grue cendrée

Grue cendrée
Grue cendrée

La grue cendrée appartient à l'un des ordres d'oiseaux les plus anciens : les gruiformes. Ce magnifique échassier, célèbre pour sa robe grise et les coups de trompette qu'il pousse en vol, a peu évolué depuis des millions d'années. Malgré la protection dont il est l'objet, ses effectifs sont en constante diminution.

Introduction

Les grues étant dotées d'une grande taille, la fossilisation de leurs restes a pu s'effectuer dans de bonnes conditions. Grâce à de nombreuses découvertes paléontologiques, les grues comptent parmi les oiseaux dont l'origine et l'évolution sont maintenant connues de manière très précise.

L'ordre des gruiformes est l'un des premiers apparus dans l'histoire des oiseaux, il y a 60 millions d'années, au début de l'ère tertiaire. À cette époque vivaient des gruiformes aux caractéristiques primitives, Gastornis, en Europe, et Diatryma, également en Europe mais aussi en Amérique du Nord. Ce dernier, qui subsista pendant 10 millions d'années, était un énorme oiseau coureur, incapable de voler, doté d'un fort bec crochu trahissant un régime alimentaire carnivore. À la fin de l'ère tertiaire, un autre géant coureur au bec plus puissant encore, Phororhacos, habitait l'Amérique du Sud.

Bientôt, à côté de ces oiseaux gigantesques apparurent des gruiformes plus élancés, au bec droit, qui habitaient les milieux humides, entre terre et eau. Les premiers gruidés connus datent de l'éocène, il y a environ 50 millions d'années. De l'éocène à la fin de l'oligocène, il y a 23 millions d'années, les genres Geranopsis et Paleogrus vivaient en France et en Grande-Bretagne, et le genre Paragrus en Amérique du Nord. Problearica leur succéda au miocène, il y a 20 millions d'années, puis Pliogrus (contemporain de Urmiornis en Asie occidentale) au pliocène, il y a 5 millions d'années.

Les fossiles les plus anciens connus du genre Grus, auquel appartient la grue cendrée, datent du pliocène en Amérique du Nord et du pléistocène (entre – 2 millions d'années et – 100 000 ans) en Europe. Selon certains ornithologues, la grue du Canada (Grus canadensis) serait l'espèce d'oiseau la plus ancienne encore vivante : elle sillonnerait le ciel de l'Amérique du Nord depuis bientôt 10 millions d'années !

Pour cette espèce comme pour de nombreux gruiformes, une telle ancienneté se traduit par une vulnérabilité croissante, en raison de leur incapacité à évoluer. Leur adaptabilité réduite a conduit plusieurs espèces à l'extinction et menace beaucoup d'autres du même sort tragique. Inscrites aux annexes I et II de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction), les grues sont également protégées par la Convention sur la conservation des espèces migratrices (CMS), par la Convention  de Berne et par les législations nationales dans la plupart de leurs aires de répartition.

La vie de la grue cendrée

Un animal qui aime la compagnie

La grue cendrée fait preuve d'un grégarisme affirmé pendant la plus grande partie de l'année, soit pendant environ huit mois sur douze. Elle recherche la compagnie de ses semblables en toutes occasions, qu'il s'agisse des grands rassemblements préludant à la migration, des vols migratoires ou de l'hivernage.

Les groupes de plusieurs centaines à plusieurs milliers de membres ne sont alors pas rares. Des groupes plus petits, comptant parfois une quinzaine d'oiseaux seulement, peuvent être observés au cours des migrations. Il s'agit généralement de voyageuses qui se sont temporairement écartées de l'axe migratoire principal et ne tarderont pas à rejoindre le gros de la troupe, à la faveur d'une halte.

En dehors de l'aire de nidification de l'espèce, les grues isolées sont souvent des oiseaux affaiblis, malades ou blessés, contraints d'abandonner leurs compagnes de route. L'oiseau peut alors subsister seul (parfois en groupe de deux ou trois) dans des régions situées entre la zone de reproduction et la zone d'hivernage.

Un régime très végétarien

La journée d'une grue cendrée est en grande partie occupée par la recherche de nourriture. Car cet oiseau, l'un des plus grands de la faune européenne, ne choisit, pour l'essentiel, que des aliments de petite taille. Ayant à couvrir des besoins énergétiques importants, il doit donc consacrer de longues heures à leur recherche. La grue est avant tout végétarienne. Elle apprécie beaucoup les céréales, dont elle consomme soit les grains tombés à terre après la moisson, soit les jeunes pousses au moment de la germination. Dans ce dernier cas, elle n'arrache pas le jeune plant, mais cisaille le bout des feuilles.

Le maïs est particulièrement prisé, en raison de la taille de ses grains que les grues glanent minutieusement en arpentant les champs. Le blé, l'avoine, l'orge et le seigle, le riz en Asie et l'arachide en Afrique du Nord sont également recherchés. Dans les prés, les grues se délectent de graminées, de légumineuses (trèfle, luzerne) et de crucifères (chou). En Espagne, leur régime s'enrichit de glands et d'olives, gobés à terre. Au cours de la nidification, elles se nourrissent de pousses et de racines de roseaux, ou encore d'airelles et de baies de la camarine noire, qui prospèrent dans les tourbières fréquentées par certaines populations de grues.

