tératologie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec teratos, « monstre », et logos, « traité ».

Philosophie des Sciences, Biologie, Morale

Science qui étudie les monstres sous les rapports de l'anatomie, de la classification, du développement et des origines.

En 1836, Berger de Xivrey faisait remarquer que le mot « tératologie » employé seul « n'est pas un terme composé moderne, mais vient du grec teratologia », et que ce terme « offre un sens beaucoup plus général que l'expression “traité de la monstruosité” »(1). Dans l'Antiquité, nombreux sont les termes composés à partir du nominatif teras et du génitif teratos (signe envoyé par les dieux) : teratologia signifiant « récit de choses extraordinaires, inventions mensongères, hâblerie » ; teratologos, « qui raconte des histoires de choses extraordinaires » ; teratopoïos, « qui accomplit des prodiges, qui fait des miracles » ; teratoscopos, « qui observe et explique des prodiges », pour ne citer que ces quelques exemples. Ce vocabulaire a des correspondances chez les Latins : monstrum signifiant « fait prodigieux (avertissement des dieux) » ; monstra narrare, « raconter des prodiges, des choses incroyables » ; monstrator, « celui qui montre, qui indique »(2). Ces termes appartiennent aux récits concernant la divination, les prodiges, les merveilles. Le terme de « monstre » désigne aussi bien l'être monstrueux (un homme à deux têtes) qu'une espèce rare pour le narrateur, et Paré peut écrire dans Des monstres et prodiges (1585) : « Nous abusons aucunement du mot monstre pour plus grand enrichissement de ce traité ; nous mettrons en rang la Balaine, et dirons estre le plus grand monstre poisson qui se trouve en la mer. »

C'est en 1830 que Geoffroy Saint-Hilaire utilise le terme « tératologie » pour désigner la science des monstres : « Il n'est plus permis, dans l'état actuel de nos connaissances, de considérer la doctrine des anomalies, ou, pour employer dès à présent le nom que je lui donnerai dans mon ouvrage, la tératologie, comme une branche de l'anatomie pathologique : c'est une doctrine, une science particulière, qui a des rapports presque aussi intimes avec la physiologie et avec la zoologie, et qui doit être considérée comme formant une branche spéciale étroitement liée à toutes les autres branches des sciences de l'organisation, mais ne pouvant être confondue avec aucune d'elles.(3) »

La tératologie s'intéresse à la description de la monstruosité achevée, c'est la morphologie ou anatomie tératologique qui élabore une classification des monstruosités (atteinte morphologique grave, toujours létale, avant ou dans les jours suivant la naissance – par exemple, la cyclopie), des malformations (atteinte morphologique entraînant un handicap chez la personne qui en est victime – par exemple, la phocomélie) et des anomalies (atteinte n'ayant pas de conséquence sur la vie de la personne – par exemple, une clinodactylie). Autour des années 1850 apparaît la tératogénie, qui s'attache à rechercher chez l'embryon le développement de la monstruosité, et à la fin du xixe s., avec la fondation d'une embryologie expérimentale dans les années 1880, se forge une nouvelle discipline : la tératogenèse, « branche de la tératologie [...] la plus importante, puisqu'elle doit permettre de résoudre les problèmes des origines et des mécanismes du développement monstrueux »(4). Entre 1938 et 1950, P. Ancel crée la chimiotératogenèse, qui a pour objet « la réalisation des malformations à l'aide de substances chimiques ». Ces travaux mettaient en garde contre les dangers des substances chimiques pour l'embryon humain. Cela n'a pas empêché le drame de la thamidomide (1960), tranquillisant qui fut administré aux femmes enceintes, aux effets tératogènes et responsables de plusieurs milliers de naissances d'enfants atteints de malformations de membres (phocomélie, micromélie). Cette catastrophe tératologique pour l'homme a conduit le monde médical et biologique à mettre en place des observatoires pour avertir des dépassements normatifs des naissances monstrueuses (malformations, anomalies), dont le taux chez l'homme est situé entre 3 % et 4 %, et de se regrouper en sociétés comme la Teratology Society (États-Unis, 1960), la Japanese Teratology Society (Japon, 1960) ou la European Teratology Society (Europe, 1972).

La tératologie s'ouvre au xxie s. dans deux directions fondamentales : celle d'une sélection des embryons humains par l'élimination possible des monstruosités et malformations graves ; et celle d'une modélisation pour comprendre notre développement dans le temps phylogénétique et ontogénétique – c'est l'anormal expliquant le normal, qui est une continuité dans l'histoire de la tératologie scientifique et dans sa participation, aujourd'hui à la génétique du développement.

Jean-Louis Fischer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Berger de Xivrey, J., Traditions tératologiques, Imprimerie royale, Paris, 1836, p. XI.
  • 2 ↑ Fischer, J.-L., « Des mots et des monstres : réflexion sur le vocabulaire de la tératologie », in Documents pour l'histoire du vocabulaire scientifique, Institut national de la langue française (CNRS), Nancy, 1986, no 8, pp. 33-63.
  • 3 ↑ Geoffroy Saint-Hilaire, I., De la nécessité de créer pour les monstres une nomenclature rationnelle et méthodique, Crochard, Paris, 1830, p. 7, note 1 (extraits des Annales des sciences naturelles, juillet 1830).
  • 4 ↑ Wolff, E., les Bases de la tératogenèse expérimentale des vertébrés amniotes, d'après les résultats de méthodes directes, Strasbourg, 1936, pp. 15-16 (extrait des Archives d'anatomie, d'histologie et d'embryologie, 1936, t. 22, pp. 1-382).
  • Voir aussi : Ancel, P., la Chimiotératogenèse, Doin, Paris, 1950.
  • Céard, J., la Nature et les prodiges, l'insolite au xvie s., en France, Droz, Genève, 1977.
  • Fischer, J.-L., Monstres, histoire du corps et de ses défauts, Syros, Alternatives, Paris, 1991.
  • Le Douarin, N., Des chimères, des clones et des gènes, Odile Jacob, Paris, 2000.
  • Wolff, E., la Science des monstres, Gallimard, Paris, 1948.