orang-outan

Orang-outan
Orang-outan

Quand un long cri terrible retentit dans la jungle de Bornéo ou de Sumatra, les indigènes disent que c'est l'orang-outan qui pleure son épouse humaine échappée de son nid... Ce grand singe roux solitaire a des mœurs si secrètes que bien des fables ont couru sur lui avant qu'on ne connaisse réellement sa vie.

1. La vie de l'orang-outan

1.1. Une vie entière dans les arbres

L'orang-outan est le plus gros mammifère arboricole, le seul des grands singes à passer sa vie entière dans les arbres. Du matin jusqu'au soir, il se déplace de branche en branche en se servant de ses mains et de ses pieds en crochet pour assurer ses prises. Ses mouvements sont habituellement lents et réfléchis, ses gestes calmes et posés. Tirant parti de son poids élevé, il fait fléchir la branche ou le tronc où il se trouve et se balance avec son support jusqu'à attraper avec son long bras une branche de l'arbre voisin. Il progresse lentement à la recherche de sa nourriture, ainsi suspendu à plusieurs mètres du sol, ce qui le met à l'abri des prédateurs terrestres, la panthère, le tigre (qui survit encore à Sumatra)... et l'homme.

Ses déplacements restent toutefois modestes : de 300 à 800 m par jour en moyenne, dépassant rarement 1 000 m. Sa vitesse tourne autour de 0,35 km/h. De toute façon, l'abondance de la végétation rend la progression difficile dans la forêt équatoriale.

Seuls les grands mâles descendent parfois à terre, leur taille les protégeant mieux contre leurs ennemis. Durant ces brefs séjours sur le sol, ils se déplacent à quatre pattes mais n'utilisent pas la démarche en appui sur le poignet des mains, caractéristique des gorilles et des chimpanzés.

Un nid nouveau chaque jour

Tous les soirs, chaque orang-outan se fait un nid dans les arbres. Pour le construire, il casse quelques branchages qu'il dispose autour de lui sur la fourche d'une branche maîtresse à environ 20 m du sol. Puis il recouvre cette structure de lianes, de brindilles et de feuilles pour la rendre plus confortable et douce à ses fesses nues – comme celles de l'homme – et donc fragiles. À la différence d'autres singes, l'orang-outan est dépourvu de callosités fessières.

Seul le tout jeune enfant dort avec sa mère. Le nid des adolescents est à peine moins bien fini que celui des adultes. Leur technique de fabrication du nid est tellement au point que l'ensemble de l'opération ne dure que quelques minutes et permet ainsi aux orangs-outans de changer de couche chaque jour.

Dans la jungle, ces nids sont facilement repérables depuis un hélicoptère, ce qui permet de recenser aisément les zones habitées par les orangs-outans, simplifiant d'autant les démarches des scientifiques et des personnes qui protègent cet animal rare.

Lent et prudent, l'orang-outan saute rarement

Lent et prudent, l'orang-outan saute rarement



À la différence des gibbons qui habitent aussi les forêts du Sud-Est asiatique, l'orang-outan, malgré ses grands bras, utilise peu la brachiation, ce mode de déplacement caractéristique qui consiste à prendre appui presque uniquement sur les mains et à se balancer d'un bras sur l'autre.

Tandis que le gibbon donne l'impression de voler de branche en branche quand il parcourt rapidement son domaine aérien (il peut progresser à la vitesse d'un homme à pied), l'orang-outan, beaucoup plus lourd, se déplace lentement et ne lâche un pied ou une main que si les autres « mains » l'assurent : la chute serait terrible de quelque 20 m de haut. Prudent, il ne saute qu'exceptionnellement.

1.2. Le plus gros mangeur de fruits tropicaux de la planète

L'orang-outan est essentiellement frugivore : son régime se compose pour les deux tiers de fruits, durians, jaques, mangues, litchis, mangoustans, figues... C'est le plus gros mangeur de fruits de la planète. Mais il se nourrit également de feuilles, de lianes, de jeunes pousses et de petites proies animales comme les termites, les fourmis, voire le contenu d'un nid d'oiseau.

Pour compléter son régime, il descend parfois sur le sol afin d'avaler un peu de terre, riche en sels minéraux. Enfin l'eau, qu'il boit volontiers, ne manque pas dans la forêt tropicale humide.

Mais la caractéristique alimentaire la plus intéressante de cette espèce est sa consommation d'écorces, rare chez les autres singes. L'orang-outan dispose à cet effet de deux grandes incisives encadrées de deux plus petites, particulièrement efficaces pour racler les troncs et les branches. Grâce à sa mâchoire puissante, il peut aussi broyer les végétaux coriaces ou les coques des fruits.