Quelques petits animaux complètent le régime alimentaire de l'espèce. Les invertébrés fournissent d'abondantes proies : chenilles, sauterelles, escargots, limaces, araignées. Enfin, la grue ne dédaigne pas les petits vertébrés : musaraignes, batraciens et les couvées d'oiseaux qui nichent à terre. À la belle saison, cet apport animal peut excéder l'alimentation d'origine végétale.

Des couples unis jusqu'à la mort

Dès la fin de l'hiver, les grues manifestent leur humeur nuptiale par des démonstrations spectaculaires. Marchant avec raideur, le bec et le cou tendus, le mâle suit sa compagne pendant des heures, sans cesser de pousser des cris sonores. Enfin, la femelle marque son assentiment en s'arrêtant, ailes ouvertes. Aussitôt, le mâle bondit sur le dos de sa partenaire, replie les pattes et déploie ses ailes pour maintenir son équilibre. L'accouplement est bref, de 4 à 5 secondes. Puis le mâle saute à terre par-dessus sa compagne et effectue quelques rapides enjambées. Enfin, tous deux secouent leur plumage et se livrent à une toilette rituelle. Les couples sont unis à vie et ne sont séparés que par la disparition de l'un des partenaires.

Un domaine variable

Les couples, formés au cours de l'hivernage, se reproduisent après leur arrivée sur les sites de nidification, en mars ou en avril, quelquefois en mai. Chaque couple y occupe un domaine qui, selon les Russes G.P. Dementiev et N.A. Gladkov, peut s'étendre de 50 à 400 ha dans les régions de tourbières. D'après l'Allemand H. Sieber, des densités de 3 à 5 couples pour 40 ha peuvent être atteintes dans des conditions favorables. Dans le cas de couples isolés qui ne subissent pas la concurrence de voisins, le territoire peut n'occuper qu'un demi-hectare, selon l'Allemand K. Moll. Lorsque le territoire est inférieur à une dizaine d'hectares, il ne s'agit que de la zone de reproduction proprement dite ; les secteurs d'alimentation, plus étendus, sont alors distincts.

Le nid est toujours situé dans un lieu humide : à découvert sur un îlot ou caché dans l'épaisseur d'une roselière. La construction dure trois semaines, mais, souvent, le couple restaure l'ancien nid. Mâle et femelle concourent à son édification, ramassant des tiges de roseaux, des feuilles et des herbes, qu'ils projettent derrière eux pour les entasser. Le nid mesure de 70 cm à 1 m de diamètre et de 20 à 60 cm de hauteur.

Les danses des grues

Les danses des grues



Les grues cendrées peuvent « danser » tout au long de l'année, bien que leurs étonnants ballets soient plus fréquents au printemps. Les ailes déployées, elles se mettent à courir en tous sens puis, brusquement, bondissent en l'air en battant des ailes. Ces manifestations d'excitation peuvent être le fait d'oiseaux isolés, de couples ou de groupes.

Des jeunes très vite indépendants

Entre la fin du mois de mars et le milieu du mois de mai, la femelle pond en général deux œufs (plus rarement un seul ou bien trois) à quarante-huit heures d'intervalle, mais il arrive que cette durée soit réduite à un jour ou, au contraire, étendue à trois jours, voire même quatre. Si tout se passe bien, les grues n'élèvent, dans l'année, que les jeunes d'une seule ponte. Mais, si celle-ci est détruite par un corvidé ou un petit carnassier, une ponte dite « de remplacement » peut être déposée dans les jours qui suivent. L'ornithologue allemand W. Makatsch a ainsi observé une ponte de remplacement dix-sept jours après la perte de la première, soit un laps de temps très important.

L'incubation dure un mois. Très vigilants, le mâle et la femelle se relaient pour couver toutes les trois à quatre heures. Il semblerait que la femelle couve un peu plus que son partenaire. La couvaison commence dès la ponte du premier œuf, et les poussins éclosent l'un après l'autre, contrairement à d'autres espèces, comme le cygne, dont la couvaison débute après la ponte du dernier œuf et chez lequel les éclosions ont lieu le même jour. L'un des adultes s'occupe aussitôt du premier-né, tandis que l'autre continue de couver. L'aîné ne reste qu'un jour au nid et, le jour suivant, il est rejoint par le cadet. Bien que les deux parents puissent s'occuper des deux jeunes, il se crée un lien privilégié entre chaque adulte et l'un des poussins, qui le suit, en trottant entre ses pattes.

Des poussins très agiles

Les poussins de grues sont nidifuges, c'est-à-dire qu'ils quittent le nid très tôt pour suivre leurs parents, et se montrent tout de suite très actifs. Vêtus de leur duvet roussâtre et fourni, qu'ils portent dès l'éclosion, les petits savent courir, nager, se faufiler entre les herbes et se tapir en cas de danger.

Au cours des trois premiers jours de leur existence, ils sont nourris par les adultes, bec à bec. Mais, bientôt, ils apprennent à rechercher seuls leur nourriture, arrachant de menus fragments de plantes, picorant des graines ou encore gobant des larves et des insectes.

