présent

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin praesens, participe présent de praeesse, « être en avant ».

Philosophie Générale

Catégorie temporelle fondamentale qui désigne ce qui existe ou qui se produit actuellement par opposition au passé qui n'est plus et au futur qui n'est pas encore.

Le présent est ce qui est perçu et actuellement vécu. En ce sens, pour les stoïciens, il y a un impératif du présent. Le sage est celui qui vit au présent, pour qui le présent n'est pas instant mais acquiert une certaine durée et plénitude heureuse puisque rien ne saurait lui manquer. Son désir porte donc sur le présent, soit pour s'en réjouir quand il s'agit de ce qui ne dépend pas de lui ; soit pour l'accomplir quand cela en dépend. Ainsi le sage veut-il ce qui arrive et Marc-Aurèle peut écrire : « À toute heure du jour songe gravement, comme Romain et comme homme, à faire ce qui t'incombe... Tu y arriveras si tu fais chacun de tes actes comme si c'était le dernier de la vie. »(1). Le passé déjà vécu et l'avenir incertain, objet d'un souci dont il convient de se libérer, sont donc frappés de discrédit(2) : « Dans le temps, fixe le présent »(3).

Une telle analyse se trouve cependant menacée par la précarité même du présent. Ainsi Aristote note-t-il qu'on ne peut attribuer de durée au présent, à l'instant, car ce serait inclure un avant et un après dans le maintenant(4). Le présent apparaît ainsi comme la limite indivisible entre passé et futur, l'instant en lequel ils passent l'un dans l'autre. Le paradoxe étant alors que le présent est le seul temps réel mais qu'il n'est pas du temps puisque, pas plus que les points ne constituent l'espace, l'instant indivisible ne saurait constituer le temps. Saint Augustin résume ces apories du temps : « Quant au présent, s'il était toujours présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité. Donc si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons-nous déclarer qu'il est aussi, lui qui ne peut être qu'en cessant d'être ? »(5). Pour sortir de cette aporie, il convient de repenser l'être du présent non plus comme instant ponctuel mais comme trace de présence : passé et futur n'existent qu'au présent sous forme d'empreintes ou de signes et dès lors il est possible de dire : « Peut-être dirait-on plus justement : « il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur. » « Car ces trois sortes de temps existent dans notre esprit et je ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire ; le présent du présent, c'est l'intuition directe ; le présent de l'avenir, c'est l'attente. »(6) Par là il devient possible de mesurer le temps, perceptible par l'intermédiaire de la « distension de l'âme »(7). Nous sommes donc passés d'un présent comme laps insaisissable de temps à un présent élargi. C'est aussi le sens de l'entreprise husserlienne(8) qui tente une description de l'apparaître du temps où il s'agit de penser l'intimité de la conscience et du temps : le temps n'est pas dans la conscience mais la conscience est temporalité. L'analyse de la mélodie permet à Husserl de montrer que la conscience n'est pas seulement déterminée par l'impression sensorielle présente, mais qu'elle est aussi rétention et protention, flux : « Chaque présent actuel de la conscience est soumis à la loi de la modification. Il se change en rétention de rétention, et ceci continûment. Il en résulte par conséquent un continuum ininterrompu de la rétention... Le présent de son se change en passé de son, la conscience impressionnelle passe, en coulant continûment, en conscience rétentionnelle toujours nouvelle. »(9).

Elsa Rimboux

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Marc-Aurèle, Pensées, II, 5 in Les Stoïciens, éd. P.-M. Schuhl, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1962, p. 1147.
  • 2 ↑ Goldschmidt, V., Le système stoïcien et l'idée de temps, Vrin, Paris, 1979, pp. 168-210.
  • 3 ↑ Marc-Aurèle, Pensées, VII, 29 in Les Stoïciens, éd. P.-M. Schuhl, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1962, p. 1194.
  • 4 ↑ Aristote, Physique, IV, 217b29-218a30, trad. E. Barbotin, Les Belles Lettres, coll. « Budé », Paris, 1990.
  • 5 ↑ Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chap. XIV, trad. J. Trabucco, Flammarion, Paris, 1964, p. 264.
  • 6 ↑ Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chap. XX, trad. J. Trabucco, Flammarion, Paris, 1964, p. 269.
  • 7 ↑ Saint Augustin, Les Confessions, livre XI, chap. XXVI, trad. J. Trabucco, Flammarion, Paris, 1964, p. 275.
  • 8 ↑ Husserl, E., Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, trad. H. Dussort, PUF, Paris, 1964.
  • 9 ↑ Ibid., p. 44.
  • Voir aussi : Bergson, H., L'Évolution créatrice, in Œuvres, PUF, coll. « Édition du Centenaire », Paris, 1963.
  • Bergson, H., La Pensée et le Mouvant, PUF, « Quadrige », Paris, 1997.
  • Sève, B., L'Altération musicale, 4e partie, IV : « la force du présent », Seuil, Paris, 2002, pp. 299-315.

→ futur, temps