Les fruits préférés de l'orang-outan

Les fruits préférés de l'orang-outan



Les arbres à fruits sont nombreux dans la forêt indonésienne et malaise. Le ficus est l'un des plus répandus, avec plusieurs dizaines d'espèces qui s'étagent du niveau de la mer jusqu'à plus de 1 500 m, altitude que ne dépasse jamais l'orang-outan.

Outre les fruits du ficus, le grand singe roux apprécie tout particulièrement ceux du jaquier et du durian, comestibles pour l'homme.

Le jaquier (Arctocarpus heterophyllus), cousin de l'arbre à pain si important dans le Pacifique, donne de gros fruits, les jaques, qui poussent directement sur le tronc. L'orang-outan mange aussi ses graines qu'il ramasse à l'occasion. Par contre, sur le durian (Durio zibenithus), il ne consomme que le fruit.

La nourriture est rarement un motif de conflit

Mâles et femelles ne sont pas directement en compétition dans la quête de leur nourriture. Chacun a son domaine. Le mâle, plus lourd, s'alimente plus près du sol. Inversement, la femelle prospecte les niveaux supérieurs de la forêt, souvent en des endroits que les grands mâles ne pourraient pas atteindre. Par ailleurs, les femelles mangent en moins grandes quantités que les mâles, mais, pendant la gestation ou la lactation, il leur faut des aliments plus riches. Ce qui revient à dire que les deux sexes n'ont pas les mêmes choix alimentaires : les conflits en sont réduits d'autant. Quand plusieurs orangs-outans se rencontrent autour d'un grand arbre couvert de fruits, les animaux se nourrissent ensemble, en respectant une apparente neutralité.

La jungle indonésienne est une des plus complexes qui soit. Dans la réserve de Tanjung Puting, au sud de Bornéo, on a recensé plus de 600 espèces végétales, dont chacune possède son propre cycle (floraison puis fructification). Et les orangs-outans font preuve d'une intelligence et d'une mémoire étonnantes pour repérer les arbres en fruits et s'y nourrir au bon moment.

1.3. Les grands mâles, patriarches jusqu'à la mort

Deux fois plus lourds que les femelles, dotés d'un pelage plus épais et d'une barbe touffue, les grands mâles se distinguent de celles-ci encore davantage en développant, avec l'âge, une face véritablement étonnante. Ils ont en effet de chaque côté des joues une sorte d'excroissance en forme de demi-lune, le disque facial ; mais celui-ci n'apparaît que tard dans la vie du mâle.

Les jeunes mâles atteignent la maturité sexuelle entre 7 et 10 ans et peuvent rester dans cet état, que l'on appelle subadulte, jusqu'à 14 ans, tant que la présence d'un mâle dominant empêche leur développement complet. Mais, quand le patriarche meurt, la physionomie de l'orang-outan qui lui succède change alors rapidement. Son poids double brutalement, passant de 50 à quelque 90 kg, et des dépôts graisseux apparaissent sous la peau des joues, formant le disque facial. En même temps que son physique se transforme, son comportement devient plus agressif, et il impose son autorité dans sa portion de forêt, qu'il défend de la voix – en poussant son long cri caractéristique – et du geste. En cas de combat, les plus grands s'imposent plus facilement.

Sur son territoire forestier, variant de 1 à 5 km2, le grand mâle est l'élément stable, la référence autour de laquelle les plus jeunes, mâles et femelles, s'organisent.

Le long cri du grand mâle

Le long cri du grand mâle



Parfois, la jungle résonne d'un long cri qui s'entend jusqu'à plusieurs kilomètres à la ronde. Il commence par un grondement doux et sourd, se poursuit par un rugissement presque léonin et se termine en decrescendo par une suite de grognements et de soupirs. Ce cri, le plus impressionnant de toutes les forêts d'Asie, est le propre des grands mâles orangs-outans, dont les disques faciaux jouent le rôle de réflecteurs paraboliques pour diriger le son.

Ce cri sert à espacer les grands mâles, chacun régnant sur un territoire de 1 à 5 km2. Il permet sans doute aussi aux femelles et aux jeunes de repérer l'emplacement du dominant et de se situer au sein de la forêt.

Les Indonésiens et les Malais ont plusieurs légendes pour expliquer ce cri extraordinaire.

Les femelles préfèrent les grands mâles

Le grand mâle est aussi le père que les femelles choisissent de préférence pour leur petit. Il leur offre, sur le territoire qu'il habite, toutes les garanties de paix et de nourriture !

La femelle attire le mâle quand elle est réceptive, pendant trois à quatre jours sur un cycle de trente jours. L'accouplement a lieu dans les arbres. À la différence de la plupart des autres singes, il se fait généralement face à face. Les deux animaux restent quelques jours ensemble, se déplaçant de concert, mais dormant chacun dans son nid.