Pendant les trois premières semaines, les pattes des poussins s'allongent proportionnellement plus vite que leurs ailes, puis le rythme s'inverse. Il faut environ deux mois pour que le plumage se constitue, et les jeunes grues sont capables de voler à l'âge de deux mois et demi, juste à temps pour accompagner leurs parents lors de la migration d'automne, la première de leur vie. La maturité sexuelle est l'objet de controverses : elle interviendrait à 2 ans pour les Russes Dementiev et Gladkov, à 4, 5, voire 6 ans pour Makatsch.

Des migrations sonores et spectaculaires

Chaque année, à l'automne, les grues cendrées effectuent une migration qui les conduit de l'aire de nidification à l'aire d'hivernage, l'une et l'autre bien distinctes. Seules certaines grues des bords de la mer Noire seraient sédentaires ou ne se livreraient qu'à des déplacements de faible amplitude.

La migration s'effectue par étapes, de septembre à novembre. Dès la fin de l'été, les groupes familiaux se réunissent près des lieux de nidification, formant de petites bandes auxquelles se joignent les jeunes qui, eux, ont passé la saison de reproduction en marge des sites de nidification. Ces bandes convergent vers des lieux de rassemblement, où des troupes fortes de 10 000 oiseaux séjournent plusieurs semaines. Ces lieux, fréquentés d'année en année depuis des temps immémoriaux, sont situés autour de la mer Baltique. Il s'agit de l'île d'Öland, au sud-est de la Suède, de la baie de Mataslu, en Estonie, de la vallée de l'Oder, en Pologne, de l'île de Rügen, au nord de l'ancienne R.D.A., et du lac de Mürlitz, dans le Mecklembourg (ex-R.D.A.).

Un grand voyage vers le soleil

À la fin du mois d'octobre ou au début du mois de novembre, les grues entreprennent leur voyage vers le sud, en troupes plus ou moins nombreuses, se déplaçant de jour comme de nuit, faisant halte en certains points fréquentés traditionnellement. Puis elles repartent vers leur destination finale, dessinant de grands V dans le ciel, ponctuant leur vol de coups de trompette sonores afin de maintenir la cohésion du groupe.

Les grues de Norvège, d'une partie de la Suède et de la rive sud de la Baltique gagnent le sud de l'Espagne et, pour certaines, l'Afrique du Nord. Les populations du reste de la Suède, de Finlande et de Russie se rendent pour la plupart au Soudan, dans la vallée du Nil et en Éthiopie ; d'autres vont hiverner en Turquie, en Israël, en Iran et en Iraq. Les grues de Sibérie, quant à elles, passent l'hiver en Asie méridionale, de l'Iran à la Chine.

Au printemps, le retour s'effectue bien plus rapidement que l'aller, de mars à avril, selon les mêmes couloirs de migration. Tout comme à l'automne, les grues visitent les lieux de rassemblement traditionnels, notamment l'île de Rügen, en Allemagne, et Hornborgasjön, en Suède. Puis elles se dispersent pour une nouvelle saison de nidification.

Pour tout savoir sur la grue cendrée

Grue cendrée (Grus grus)

La grue cendrée est l'un des plus grands oiseaux d'Europe. Plus haute que la cigogne blanche et le héron cendré, elle atteint la taille d'un enfant de dix ans, soit 1,30 m environ. Chez elle, tout est élancé, les pattes, le cou, et même le corps, orné d'un magnifique panache caudal, appelé « queue de coq ». Mâle et femelle sont semblables à tout âge. La teinte dominante est le gris cendré, nuancé de brun sur le dos. Le cou est orné d'une cravate noire, flanquée sur les côtés de deux bandes blanches qui, depuis les joues, se rejoignent sur la nuque, délimitant un triangle noir sous la calotte. Les juvéniles sont gris pâle, teinté de chamois ou de cannelle ; contrairement aux adultes, ils ne portent ni panache caudal ni marques sur la tête.

Entièrement emplumé chez le jeune, le sommet de la tête se dénude en deux ou trois ans. Il ne subsiste alors que quelques courtes plumes, à l'aspect de soies. La peau nue forme un rectangle, rouge dans sa partie supérieure et noir au-dessus du front. C'est un signal visuel important dans les relations entre individus, de sexes différents ou de même sexe. L'ouïe de la grue n'a pas de qualités remarquables, et son odorat est quasi inexistant.

Le bec, droit et court comme un poignard, peut aussi bien arracher de l'herbe que piquer un insecte, happer un rongeur ou fouiller le sol pour y déloger une larve.

La cage thoracique de la grue cendrée cache une singularité anatomique : la trachée décrit des cercles à l'intérieur du sternum creux, qui agit comme une caisse de résonance. C'est grâce à ce dispositif que l'oiseau peut produire ces coups de trompette sonores à la portée étonnante.

