théocratie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Le terme theokratia, de la fin du ier s., est de Flavius Josèphe (De l'antiquité du peuple juif, ou Contre Apion, IIe livre, p. 165), qui, dans les Antiquités judaïques, a déjà étudié, en référence au texte biblique, la République des Hébreux, dont le souverain est Jahvé. La théocratie échappe ainsi à la classification aristotélicienne des formes de gouvernement(1).

Philosophie de la Religion

Gouvernement de Dieu sur la base d'une révélation et d'une alliance (Exode, XIX-XXIV).

Au sein de la chrétienté, qui sépare le spirituel du temporel (Matthieu XXII, 21), la théocratie désigne l'État où la souveraineté s'exerce selon la loi divine. Que cette souveraineté soit tenue pour celle du Dieu des catholiques (les papes du Moyen Âge – cf. Grégoire VII, 1073-1085 – visant à poser la fonction pontificale comme exerçant la plenitudo potestatis, car seule détentrice de la véritable souveraineté, celle de Dieu), ou que, avec la Réforme, la souveraineté s'exerce par l'Écriture (Calvin à Genève). Sans oublier, au xviie s., les aspirations théocratiques des adeptes de Gomar au sein de la république des Provinces-Unies.

Dans les luttes théologico-politiques qui accompagnent les rapports entre l'Église et l'État, la théocratie est alors l'objet (aux xvie-xviie s.) de plusieurs traités (ou parties de traités) ayant pour sujet la République des Hébreux et pour enjeu la détermination de l'instance de commandement : le religieux ou le politique(2). Au xvie s., parallèlement à un travail historiographique comme celui de C. Sigonio (De Republica Hebræorum), le De Politica judaїca, de B. C. Bertram, est écrit pour légitimer l'extension des prérogatives du consistoire de Genève (Th. de Bèze) sur les consistoires français, et cela en référence à la distinction hébraïque (qui a valeur intemporelle) entre police civile et police ecclésiastique. L'Ancien Testament fonde ainsi la discipline consistoriale, ce que retiendront les gomaristes néerlandais. Du côté des huguenots français (M. Amyrant ou l'académie de Saumur), on soulignera combien la distinction des deux polices masque leur confusion réelle dans l'État, donc que le royaume de Dieu n'est pas de ce monde, et que, par conséquent, il ne peut y avoir de justification scripturaire de l'usage de la force à des fins religieuses. Ce qui conduit à reconnaître dans la monarchie une garantie contre la violence des pouvoirs religieux, catholiques ou protestants, et à défendre ainsi la tolérance civile des religions. L'entreprise de P. Cunaeus (De Republica Hebræorum, 1617) sera paradoxalement de montrer dans la théocratie un modèle de sécularisation qui attribue le jus in sacra au magistrat (position de Grotius).

C'est avec Spinoza que l'approche de l'Écriture sur le terrain du droit prend sa dimension la plus incisive et que le concept de théocratie ouvre aux enjeux historiques des plus décisifs(3). Le Traité théologico-politique voit, en effet, dans la République des Hébreux une figure politiquement révolue (celle du contrat d'un peuple avec Dieu), mais aussi le modèle d'une « démocratie » ajustée à un peuple enfant (Spinoza situe la théocratie « avant » la période des rois). Moïse a instauré, en effet, une double résistance interne à toute logique de domination : au pouvoir rebelle de la multitude et surtout au pouvoir tyrannique des chefs. Ceux-ci seront tenus par les contre-pouvoirs que sont, à la fois, l'interprétation de la Loi, réservée au seul pontife, la vigilance d'un peuple en armes éduqué dans la Loi et prêt à sa défense, la crainte d'un nouveau prophète que le peuple penserait directement mandaté par Dieu pour juger des actes des chefs ou de la mauvaise interprétation des lois (par les prêtres). Dégagée de sa gangue imaginaire, la logique théocratique des contre-pouvoirs exprime alors la logique même de l'auto-organisation démocratique de la liberté commune, dans l'égalité de chacun et la fraternité de tous.

Laurent Bove

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Ligota, C. R., « Histoire à fondement théologique : la République des Hébreux », in l'Écriture sainte au temps de Spinoza, GRS, Travaux et Documents, no 4, Presses de l'université de Paris Sorbonne, 1992.
  • 2 ↑ Laplanche, F., « L'érudition chrétienne aux xvie et xviie siècles et l'État des Hébreux », op. cit.
  • 3 ↑ Spinoza, B., Traité théologico-politique, ch. V [10-12] et XVII-XVIII, trad. J. Lagrée, P.-F. Moreau, in Œuvres, III, PUF, Paris, 1999.
  • Voir aussi : Diestel, L., Geschichte des Alten Testaments in der christlichen Kirche, Jena, 1869.
  • Laplanche, F., L'Écriture, le sacré et l'histoire. Érudits et politiques protestants devant la Bible en France au xviie siècle, Amsterdam, Presses universitaires de Lille, APA-Holland University Press, 1986.