Il arrive aussi qu'une femelle subisse un accouplement forcé avec un mâle subadulte, même si elle n'est pas réceptive (ni donc fécondable). En ce cas, l'accouplement est beaucoup plus rapide. En général, cela n'arrive qu'avec des femelles subadultes, les femelles adultes étant assez fortes pour repousser les assauts non désirés de la part des jeunes mâles.

Le mâle dominant ne laisse les plus jeunes féconder les femelles que lorsqu'il est devenu stérile, passé ses trente ans. Cela ne l'empêche pas jusqu'à la fin de ses jours de transmettre son savoir, et de défendre son domaine.

1.4. La femelle orang-outan, une mère attentive

Quand la femelle s'est accouplée et qu'il y a eu conception, un bébé orang-outan vient au monde après 260 à 270 jours de gestation. Les naissances sont très espacées chez les orangs-outans. Dans la nature, on a pu observer que les femelles mettaient au monde, en moyenne, un nouveau-né tous les six à huit ans, soit au mieux trois ou quatre petits pendant la période fertile de leur vie (elles ont généralement leur premier petit entre 12 et 15 ans, et cessent de pouvoir se reproduire à 30 ans environ). C'est donc un système de reproduction très lent puisqu'il est fondé sur quelques petits seulement. Il faut des mères particulièrement attentives et des jeunes tous bien portants. Le renouvellement de l'espèce est facilement compromis en cas d'épidémie ou de prédation, par l'homme par exemple.

La mère orang-outan est très présente, attentive et protectrice. Le petit vient au monde dans le nid de feuilles de sa mère. Quelques minutes plus tard, la femelle expulse le placenta, relié au bébé par le cordon ombilical, qu'elle coupe avec ses dents. Les yeux clos, son pelage encore humide, le petit singe cherche déjà les mamelles de sa mère.

Dans ces moments-là, la femelle est généralement seule, mais il arrive qu'une fille aînée l'assiste et participe ensuite à l'éducation du dernier-né. Ce comportement permet à cette dernière d'apprendre les gestes qu'elle aura à accomplir un jour lorsqu'elle deviendra pubère, entre 7 et 10 ans.

Un bébé minuscule

Le nouveau-né orang-outan est minuscule ; il ne pèse que 1,5 kg. Les jumeaux sont rarissimes. La mère découvre doucement son nourrisson, confortablement installé dans son nid de feuilles. Elle se montre pleine de sollicitude envers son tout-petit qui, dans les premiers jours, ne s'éveille que pour téter. En cas de grosses chaleurs, elle lui fait de l'ombre avec son grand corps ; en cas d'averses tropicales, son long pelage devient un parapluie efficace.

Quand elle se déplace dans la jungle, elle le serre sous son bras jusqu'à ce qu'il sache s'accrocher tout seul à son flanc. Le bébé orang-outan ne tient pas très bien au pelage de sa mère. Il est même arrivé que des mères, prises de panique à l'arrivée d'un ennemi, jaillissent hors du nid et perdent leur petit. Avec son tout-petit dans un bras, la femelle n'a plus que trois mains pour se déplacer. Ses gestes, lors de ses progressions dans les arbres, semblent alors encore plus précautionneux que d'habitude.

Au bout de quelques semaines, le bébé profite des moments de repos pour explorer progressivement le grand corps de sa mère, grimper sur son dos, passer sous ses bras, toucher ses joues quand elle mastique. Vers 4 mois, devenu plus agile, il s'éloigne de sa mère pendant de courts instants et tente l'apprentissage de sa liberté.

L'apprentissage de la vie

Au bout de quelques mois, le jeune orang-outan sait se tenir et grimper. Il explore l'environnement immédiat autour de sa mère et profite des heures de repas pour découvrir la forêt. Très joueur, le jeune orang-outan n'a pourtant pas souvent de compagnons. Les seuls contacts avec ses frères et sœurs ne sont qu'occasionnels. Le petit rencontre d'autres bébés orangs-outans uniquement quand plusieurs femelles se retrouvent, autour d'un arbre en fruits.

À 3 ans et demi, le jeune orang-outan se déplace seul. C'est alors que sa mère le sèvre. Il peut se nourrir aisément car il consomme de la nourriture solide depuis longtemps, ayant imité sa mère quand elle se nourrit de fruits, de végétaux et parfois de petits animaux.

Une croissance par paliers

L'observation dans la nature est toujours difficile pour les chercheurs et perturbe beaucoup les animaux. De nombreuses informations sur la première enfance de l'orang-outan ont donc été faites sur des animaux captifs. On a ainsi pu comparer la croissance de ces animaux à celle de bébés humains. En moyenne, le petit d'homme est, à la naissance, presque deux fois plus lourd que le bébé singe. Jusqu'à 2 ans environ, les courbes de croissance des deux espèces restent parallèles, puis, entre 2 et 4 ans, le développement de l'orang-outan s'accélère très rapidement et le petit singe devient plus lourd que le jeune humain. La comparaison entre l'orang-outan et l'homme montre aussi que tous deux ont exactement le même nombre de dents : 20 dents de lait et 32 dents définitives.