Les plumes de l'avant-bras, les rémiges, sont si développées que ce sont elles, et non les plumes de la queue, qui forment le panache caudal de la grue. Les ailes, longues et larges, atteignent l'envergure remarquable de 2 m à 2,50 m. Mues par de puissants muscles pectoraux, elles peuvent battre pendant de longues heures. En revanche, si la grue peut planer en ligne droite ou en décrivant des cercles, elle n'égale pas, loin s'en faut, les grands voiliers que sont les vautours et la cigogne. Cependant, le vol battu lui permet de se passer des ascendances thermiques, lui conférant un avantage certain pour survoler les étendues d'eau ; on la voit ainsi traverser sans difficulté de grands lacs, des bras de mer et des mers intérieures. Pour la même raison, la nuit ne l'arrête pas non plus.

Les grues atteignent des vitesses de croisière élevées et couvrent rapidement de longues étapes. L'ornithologue anglais W. Alerstam a estimé leur vitesse moyenne à 67 km/h au-dessus de l'eau et à 44 km/h au-dessus des terres. Les vols de grues atteignent parfois des altitudes considérables : on les a observés à 5 000 m en Europe, et l'Allemand Meinertzhagen rapporte une altitude record de 6 500 m dans l'Himalaya.

À l'aise dans les airs, les grues le sont aussi à terre. Ce sont en effet de bonnes marcheuses, leurs pattes hautes aux doigts longs leur autorisant des déplacements amples, aisés, y compris sur des terrains mouvants. Au repos, la grue, comme bien d'autres échassiers, se perche sur une patte, tenant l'autre repliée sous le corps, et repose la tête sur son épaule.

Les sous-espèces

Il existe deux sous-espèces de grue cendrée : Grus grus grus, qui niche à l'ouest de l'Oural, et Grus grus lilfordi, à l'est de cette même chaîne, avec des implantations locales en Turquie, en Transcaucasie et en Arménie. Cette dernière sous-espèce se distingue de la précédente par un plumage plus pâle après la mue.

          

GRUE CENDRÉE

Nom (genre, espèce) :

Grus grus

Famille :

Gruidés

Ordre :

Gruiformes

Classe :

Oiseaux

Identification :

Grand échassier gris à « queue » en panache

Taille :

1,30 m environ

Envergure :

De 2 m à 2,50 m

Poids :

De 2 à 5 (7) kg

Répartition :

Niche dans le nord de l'Eurasie. Éteinte en Autriche, au Monténégro et en Serbie

Habitat :

Marais, tourbières, champs et prés

Régime alimentaire :

Omnivore, avec une nette prédilection pour les végétaux

Structure sociale :

Grégaire huit mois sur douze, monogame durable

Maturité sexuelle :

À 2 ans pour les uns, entre 4 et 6 ans pour les autres

Saison de reproduction :

Du printemps à l'été

Durée d'incubation :

De 28 à 31 jours

Poids de l'œuf :

183 g

Nombre de jeunes :

2

Longévité :

42 ans, record en captivité

Effectifs :

270 000 individus

Statut, protection :

Non-menacée. Protégée : Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction), Convention de Berne, Convention sur la conservation des espèces migratrices (CMS)

 

Signes particuliers

Œil

Bien qu'ayant des yeux de petite taille, la grue cendrée jouit d'excellentes capacités visuelles, utiles en différentes circonstances. Elle peut aussi bien repérer avec précision de petites proies à proximité immédiate que sentir, à plusieurs centaines de mètres, l'approche d'un danger. En outre, une sensibilité satisfaisante à la lumière faible autorise des déplacements migratoires nocturnes, lorsque les conditions de visibilité liées à la météorologie sont satisfaisantes.

Tache rouge

La grue cendrée possède sur la région crânienne une zone de peau nue. Les facteurs qui ont pu présider à l'apparition de telles plages dénudées au cours de l'évolution restent inconnus. En revanche, le rôle de signal visuel à usage social rempli par de tels espaces dégagés est bien connu. La couleur rouge de la région postérieure du crâne est en elle-même éminemment visible, y compris à distance. S'ajoute à cela un phénomène de gonflement par vasodilatation sous l'effet de l'émotion – qu'elle soit d'origine agressive ou sexuelle –, accompagné d'un avivement de la couleur dû à l'afflux sanguin. L'ornement est alors présenté à l'occasion d'une courbette au rival ou au partenaire. Les grues immatures en sont dépourvues.

Trachée

Les cris, semblables à des coups de trompette, poussés par les grues cendrées sont si sonores qu'on les entend à plus de un kilomètre. Une semblable puissance repose sur une conformation anatomique originale de la trachée. Ce tube permettant le passage de l'air vers les poumons est terminé par le syrinx, organe vocal des oiseaux. La trachée de la grue est beaucoup plus développée que celle des autres oiseaux, puisqu'elle comporte 350 anneaux osseux. Elle est si longue qu'elle présente des circonvolutions logées dans le bréchet (creux, à cet effet), saillie osseuse du sternum des oiseaux. La grue est de la sorte pourvue d'un organe de résonance développé, logé dans une cavité osseuse qui en accentue les capacités sonores.

Patte

L'empreinte laissée par la patte de la grue cendrée laisse apparaître trois doigts antérieurs, le médian un peu plus long que les autres. Le pouce, nettement plus petit, ne sert pas pour la marche et ne marque pas – ou peu – le sol. Son atrophie est justifiée par le fait que la grue ne se perche pour ainsi dire jamais.

