phénoménisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Épistémologie, Philosophie Cognitive, Philosophie des Sciences

Ensemble de doctrines qui, en dépit de différences parfois importantes, ont en commun d'accorder au phénomène, compris comme donné anté-théorique immédiat, une nette primauté méthodologique, épistémique et / ou ontologique par rapport à tout ce qui relève de l'ordre théorique(1). SYN. : phénoménalisme.

De nombreuses versions de phénoménisme se retrouvent autour de l'affirmation centrale selon laquelle l'homme ne peut connaître que des phénomènes (on pourrait parler de phénoménisme épistémique). Les différences résident alors dans la manière dont est pensé l'Autre du phénomène, à savoir, selon les terminologies, la « chose en soi », la « réalité objective », le « monde indépendant », etc. Schématiquement, trois possibilités. Soit nier l'existence de toute réalité d'arrière-plan (réalisme des phénomènes) : les phénomènes existent et sont tout ce qui existe (on pourrait parler de phénoménisme ontologique)(2). Soit affirmer l'existence d'une réalité en soi, cause « extérieure » des phénomènes « pour nous », tout en soutenant l'impossibilité pour l'homme de s'assurer de la correspondance de son discours avec cette réalité en soi(3). Soit enfin adopter une position totalement agnostique par rapport à la question de l'existence d'un au-delà des phénomènes(4). La survalorisation du phénomène s'accompagne dans tous ces cas presque inévitablement d'une dévalorisation corrélative de la théorie. Soit que l'on milite en faveur d'une sorte de degré zéro de la théorie (s'en tenir à décrire les enchaînements récurrents de phénomènes, n'invoquer aucune « cause cachée » ou « explication métaphysique »)(5). Soit que l'on tolère les processus et entités inobservables, mais en tant que simples auxiliaires conventionnels utiles en vue de l'organisation des données phénoménales et de la prédiction de phénomènes futurs (antiréalisme des théories)(6). Soit enfin que l'on estime logiquement indécidable (métaphysique) la question de la correspondance des théories à une hypothétique réalité en soi(7). Dans tous les cas, la théorie est pensée comme moins fiable que les phénomènes.

Une variété un peu différente de phénoménisme, que l'on pourrait qualifier de méthodologique, correspond à l'affirmation selon laquelle le système de la connaissance peut a posteriori être entièrement reconstruit à partir d'éléments de base s'identifiant à des phénomènes. Ici les phénomènes sont considérés, soit comme les briques fondamentales (devant absolument être retenues en raison de leur nette supériorité, par ex. de proximité épistémique, par rapport à d'autres types envisageables de briques)(8) ; soit comme des briques possibles parmi d'autres (dont les avantages et inconvénients propres varient en fonction des objectifs spécifiques poursuivis)(9). Le phénoménisme méthodologique n'implique logiquement quant à lui aucune position arrêtée pour ce qui est du statut et de la valeur conférés aux théories scientifiques.

Léna Soler

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Lalande, A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1926, PUF, Paris, 1988, pp. 764 et 768.
  • 2 ↑ Voir le sensualisme de Mach, E., l'Analyse des sensations, 1886, J. Chambon, 1996, par ex., p. 272.
  • 3 ↑ Telle semble être la position de Kant dans de nombreux passages (Critique de la raison pure, 1781 et 1787 (1 et 2 éditions), PUF, Quadrige, Paris, 1990), bien que le statut de la chose en soi pose problème dans la philosophie critique.
  • 4 ↑ Comte, A., Cours de philosophie positive, 1830-1842, Hermann, Paris, 1975.
  • 5 ↑ Ici le phénoménisme est très proche du positivisme et de certaines formes d'empirisme. Voir par ex. Comte (note 4), Mach (note 2) ou Duhem, P., la Théorie physique, son objet, sa structure, 1906, Vrin, Paris, 1981.
  • 6 ↑ Boltzmann, L., Theoretical Physics and Philosophical Problems, Brian MacGuinness éd., D. Reidel Publishing Company, 1974.
  • 7 ↑ Neurath, O., « Énoncés protocolaires », (1932), Manifeste de Vienne et autres écrits, PUF, Paris, 1985, pp. 221-231, et Popper, K., la Logique de la découverte scientifique, (1934), Payot, Paris, 1973.
  • 8 ↑ Carnap, R., Der Logische Aufbau der Welt, 1938 (The Logical Structure of the World, Univ. of California Press, Californie, 1967). Voir les discussions entre les positivistes logiques quant au choix de la base empirique, « auto-psychique » ou « physicaliste » (Soulez, A., éd., Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, PUF, Paris, 1985).
  • 9 ↑ Goodman, N., The Structure of Appearence, 1951, D. Reidel, 1977.

→ phénomène