La première dent de lait du petit orang-outan perce à 4 mois et demi. C'est une incisive de la mâchoire inférieure.

Avec ses dents de lait, le petit animal s'entraîne à mordiller les plantes dont se nourrit sa mère.

La première molaire apparaît vers 4 ans, quand l'animal est sevré depuis plusieurs mois. Dans l'espèce humaine, c'est vers 6 ans que se met en place la première molaire définitive. La troisième et dernière de l'orang-outan pousse entre 12 et 15 ans.

1.5. La vie en bande à l'adolescence

Le jeune orang-outan s'éduque lentement, à travers toutes sortes d'épreuves parfois difficiles.

Bien que le jeune soit sevré vers l'âge de 3 ans et demi, les liens restent forts entre sa mère et lui jusqu'à ce qu'il atteigne sa maturité sexuelle, donc au moins jusqu'à l'âge de 7 ou 8 ans.

Lors de la période d'adolescence, entre 7 et 10 ans, les jeunes orangs-outangs subadultes, mâles comme femelles  – bien qu'ils soient le plus souvent solitaires –vivent parfois en petits groupes comptant de 2 à 3 membres. Les plus jeunes profitent de l'expérience de l'aîné d'entre eux. Leur association reste néanmoins assez lâche.

Chacun se nourrit seul, mais le fait d'être plusieurs augmente probablement leurs chances de trouver les arbres qui ont des fruits. Après les repas, les jeux dans les arbres et tes acrobaties multiples développent le sens de l'équilibre des jeunes singes.

Quand vient le soir, chacun prépare son nid sur le même arbre ou dans des arbres proches. Mais, s'il fait trop mauvais pendant la nuit, le plus jeune ira peut-être chercher refuge et réconfort dans le nid d'un aîné, à moins qu'il ne prenne une grande feuille en guise de parapluie.

C'est ainsi que s'opère de façon progressive le passage entre la vie privilégiée avec la mère et la vie adulte.

1.6. Milieu naturel et écologie

Il y a environ un million d'années, au début du quaternaire, une forme assez grande d'orang-outan habitait le sud de la Chine et les forêts voisines du Viêt-nam du Nord et du Laos. Une forme plus petite se trouvait dans l'île de Java. Ces deux types de populations ont aujourd'hui disparu. L'homme en est en partie responsable, du fait de la chasse et de la destruction de la forêt.

De nos jours, l'orang-outan ne se rencontre plus que dans certaines forêts tropicales de basse altitude (entre 500 et 1 500 m) de Bornéo et de Sumatra. Alors que l'on a longtemps défini l'orang-outan comme une espèce solitaire sans réelle structure sociale, on définit aujourd'hui plutôt le tissu social des orangs-outan comme des communautés. Toutefois, il existe des différences à cet égard entre l'orang-outan de Bornéo et celui de Sumatra. Celui de Bornéo, qui a un faciès rond, a des mœurs relativement solitaires ; celui de Sumatra, à la face plus allongée et à la barbiche pointue, a une vie sociale plus structurée. De plus, à Sumatra, on voit parfois des regroupements importants d'individus dans les figuiers couverts de fruits ou dans les zones où les arbres en fruits sont abondants.

Une femelle vit seule sur 100 ha à Bornéo, tandis qu'à Sumatra elle vit sur une surface beaucoup plus grande, 5 km2, mais la partage avec d'autres femelles. Le domaine vital d'un mâle recouvre celui de plusieurs femelles.

Diverses études menées à partir du milieu des années 1990 ont mis en évidence chez les deux espèces d'orangs-outans une véritable culture (plus développée toutefois chez l'espèce de Sumatra, plus sociale) : il s'agit de comportements acquis par certains individus du groupe et transmis aux autres, puis aux générations suivantes. L'ensemble de ces comportements dessine un tableau différent d'une population à l'autre. Ces comportements comprennent l'utilisation d'outils (par exemple, des brindilles pour ôter les pépins des fruits, ou de petites branches pour extraire des insectes d'un trou d'arbre ; de feuilles utilisées comme parapluies ou pour amplifier leurs cris lors de la construction des nids [par ailleurs, les gammes de vocalises varient entre les populations, comme un langage], etc.).e Plus de vingt comportements culturels ont pu être observés par les primatologues.