Les autres grues

Parmi les échassiers, les grues sont réunies, au sein de l'ordre des gruiformes, avec des oiseaux aussi différents d'elles que les poules d'eau, les foulques et les outardes. Cette classification est justifiée par des particularités du squelette et de l'appareil musculaire communes à tous ces oiseaux.

L'ordre des gruiformes est composée de 10 familles, mais la plupart des espèces appartiennent à la famille des rallidés (foulques, râles). La famille des gruidés ne rassemble que 15 espèces, dont Grus grus, réparties en deux sous-familles : les gruinés, ou grues vraies, composées de trois genres : Grus (10 espèces), Bugeranus (1 espèce) et Anthropoides (2 espèces), et les baléaricinés, ou grues couronnées, qui se regroupent autour d'un seul genre : Balearica (2 espèces). Les gruinés sont, pour la plupart, de grands oiseaux à la silhouette élancée, dont les teintes varient du blanc au noir, en passant par toute la gamme des gris. Les grues couronnées se distinguent par des teintes plus vives et portent, en outre, un plumet doré sur le sommet du crâne.

Les grues sont répandues sur l'ensemble des continents, à l'exception de l'Amérique du Sud et de l'Australie.

Grue à cou noir (Grus nigricollis)

Identification : 1,40 m de longueur ; 2,30 m d'envergure ; corps gris clair, panache et cou noirs, calotte nue et rouge, tache blanche derrière la tête.

Répartition et effectifs : nord de l'Inde, Tibet et est de la Chine. Se reproduit sur le plateau tibétain et, pour un petit groupe, au Ladakh. Hiverne surtout dans le Yunnan et le Guizhou (Chine), au Tibet, dans une moindre mesure au Bhoutan et dans l'Arunachal Pradesh (Inde). Quelques individus au Viêt Nam. La population globale est estimée à 8 000 individus. Espèce protégée et classée dans la catégorie « vulnérable » par l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature) en 2006. .

Grue nonne, ou grue moine (Grus monacha)

Identification : 1 m de longueur ; 1,80 m d'envergure ; corps et panache gris foncé, cou et tête blancs, calotte nue et rouge. Pattes rougeâtres.

Répartition et effectifs : se reproduit dans le sud de la Sibérie orientale et centrale. Hiverne dans le sud de la Chine, en Corée, au Japon. Environ 11 500 individus dont 1 460 en Chine et Russie. Plus de 10 000 oiseaux ont été recensés à Izumi, dans le sud du Japon, durant l'hiver 2005-2006. Espèce protégée et classée dans la catégorie « vulnérable » par l'U.I.C.N. en 2007.

Grue du Canada (Grus canadensis)

Identification : 1,04-1,10 m de longueur ; 1,85 m d'envergure ; corps gris marqué de roux, panache gris, calotte nue et rouge.

Répartition et effectifs : Sibérie orientale, Amérique du Nord. Hiverne du sud des États-Unis au centre du Mexique, à Cuba et à l'île des Pins. 520 000 – 530 000 individus.

Grue de Mandchourie, ou grue du Japon (Grus japonensis)

Identification : 1,50 m de longueur ; 2,50 m d'envergure ; corps blanc au panache noir, cou noir et blanc, front nu et rouge.

Répartition : se reproduit en Mongolie, en Sibérie, dans le nord-est de la Chine et au Japon (Hokkaido). Hiverne en Corée et dans l'est de la Chine (delta du fleuve Jaune). La population japonaise ne migre pas. Population globale estimée à 2 400 individus, dont 1 200 en Chine. Espèce classée dans la catégorie « en danger » par l'U.I.C.N. en 2004. Protégée dans son aire de répartition.

Grue blanche d'Amérique (Grus americana)

Identification : 1,32 m de longueur ; 2,20 m d'envergure ; corps, panache et cou blancs, calotte nue et rouge, trait rouge sous l'œil, extrémité des ailes noire.

Répartition et effectifs : Canada (État de l'Alberta), hiverne au Texas. Population en fort déclin puis stabilisée autour de 216 oiseaux en 2004. Classée dans la catégorie « en danger » par l'U.I.C.N. en 2006. Des programmes de rétablissement et de réintroduction ont été mis en place.  

Grue à cou blanc (Grus vipio)

Identification : 1,20 m de longueur ; 2 m d'envergure ; corps, panache et devant du cou gris, tête et nuque blanches, face nue et rouge.

Répartition et effectifs : se reproduit dans le sud-est de la Sibérie et dans le nord de la Mandchourie. Hiverne dans le sud du Japon et de la Chine ainsi qu'en Corée. 6 500 individus. Population en déclin. Protégée dans son aire de répartition et classée dans la catégorie « vulnérable » par l'U.I.C.N. en 2006.

Grue antigone (Grus antigone)

Identification : 1,50-1,55 m de longueur ; 2,50 m d'envergure ; la plus grande des grues. Corps gris, tête et haut du cou nus et rouges, calotte grise.

