrants.

L’enclenchement par le parlement européen en septembre 2018 de la procédure prévue à l’article 7 du traité (relatif au respect des valeurs fondamentales de l’Union) marque une nouvelle dégradation des relations entre l’UE et la Hongrie, que confirme en mars 2019 la suspension par le PPE du Fidesz, membre affilié à ce groupe parlementaire. Le parti sort toutefois renforcé des élections européennes de mai en remportant 52,56 % des voix.

De son côté, l’opposition tente de surmonter ses profondes divisions. Jobbik, qui a confirmé son recentrage lors de son dernier congrès, et les autres partis, y compris ceux de gauche, parviennent ainsi à s’entendre sur les candidatures afin d’éviter une dispersion des voix et de contrer le Fidesz aux élections locales d’octobre. Cela permet notamment la victoire de Gergely Karácsony, seul candidat de l’opposition à la mairie de Budapest, élu avec 50,8 % des suffrages. La tactique est également gagnante dans une dizaine de villes de province, ce qui ouvre une brèche – limitée – dans l’hégémonie du parti au pouvoir.