Le partage des fruits avec les autres singes

À Bornéo comme à Sumatra, l'orang-outan côtoie d'autres singes, dont les gibbons ou hylobatidés, qui occupent pratiquement le même espace que lui. De taille modeste, les plus lourds ne dépassant pas une douzaine de kilos, ils se nourrissent essentiellement de fruits et vivent uniquement dans les arbres. Différentes recherches écologiques menées à Bornéo et à Sumatra permettent d'en savoir plus sur la cohabitation de l'orang-outan avec les gibbons.

Des observations faites dans la réserve de Kutaï à Bornéo ont montré que l'orang-outan et le gibbon de Muller (Hylobates muelleri) exploitent les mêmes strates de la forêt, sous-bois et fourrés jusqu'à 10 m de haut. Mais l'orang-outan descend parfois à terre, ce que ne fait jamais le gibbon, et son régime alimentaire est beaucoup plus riche en fruits que celui de son petit cousin, qui se contente souvent de feuilles. On n'a jamais non plus constaté d'interaction directe entre les deux espèces.

À Bornéo également, les orangs-outans mangent aussi des écorces, des lianes et le cœur de rameaux. Leur force leur permet de consommer des fruits à grosse coque, que les petits singes sont incapables d'ouvrir. Enfin, alors que les gibbons, les écureuils et les calaos ne mangent que des fruits bien mûrs, les orangs-outans se contentent parfois de ceux qui sont encore verts. Ces différences réduisent la concurrence entre les deux espèces.

2. Les deux espèces d'orang-outan

2.1. Orang-outan Pongo pygmaeus et Pongo abelii

Les deux espèces d'orang-outan (l'orang-outan de Bornéo et celui de Sumatra) font partie, avec les chimpanzés (chimpanzé commun et bonobo) et les gorilles (deux espèces), des grands singes hominoïdes, les primates les plus proches des humains. Ce sont les seuls à vivre en Asie, les autres se rencontrant en Afrique.

Essentiellement frugivore, l'orang-outan passe sa vie dans les arbres, ne descendant que pour avaler un peu de terre, riche en sels minéraux.

Son rythme de vie est bien réglé. Il se lève peu après le jour, vers 6 h 30, et mange aussitôt un fruit. Puis, sans jamais se presser, il passe sa journée en quête de nouvelle nourriture, ne s'interrompant que pour faire la sieste. Le soir, il se couche vers 18 h. L'orang-outan consacre ainsi en moyenne 46 % de sa journée à son alimentation, 39 % au repos, 11 % à ses déplacements et quelques minutes pour construire son nid.

Cas unique chez les grands singes, l'orang-outan mâle a une morphologie extrêmement différente de celle de la femelle.

Le grand mâle orang-outan mesure environ 1,50 m et peut peser de 90 à 100 kg. Avec ses bras qui lui arrivent aux chevilles et ont jusqu'à 2,40 m d'envergure, il est impressionnant. Mais, surtout, il se reconnaît aux replis cutanés graisseux sur les côtés de ses joues, le disque facial. Ce caractère sexuel secondaire se développe subitement chez le subadulte, sous l'effet d'une poussée de testostérone (hormone sécrétée par les testicules), quand le mâle dominant meurt, laissant son territoire sous l'autorité d'un autre mâle.

La femelle, elle, garde le même visage sa vie durant. Avec ses quarante kilos, elle est deux fois moins imposante que le grand mâle.

À l'aise dans sa portion de forêt, chaque grand mâle règne sur des groupes lâches de femelles et de jeunes. Il les protège en criant pour éloigner les intrus. Il les « nourrit » en dénichant pour eux les arbres à fruits. Comment y parvient-il, alors que la jungle est d'une extrême complexité avec ses centaines d'espèces de végétaux qui ont chacun leur propre cycle ? C'est la question que se posent tous les zoologues. La réponse est peut-être la mémoire que les grands mâles auraient du rythme de fructification des différents arbres. Il se peut aussi que les orangs-outans repèrent les allées et venues d'autres frugivores, comme les oiseaux.

Deux espèces

Deux espèces



À cause de leur présence sur deux îles différentes de l'archipel de la Sonde, Sumatra et Bornéo, les systématiciens ont longtemps considéré qu'il existait une seule espèce d'orang-outan, au sein de laquelle étaient reconnues deux sous-espèces,  Pongo pygmaeus abelli à Sumatra, et Pongo pygmaeus pygmaeus à Bornéo. Sur la base d'études génétiques, cette classification a été revue en 2004 pour reconnaître deux espèces distinctes : l'orang-outan de Sumatra, Pongo abelii, et l'orang-outan de Bornéo, Pongo pygmaeus.

L'orang-outan de Sumatra est un peu plus léger et grêle que celui de Bornéo. Il a un pelage plus long, brun-roux.

L' orang-outan de Bornéo est couvert de poils marron chocolat. Il a une tête plus ronde et plus glabre que celui de Sumatra. Les replis cutanés (ou disque facial) des grands mâles rendent leurs visages plutôt ovales à Sumatra et plutôt carrés à Bornéo. L'orang-outang de Sumatra est également plus social que celui de Bornéo.