Répartition et effectifs : trois populations distinctes. Dans le sous-continent indien (8 000-10 000 individus) : au Pakistan, dans le nord et le centre de l'Inde et au Népal ; en Asie du Sud-est (sous-espèce G.antigone sharpii en fort déclin : 800-1 000 oiseaux) : dans le sud du Viêt Nam, au Cambodge et dans l'extrême sud du Laos ; dans le nord de l'Australie (sous-espèce G.antigone gilliae : moins de 10 000 individus). Espèce protégée, notamment au Cambodge (réserve de Ang Trapeang Thmor) et au Viêt Nam (Parc national de Tram Chim). Classée dans la catégorie « vulnérable » par l'U.I.C.N. en 2007.

Grue brolga (Grus rubicunda)

Identification : 1,40 m de longueur ; 2,30 m d'envergure ; corps gris, tête nue et rouge avec calotte et « oreilles » grises, fanon de peau rouge sombre sous le menton.

Répartition  et effectifs : nord et est de l'Australie, Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée. 26 000 – 100 000 individus.

Grue de Sibérie (Crus leucogeranus)

Identification : 1,37 m de longueur ; 2,25 m d'envergure ; corps et panache blancs, face nue et rouge, extrémité des ailes noire, pattes rougeâtres.

Répartition et effectifs : se reproduit en Sibérie occidentale et en Yakoutie. Trois populations régionales. Hiverne dans le sud de la Russie, le nord de l'Inde, en Iran et surtout en Chine (bassin inférieur du Yangtze sur le lac Poyang Hu) où elle est fortement menacée depuis la construction du barrage des Trois Gorges. 3 200 individus, dont 95 % appartiennent à la population orientale et hiverne autour du lac Poyang Hu. Classée dans la catégorie en « danger critique d'extinction » par l'U.I.C.N. en 2007. Protégée dans son aire de répartition. Des mesures de protection des zones humides ont été prises par les États concernés.

Grue caronculée (Bugeranus carunculatus)

Identification : 1,20 m de longueur ; 1,90 m d'envergure ; cou et poitrail blancs, dos gris, ventre noir. Queue longue, calotte nue et noirâtre, face nue rougeâtre, deux caroncules rouge et blanc sous le menton.

Répartition et effectifs : nord-est et sud de l'Afrique. 7 900 individus, dont environ 5 500 en Zambie, 2 500 au Mozambique (delta du Zambèze). La population australe (Zimbabwe, Namibie, Afrique du Sud) est en déclin. Espèce classée dans la catégorie « vulnérable » par l'U.I.C.N. en 2006.

Grue demoiselle, ou demoiselle de Numidie (Anthropoides virgo)

Identification : 0,70-0,76 m de longueur ; 1,40-1,60 m d'envergure ; corps gris, longue queue, devant du cou noir ; calotte grise, sourcil noir, houppe blanche en arrière de l'œil.

Répartition et effectifs : de l'Afrique du Nord au sud de la Sibérie et au nord de la Chine. Hiverne dans le nord-est de l'Afrique et le sud de l'Asie. 200 000- 240 000 individus.

Grue de Stanley, ou grue de paradis (Anthropoides paradisea)

Identification : 1,05 m de longueur ; 1,80 m d'envergure ; plumage gris-bleu, calotte blanche, traîne de plumes noirâtre.

Répartition et effectifs : Afrique australe. 25 700 individus. Population d'Afrique du Sud en fort déclin dans les années 1980. Classée dans la catégorie « vulnérable » par l'U.I.C.N. en 2006.

Grue couronnée (Balearica pavonina)

Identification : 1,05 m de longueur ; 1,85-1,90 m d'envergure ; corps gris foncé, ailes brun, blanc, jaune et noir, tête noire, plumet doré à l'arrière du crâne, joues blanches avec une tache rouge et caroncule rouge sous le menton.

Répartition : du Sénégal à l'Éthiopie.

Grue royale (Balearica regulorum)

Identification : 1,05 m de longueur ; de 1,85 à 1,90 m d'envergure ; semblable à la précédente, cou plus sombre et joues plus rouges.

Répartition et effectifs : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Burundi, République démocratique du Congo, Kenya, Malawi, Mozambique, Namibie, Ouganda, Rwanda, Swaziland, Tanzanie, Zambie; Zimbabwe. 58 000 – 77 000 individus.

Milieu naturel et écologie

Pendant la saison de nidification, la grue cendrée occupe une aire de répartition très vaste, de l'est de l'Allemagne à la Sibérie orientale. En Europe, elle est présente en Scandinavie, en Prusse, en Pologne, en Russie, en Biélorussie et dans le nord de l'Ukraine. Les milieux naturels fréquentés par l'espèce sont variables d'un bout à l'autre de cette aire, et les migrations ajoutent à cette variété. Quoi de commun, en effet, entre la taïga suédoise et les arides plateaux espagnols, entre les tourbières sibériennes et les rizières japonaises ? De plus, les variations annuelles des besoins biologiques de la grue la contraignent à occuper des milieux différents au cours de l'année.

En dehors de la saison de nidification, la grue cendrée recherche les vastes espaces dégagés, où elle trouvera sécurité et nourriture. Ces deux paramètres qui ne sont pas liés de façon constante, surtout pendant les haltes jalonnant les trajets migratoires, contraignent les oiseaux à des allées et venues entre les zones de repos et les terrains d'alimentation.

