médiologie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Néologisme formé à partir de médiation et du suffixe -logos, « discours ».

Sciences Humaines

Étude de l'efficacité symbolique et de ses moyens.

La médiologie est une invention récente, qui entend être une science des médiations, c'est-à-dire des êtres « qui s'interposent entre une production de signes et une production d'événements »(1). Loin de restreindre son champ d'investigation aux seuls médias de masse, la médiologie prend pour objet l'ensemble des moyens de transmission des idées, cherchant à établir comment on peut transformer le monde par la pensée, et comment en retour la pensée se modifie elle-même en transformant le monde.

Pour passer d'un simple discours sur le pouvoir des idées au statut de science, la médiologie a besoin d'un objet de référence sur lequel constituer une théorie. C'est l'image qui acquiert ce statut privilégié, en raison d'une histoire qui, en occident du moins, la constitue comme l'instrument par excellence de l'imprégnation des idées dans le monde. L'histoire de l'image permet à la médiologie de se constituer à la fois comme une étude du changement, affirmant par exemple que « la technique change l'ontologie de l'image », et comme une étude des permanences, en découvrant en deçà de ces changements l'invariance d'une dimension érotique et politique de l'image.

Le médiologue justifie l'apparition d'une discipline nouvelle sur la base de ces deux acquis, forgés à travers l'étude des images. Première justification : aucune autre discipline constituée n'accorderait suffisamment de crédit à la puissance politique du désir que les images suscitent. La sémiologie, par exemple, manifesterait une insuffisance pragmatique certaine en faisant a priori de l'image un discours. Seconde justification : seule la médiologie interrogerait ce que la genèse technique d'une médiation donnée implique quant à son efficacité symbolique et quant à son être même, donnant ainsi aux conditions matérielles de production des idées toute l'importance qu'elles méritent. C'est l'oubli de cette dimension par les historiens des idées ou par les sociologues qui rendrait nécessaire la constitution d'une nouvelle science.

La médiologie pose ainsi un certain nombre de principes méthodologiques : l'image n'est pas une apparence, elle a de l'être ; une idée devient une force matérielle par des effets de sidération plus que par des effets de logique ; le corps pense avant l'esprit, et sa pensée ne peut être abstraite d'une organisation générale des relations de domination et de leur corrélat, les habitudes de comportement.

Le fait qu'aucun de ces principes ne soit réellement nouveau fait de la médiologie une discipline polémique. D'une part, l'abondance des références dans les écrits fondateurs, pour proclamer une filiation intellectuelle ou au contraire pour dégager un champ d'investigation propre, rend incertain le statut exact de ce qui tantôt se veut une discipline autonome et exclusive, tantôt se présente comme « une tournure d'esprit », déjà présente chez des penseurs antérieurs. D'autre part, on souligne souvent que les conditions matérielles de production des images et des idées ont déjà été étudiées : les travaux de l'École de Francfort en témoignent(2). Ou l'on nie que la médiologie ait renversé la perspective de l'histoire des idées : la généalogie nietzschéenne ou l'archéologie du savoir foucaldienne l'avaient en cela précédé, non seulement dans le projet, mais aussi dans l'application à des objets déterminés. Cela ne permet pas d'en déduire l'illégitimité d'une démarche visant à unifier des méthodes qu'elle qualifie de partielles, mais autorise à demander à la médiologie quel apport décisif elle représente pour la pensée de la communication, de la technique, des comportements ou des idéologies. S'agissant d'une discipline encore en élaboration, tout jugement sur son intérêt et sa légitimité ne saurait être que provisoire. En particulier, ce n'est que lorsque seront dissipés les effets de champ et le besoin de reconnaissance que l'on pourra statuer sur l'adéquation de cette recherche nouvelle à un objet nouveau.

Sébastien Bauer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Debray, R., Manifestes médiologiques, Gallimard, NRF, Paris, 1994, p. 29.
  • 2 ↑ Voir par exemple Adorno, T.W., et Horkheimer, M., « La production industrielle de biens culturels », in La dialectique de la raison (1944), Gallimard, TEL, Paris, 1974. Ou :
  • Benjamin, W., L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1935), in Œuvres III, Gallimard, Folio, Paris, 2000, p. 67.

→ image

→  « L'image est-elle l'enjeu d'une révolution copernicienne ? »