Les deux espèces sont menacées de disparition. L'orang-outan de Sumatra, le plus rare, est au bord de l'extinction.

          

ORANG-OUTAN

Nom (genre, espèce) :

Pongo pygmaeus et Pongo abelii

Famille :

Hominidés

Ordre :

Primates

Classe :

Mammifères

Identification :

Grand singe roux sans queue. Bras nettement plus grands que les jambes. Envergure : 2,25 m. Développements graisseux sur la face des mâles adultes dominants

Taille moyenne :

Mâles : 96 cm ; femelles : 78 cm Debout : mâles : 137 cm ; femelles : 115 cm

Poids :

Mâles : de 45 à 100 kg ; femelles : de 35 à 50 kg

Répartition :

Îles de la Sonde. Deux espèces : Pongo pygmaeus à Bornéo et Pongo abelii à Sumatra)

Habitat :

Forêts tropicales peu modifiées

Régime alimentaire :

Végétarien essentiellement frugivore

Structure sociale :

Groupes lâches de quelques femelles autour d'un mâle territorial

Maturité sexuelle :

Entre 7 et 10 ans

Saison de reproduction :

Non marquée

Durée de gestation :

260-270 jours

Nombre de petits par portée :

1 (jumeaux rarissimes)

Poids à la naissance :

1,5 kg

Espérance de vie :

Inconnue

Longévité :

De 35 à 45 ans dans la nature ; 60 ans en captivité

Effectifs :

Environ 55 000 à Bornéo ; 7 300 à Sumatra (estimations 2004). Très menacé, tendance à la baisse

Statut, Protection :

Classé en Annexe I de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction). Malheureusement, le braconnage persiste et le milieu naturel disparaît rapidement

Remarque :

Encore des risques de captures illégales, notamment pour le marché des animaux de compagnie

 

2.2. Signes particuliers

Arcade sourcilière

Le fait que l'arcade sourcilière soit peu marquée donne au visage et au regard de l'orang-outan un aspect presque humain. Cette caractéristique est particulièrement nette chez les tout jeunes animaux qui ont, en plus, comme des lunettes blanches autour des yeux. Avec l'âge, les marques blanches s'estompent, mais l'expression humaine demeure chez les femelles et les mâles subadultes. Ceci s'ajoute à la coloration rose de la face, à la vivacité du regard, à la diversité des mimiques du visage, aux longs poils qui forment comme une barbe. Cette barbe n'est pas l'apanage des seuls mâles, puisque les femelles en sont parfois généreusement dotées. Chez les animaux de Sumatra, cette barbe est plutôt de forme pointue, jaune ou blanche. À Bornéo, elle est plus sombre : les teintes habituelles sont orange et rouge.

Disques faciaux

Ces masses graisseuses caractérisent : les grands mâles. Situées de chaque côté des joues, elles forment des replis volumineux. Ces disques faciaux jouent le rôle de réflecteur parabolique pour diriger le son, en particulier le long cri que poussent les grands mâles. Une poche, dite gulaire, située sous la gorge, comme un énorme double menton, sert de chambre de résonance en se gonflant à l'extrême puis en se contractant. Les communications vocales sont fréquentes et treize vocalisations différentes ont été identifiées par les chercheurs. Mais ce long cri semble tout à fait spécifique des grands mâles, car on n'a jamais observé de femelle ni de mâle subadulte l'émettant.

Quatre « mains »

Les mains et les pieds de l'orang-outan se ressemblent tellement qu'on a pu dire de ce singe qu'il avait quatre « mains ». La paume est très développée, les doigts, longs et robustes, peuvent se replier en crochet, ce qui permet à l'animal de s'assurer de bonnes prises dans ses déplacements. Ces organes préhensiles ainsi que la grande envergure de ses bras (plus de 2 m) témoignent de la bonne adaptation de l'orang-outan à sa vie dans les arbres. Le pouce est, au contraire, peu développé, au membre supérieur comme au membre inférieur. Parfois même dépourvu d'ongle, il ne joue presque aucun rôle quand l'animal s'accroche aux branches et ne sert guère non plus pour cueillir les fruits.

3. Origine et évolution de l'orang-outan

Avec ses arcades sourcilières peu marquées, ses yeux vifs et ses nombreuses mimiques, l'orang-outan semble parfois incroyablement humain. Comme le gorille, le chimpanzé (et son cousin le bonobo) et l'homme, il fait partie de la famille des hominidés, les plus grands primates de la planète. Ces grands singes sont les plus proches cousins de l'homme. On les appelle anthropoïdes parce que la forme de leur visage, la taille de leur cerveau et leur absence de queue les font ressembler étrangement à l'homme. Pas étonnant : l'homme et eux avaient les mêmes ancêtres, des primates hominoïdes, il y a seulement quelque 30 millions d'années. Puis, selon les recherches les plus récentes, le rameau gibbon se serait séparé du tronc principal qui mène à l'homme, il y a 10 millions d'années. L'orang-outan en aurait fait autant il y a 8 millions d'années.