Vigilantes mais gourmandes

En toutes circonstances, les grues se montrent extrêmement prudentes et ne supportent pas la présence d'obstacles, naturels ou non, qui arrêteraient le regard. Leur préférence va donc aux champs immenses qui se déroulent à perte de vue. Si elles recherchent plutôt les terrains plats, elles tolèrent de légers vallonnements, pour peu qu'ils ne dissimulent pas la progression d'un ennemi éventuel. Lorsqu'elles peuvent manger sur place, elles en profitent, économisant ainsi une précieuse énergie. Dans le cas contraire, elles choisissent un dortoir bien abrité, un grand marais ou une île sur un lac, pour passer une nuit tranquille. Quand elles découvrent une nourriture abondante en un lieu qui n'offre pas de garanties suffisantes de sécurité, elles passent outre ce danger et profitent de l'aubaine. Ainsi, une éteule de maïs, riche en grains et en épis tombés à terre, peut retenir une troupe, même si le champ est en partie bordé de haies ou de bois. En Espagne, les grues passent l'hiver dans d'immenses prairies sèches, parsemées de chênes verts ou d'oliviers, si typiques des paysages andalous. L'espacement des arbres suffit à ne pas gêner la vue.

Quand vient la saison de reproduction, les grues recherchent l'eau, qui limite les possibilités d'accès des prédateurs. Dans les régions les plus septentrionales, ce sont des marécages, des tourbières, des landes à bruyères naines, parfois pourvus d'un couvert végétal ras. Un peu plus au sud, les grues nichent dans des clairières inondées au sein de boisements d'aulnes ou de bouleaux. Par endroits, elles s'installent dans de grandes roselières, au bord de lacs ou d'étangs tranquilles.

Grâce à leur vue perçante et à leur vigilance constante, les grues n'ont guère de périls naturels à redouter. Il arrive que les œufs et les poussins soient victimes d'un corvidé ou d'un petit carnassier. Les juvéniles et quelquefois les adultes peuvent être la proie d'un grand rapace, mais les prédateurs ne représentent qu'une cause mineure de mortalité.

La grue cendrée et l'homme

Symbole de pureté ou de frivolité ?

Victime de l'extension des cultures qui l'a chassée de ses sites de nidification, la grue cendrée a bien failli disparaître de l'Europe. Aujourd'hui protégée, elle bénéficie d'une large audience auprès du public qui attend chaque année de la voir passer lors de ses grands voyages migratoires.

Associée à de nombreux symboles

Les grues sont, ou ont été, en Extrême-Orient, porteuses de nombreux symboles. Leur caractère affirmé d'oiseaux migrateurs en a fait, en Chine, le symbole du retour cyclique à la vie. La grue joue ici un rôle comparable à celui de l'hirondelle en Europe, car elle signale l'arrivée du printemps. C'est peut-être en raison de cet aspect cyclique ou bien à cause de sa longue durée de vie que la grue est également symbole de longévité. Les Japonais pensaient ainsi que les grues pouvaient vivre des milliers d'années. Cette longévité peut atteindre son plus haut degré, la grue devenant alors symbole d'immortalité. La monogamie des grues leur a aussi valu de devenir l'incarnation symbolique de la fidélité, non seulement sur le plan conjugal mais dans d'autres domaines. Certaines grues asiatiques, comme la grue de Sibérie ou la grue de Mandchourie, sont la représentation vivante de la pureté, en raison de la blancheur de leur plumage. Ailleurs, l'image de la grue n'est pas toujours aussi positive. En Inde, elle est liée à la traîtrise (sauf la grue antigone), tandis que, en Europe, tantôt elle est synonyme de bêtise, tantôt elle voit son nom associé à une femme aux mœurs légères.

Des rendez-vous réguliers

Les migrations des grues cendrées constituent un phénomène qui retient l'attention de nombreux ornithologues. Cet engouement est dû au fait que, les grues migrant selon des couloirs aériens nettement définis, il est aisé de les observer en des points judicieusement choisis. Par ailleurs, la beauté d'un vol de grues, son organisation géométrique en ligne ou en chevron viennent encore renforcer l'attrait qu'exerce l'espèce lors de ses déplacements. Des opérations de grande envergure, relayées par les médias, ont permis ces dernières années, en Europe occidentale et notamment en France, la sensibilisation du public au double voyage annuel des grues cendrées. Le principe de telles opérations est d'inciter le plus de personnes possible à suivre le déroulement de la migration des grues. À cette fin, les ornithologues précisent les dates et les lieux théoriques des passages, et le public n'a plus alors qu'à lever les yeux et à signaler par téléphone les observations, permettant un suivi régulier du phénomène. Un point régulier est ensuite communiqué par la voie des ondes.