La branche qui donna naissance au gorille et au chimpanzé se serait détachée il y a tout juste 5 millions d'années.

De nos jours, le gorille et le chimpanzé ne se rencontrent qu'en Afrique, l'orang-outan ne se trouve, lui, qu'en Asie, cantonné dans les jungles épaisses de Sumatra et de Bornéo, deux îles de l'archipel de la Sonde. La surface qu'habitaient ses ancêtres était bien plus vaste. On a retrouvé des fossiles sur l'île de Java et sur le continent asiatique lui-même. Deux genres éteints différents ont dans un premier temps étaient définis, Sivapithecus et Ramapithecus, là où, maintenant, on considère qu'il n'y a qu'un genre – probablement à l'origine de l'orang-outan actuel –, Sivapithecus, au sein duquel on distingue plusieurs espèces.

Le grand singe roux, aux bras démesurément longs, était très populaire en Malaisie et en Indonésie où on l'apprivoisait. Mais ses mœurs sauvages ont longtemps été mal connues. Farouche, secret, vivant le plus souvent en solitaire (ou plutôt de façon semi-solitaire — les primatologues parlent de « sociabilité éclatée »), et presque uniquement en haut des arbres dans des forêts marécageuses et inextricables, l'orang-outan est resté longtemps le plus mystérieux des grands singes.

Aujourd'hui, après des années d'approche patiente, on connaît mieux sa vie. Mais ce singe est devenu si rare que sa survie est très menacée.

4. L'orang-outan et l'homme

Parce qu'il était proche de l'homme, l'orang-outan a failli disparaître. On l'arrachait à sa jungle pour en faire un animal de compagnie ou un animal de laboratoire. Aujourd'hui, les anciens captifs retrouvent la vie sauvage. Mais une menace pèse encore sur l'espèce : l'abattage de la forêt tropicale...

4.1. Des espèces au bord de l'extinction

Chassé pour sa viande, enlevé à sa mère pour en faire un animal de compagnie, l'orang-outan avait déjà vu son aire de répartition régresser avant l'arrivée des Européens dans les îles de la Sonde, au xvie siècle. Dès lors, les choses empirèrent : on se mit à capturer les orangs-outans pour les envoyer dans de lointains jardins zoologiques et de nombreux centres de recherche. On tuait les mères pour s'emparer des jeunes, dont beaucoup mouraient en route.

Les destructions atteignent un maximum entre 1930 et 1970. Aussi, en 1977, l'orang-outan est-il classé en Annexe I de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) réglementant le commerce des espèces menacées : toute vente, tout achat ou échange d'orang-outan est désormais interdit.

Les effectifs des orangs-outans ont diminué dramatiquement. La principale menace qui pèse aujourd'hui sur eux est la régression de leur milieu naturel, la forêt, qui cède sans cesse du terrain aux terres cultivables. Que peut faire le grand singe roux privé de ses arbres ? Par ailleurs, malgré l'interdiction, à l'échelle internationale, de tout commerce d'orangs-outans, il subsiste un trafic qui alimente un marché illégal d'animaux de compagnie. Les orangs-outans sont capturés bébés, ce qui implique pour les braconniers de tuer leur mère ; de plus, beaucoup de petits ne survivent pas au transport, surtout privés de soins maternels…  On estime que pour chaque petit orang-outan finalement vendu, dix sont morts.

Les effectifs des deux espèces ne cessent de diminuer. Leur situation est aujourd'hui tellement précaire que l'on craint, si des mesures radicales de protection ne sont pas mises en œuvre, de voir s'éteindre les orangs-outans d'ici 2020 ou 2030. L'orang-outan de Sumatra, devenu très rare, est encore plus menacé que son cousin de Bornéo (en 2004, on estimait qu'il n'en subsistait qu'environ 7 300 individus, tandis que la population de Bornéo était estimée comprise entre 45 000 et 69 000 individus).

4.2. Préserver la forêt pour les orangs-outans

Depuis que le trafic et la possession d'orangs-outans sont interdits, différents centres de réadaptation ont été ouverts pour, les anciens singes captifs. On leur y réapprend la vie sauvage avant de les relâcher dans la forêt. Ces centres, ouverts au public, servent aussi à sensibiliser la population à la protection de ces animaux.

Face à la diminution des forêts, pour les besoins de l'homme, la seule solution pour assurer la survie du grand singe est la création de réserves forestières.

Des organismes comme le WWF (Fonds mondial pour la nature) ou l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature), en accord avec les gouvernements locaux, ont donc mis en place des plans d'étude et de sauvegarde des orangs-outans au sein de parcs nationaux.

À Sumatra, on ne trouve plus d'orangs-outans que dans la partie nord de l'île, où a été créé le parc national de Gunung Leuser. D'une surface de 9 460 km2, il présente tous les types de forêts, depuis la mangrove (forêt marécageuse) littorale et les forêts inondables de basse altitude jusqu'à la végétation subalpine des sommets. Dans cette zone coexistent huit espèces de primates et la moitié des espèces de vertébrés de Sumatra. Dans ce parc se trouve, à Ketambé, le plus ancien centre de réhabilitation pour orangs-outans. Malheureusement, le parc ne concerne qu'environ un quart des orangs-outans subsistant à Sumatra. Une zone protégée de 26 000 km2 (qui autorise l'exploitation forestière, mais sur les principes du développement durable), la Leuser Ecosystem Conservation Area (inaugurée en 1998), a été établie autour du parc. En tout, ce sont environ 75 % des orangs-outans survivants qui vivent dans des zones protégées de façon plus ou moins stricte.

Tous les autres programmes de protection et d'étude de l'orang-outan se déroulent à Bornéo, dont trois pays se partagent les forêts : l'Indonésie, la Malaysia et le petit État de Brunei. Excepté ce dernier, tous abritent des orangs-outans, mais les plus importantes populations de ce singe se situent dans la partie indonésienne de l'île : la région du Kalimantan dont le sud et l'est sont encore couverts de belles forêts tropicales de basse altitude. Situé à l'est, le parc national de Kutai abrite, sur ses 2 000 km2, dix espèces de primates dont l'orang-outan, mais aussi le nasique et le gibbon de Muller, tous les deux propres à Bornéo, et menacés. À Kalimantan Tengah (au sud), le parc national de Tanjung Puting couvre 4 150 km2 de forêts littorales, en partie inondables. Plusieurs autres réserves et sanctuaires de la vie sauvage sont installés sur l'île.

Malheureusement, en définitive, quelques pour cent seulement de la surface encore favorable à l'espèce est actuellement protégée. Les spécialistes s'accordent pourtant pour dire que sans mesure à grande échelle, les orangs-outans sont irrémédiablement condamnées à l'extinction…

Grand ancêtre velu...

Grand ancêtre velu...



Avec son grand corps velu et ses expressions étrangement humaines, le grand singe roux a donné naissance à nombre de légendes et de croyances. Selon les Malais, l'orang-outan sait parler mais ne le fait pas, car sinon il serait forcé de travailler ! Pour les Dayaks, tribus qui vivent dans la jungle de Bornéo, les orangs-outans font figure de grands ancêtres. Et les longues maisons dayaks traditionnelles sont souvent décorées avec des crânes de vieux mâles aux canines impressionnantes...

4.3. Deux femmes à la découverte des orangs-outans

Deux femmes ont joué un rôle de pionniers dans la connaissance et la protection du plus secret des grands singes : Barbara Harrison, en apprenant à élever de jeunes orangs-outans orphelins et en développant un programme international de protection de l'espèce ; Biruté Galdikas, en tentant la première étude à long terme sur l'orang-outan sauvage.

Dès 1960, Barbara Harrison recueillait de jeunes singes orphelins et s'efforçait d'apprendre à les soigner et à les élever à la « mode orang-outan ». Habitant à Kuching, la capitale de Sarawak (Bornéo), elle hébergea longtemps les animaux dans sa maison avant de découvrir l'importance précoce des nids dans les arbres. Elle n'avait que l'expérience pour guide, aucun document n'existant alors sur l'élevage des petits orangs-outans. Son livre, Orang Utan (en anglais), raconte l'émouvante histoire de ses rapports avec ses « enfants » singes. Les animaux qui passaient par son centre de réhabilitation, installé dans les 15 km2 du parc national de Bako, étaient ensuite relâchés dans la nature ou confiés à des parcs zoologiques à qui elle indiquait comment en prendre soin et rendre possible leur reproduction en captivité...

Quand, en 1971, Biruté Galdikas s'installa dans la réserve de Tanjung Puting, au sud du Kalimantan (Bornéo), pour étudier les orangs-outans sauvages, elle savait qu'il lui faudrait longtemps avant de pouvoir se repérer dans cette jungle marécageuse et de réussir à les approcher. Après les avoir pistés pendant des journées entières, elle finit par habituer de vieux mâles à sa présence. Au début, ils lui jetaient des morceaux de bois à la tête pour la décourager ; par la suite, certains se laissèrent approcher à quelques mètres. Mais elle dut attendre plus d'une douzaine d'années pour observer certaines femelles.