Détestée et adorée

À travers le monde, les relations entre l'homme et les différentes espèces de grues sont très diverses. Dans certaines régions, les grues sont considérées comme des oiseaux susceptibles de porter atteinte aux cultures et ne sont donc guère appréciées par les agriculteurs, qui les accusent de s'attaquer aux semis ou aux plantes en germination. Ailleurs, les grues sont tolérées, et protégées, le cas échéant, parce qu'elles n'entrent pas du tout en compétition avec les intérêts des populations locales. Parfois même, les autochtones tirent un bénéfice de la présence des grues. Ainsi, en Afrique de l'Ouest et dans celle du Centre, les grues couronnées (Balearica pavonina) sont-elles très appréciées dans la mesure où elles consomment des reptiles et des rongeurs. Certaines deviennent familières et concourent à débarrasser les villages de ces hôtes indésirables. Enfin, la très grande grue antigone (Grus antigone), une espèce sédentaire, bénéficie en Inde d'une efficace protection en raison de son caractère sacré et du fait qu'elle est censée porter bonheur.

Un hiver en champagne

Les spécialistes de la protection des oiseaux se sont rendu compte que la tranquillité et, surtout, la mise à disposition de ressources alimentaires suffisantes sont deux facteurs d'une importance capitale pour les grues. La Champagne humide a vu l'implantation successive de vastes réservoirs destinés à permettre la régulation du débit de la Seine. Fréquentée depuis toujours par les grues cendrées en migration, la région est devenue de plus en plus attirante pour l'espèce. Les grues faisant halte en Champagne à l'automne sont de plus en plus nombreuses et leurs stationnements de plus en plus longs, au point que des bandes importantes y passent l'hiver. Pour éviter les problèmes avec les agriculteurs locaux, la Ligue française pour la protection des oiseaux Champagne-Ardennes a acheté une exploitation de plusieurs dizaines d'hectares dans la région du lac du Der dont les terrains sont désormais cultivés au profit des grues cendrées.  Avec le soutien d'associations tant européennes que mondiales (comme le WWF), la « Ferme aux grues », comprenant des affûts destinés à l'observation des oiseaux, a été créée en 1990.

Un monument national

La grue de Mandchourie (Grus japonensis) a souvent été célébrée à travers l'art et la littérature d'Extrême-Orient. Au début du xxe siècle, cette superbe grue blanche faillit disparaître. En 1924, une population d'une vingtaine de sujets fut découverte au Japon, sur l'île d'Hokkaido ; à présent, le nombre de 800 a été atteint. Ces grues ont perdu leur instinct migratoire et ne courent plus les risques liés aux déplacements entre le nord de la Chine et le Japon. Une telle sédentarisation a été obtenue en créant une vaste réserve dans les marais de Kushiro et en nourrissant régulièrement les grands échassiers. Au Japon, la grue de Mandchourie a été élevée au rang prestigieux de « monument naturel national », et les grues d'Hokkaido reçoivent chaque année des milliers de visiteurs, dont de nombreux enfants. En plus de cette population japonaise, il en existe deux autres, russe et chinoise – environ 1 200 - 1 600 oiseaux – dont une partie hiverne dans la zone démilitarisée séparant la Corée du Nord et celle du Sud (environ 400 individus).

Une espèce sauvée in extremis

La grue blanche d'Amérique (Grus americana) est l'un des oiseaux les plus rares et les plus menacés au monde. C'est aussi l'une des espèces animales pour lesquelles les moyens les plus importants ont été mis en œuvre pour en éviter la disparition. Les décisions ont été malheureusement trop tardives pour permettre de sauver de l'extinction un noyau de population situé en Louisiane. Ces grues non migratrices se sont éteintes en 1950. Pour ce qui est du reste de la population – migratrice celle-là –, la situation est longtemps restée critique. Pourtant, par le passé, les grues blanches étaient abondantes et leur distribution en période de nidification était vaste. Elles se reproduisaient de l'Iowa et du sud de l'Illinois jusqu'au sud du Manitoba, dans le Saskatchewan, dans l'Alberta et dans le Mackenzie méridional. Tous ces oiseaux descendaient passer l'hiver plus au sud, sur les côtes de la Louisiane et du Texas, et jusqu'au centre du Mexique. En 1922, le déclin des grues blanches était tel qu'elles ne nichaient plus que dans le seul parc national de Wood Buffalo, dans le nord de l'Alberta. Dans les années 1890, il existait environ 1 300 grues. En 1912, il en subsistait 88. En 1918, il n'y eut plus d'hivernage en Louisiane, cependant que, en 1941, il ne restait plus que 15 sujets au Texas. Grâce à de très sévères mesures de protection, l'espèce a pu remonter cette pente fatale. Il aura fallu pour cela une coopération exemplaire entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, dans le cadre notamment du traité sur les oiseaux migrateurs liant ces trois pays. Une vaste campagne d'information a été lancée, permettant entre autres de faire sensiblement diminuer les « accidents » imputables aux chasseurs. En 1971, les effectifs migrateurs étaient revenus à 59 grues : en 1977, ils étaient de 70, en 1987, de 110, et en 2004, de 216. En outre, en 1975, un second noyau de population a été créé dans l'Idaho en plaçant des œufs de grues blanches dans des nids de grues du Canada (Grus canadensis). Les jeunes ont accompagné leurs parents adoptifs dans leurs zones d'hivernage situées au Nouveau-Mexique puis sont revenus se reproduire sur leurs lieux de naissance.