mécanisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Générale, Philosophie des Sciences

Système métaphysique qui vise à expliquer l'Univers uniquement par des causes matérielles et des causes efficientes ou mécaniques.

Le mécanisme s'est d'abord confondu avec l'atomisme présocratique. Pour Leucippe comme pour Démocrite, la genèse des choses et des mondes se produit exclusivement par hasard et nécessité. Tout est entièrement déterminé par le processus mécanique des chocs, entrelacements, combinaisons et divisions dans lesquels entrent les atomes en fonction de leurs dimensions, de leur position, de leur mouvement et de la direction de celui-ci. Toutes les qualités et tous les phénomènes de l'univers reconduisent à des déplacements dans le vide de la matière atomique. Épicure puis Lucrèce reprendront les principes généraux du mécanisme ancien. Mais c'est surtout aux xviie et xviiie s. que le mécanisme connaît un essor considérable, en raison de l'émergence d'une physique nouvelle dont il est en quelque sorte l'enveloppe métaphysique. La physique nouvelle rompt avec la conception de la causalité de la physique traditionnelle héritée d'Aristote, pour qui la connaissance de la nature d'une chose impliquait la connaissance de quatre causes. Par exemple, pour connaître la nature de la statue d'Apollon, il faut dire que la cause matérielle est le bloc d'airain, que la cause formelle est l'essence d'Apollon, que la cause efficiente est le sculpteur et que la cause finale est le Beau. Dans cette conception, la cause finale domine et intègre les trois autres types de causes. À ces quatre causes, la physique nouvelle substitue la mention d'un seul et même type de cause, la cause efficiente, ou mécanique, qui est telle que, lorsqu'elle est posée, l'effet s'ensuit et, inversement, lorsqu'elle est ôtée, l'effet est ôté. Si le terme de mécanisme apparaît dans la langue française au xviiie s., son sens est en voie de constitution depuis Galilée, savant qui marque historiquement une nouvelle manière de penser la physique à partir des machines(1). Son Discours sur deux sciences nouvelles (1638) rend compte de cette exigence : la première science nouvelle dont il traite est la résistance des matériaux ; la seconde est la mécanique.

Cependant, traditionnellement, mécanisme et finalité sont deux concepts fondamentaux pour aborder le problème de l'organisation du monde et du vivant (c'est-à-dire ce que recouvre le terme grec de phusis), parce qu'ils impliquent les deux méthodes de recherches par les causes efficientes et par les causes finales, qu'utilisent les philosophes et les savants. La finalité se présente ainsi comme l'envers d'un degré déterminé du développement du mécanisme, comme une interprétation régulatrice, unificatrice et heuristique du déploiement des causes mécaniques. Au xviie s., l'alliance des deux méthodes de recherches est explicitement rompue par Descartes, qui proscrit de la philosophie la méthode de recherches par les causes finales(2). Descartes entend réduire la matière à l'étendue (ce qui la rend divisible à l'infini et ce qui exclut les atomes et le vide) et réduire la science de la vie à la science de la matière par sa conception de l'animal-machine ou, plutôt, du corps-machine. Le corps vivant, y compris le corps humain, est à concevoir comme une machine, il est déterminé par sa structure (la configuration de membres) et par sa fonction (la disposition des organes). Seul l'homme a un statut exceptionnel dans l'ordre du vivant, puisqu'il est l'union d'une âme et d'un corps (les animaux et, a fortiori, les plantes n'ont pas d'âme). Toutefois des difficultés surgissent du mécanisme cartésien, quand il s'agit de penser ce qui fait l'unité d'un corps, l'unité d'un animal et même l'unité d'un homme.

Leibniz a bien aperçu ces difficultés, et considère que Descartes est victime d'une illusion quand il croit penser un mécanisme indépendamment du sens unitaire que seule la finalité peut lui donner(3). Il prône la conciliation des deux voies par les finales et par les efficientes pour expliquer la nature. Leibniz est persuadé que le mécanisme ne suffit pas à conférer une unité à la nature ni même à un être vivant. Il faut joindre au concept de corps le concept de substance dotée d'une unité interne d'action pour pouvoir penser « un » être, il faut joindre au concept de machine le concept d'organisme pour pouvoir penser « un » être vivant, car tout ce qui n'est pas véritablement « un » être n'est pas véritablement un « être ». Or, l'unique recherche des causes efficientes ne permet pas d'accéder à la connaissance de l'unité d'un être ni, a fortiori, du monde. Pour fonder cette unité, il est nécessaire de rechercher les causes finales des phénomènes de la nature, c'est-à-dire de poser que l'ordre et la simplicité des voies de la nature reflètent Dieu. Cependant cette recherche n'est pas opposée, mais plutôt complémentaire au mécanisme, puisque, selon la formule de Voltaire, c'est à l'horloge qu'on reconnaît l'horloger.

Mais une autre tendance s'affirme dans la communauté des savants du xviiie s., c'est celle qui est résolument antimétaphysique, tendance défendue notamment par d'Alembert, pour qui les concepts scientifiques n'ont pas besoin de fondements métaphysiques pour être légitimes, leur caractère opératoire suffisant à les attester. Cette perspective tend à rendre périmé le débat entre mécanisme et finalité, ou du moins à le penser en de nouveaux termes, comme le proposent en particulier Buffon, Diderot et les médecins de l'école de Montpellier, qui cherchent à réfléchir sur l'articulation du matérialisme et du vitalisme. Par la suite, Kant, en comparant le rapport des parties au tout dans une montre et dans un être organisé, soulève le problème de la finalité et de la force formatrice du vivant(4). D'une certaine manière, les biologistes contemporains, quand ils discutent du réductionnisme, remettent l'ouvrage sur le métier. Cette récurrence du débat entre mécanisme et finalité montre qu'il est issu d'une double histoire : celle de la mécanique et celle des sciences de la vie. Cette double histoire met en évidence les limites du mécanisme pour expliquer la nature (les lois de la nature ne sont pas que des lois mécaniques, comme l'attestent dès le xviiie s. les phénomènes électriques et magnétiques), et, au sein de la nature, la vie (les progrès des sciences de la vie, dès le xviiie s., conduisent à refuser l'assimilation des phénomènes vitaux à des mécanismes d'horlogerie). Cependant, l'acquis majeur du mécanisme est d'ordre critique ; il consiste à rejeter, à cause de son caractère arbitraire et dogmatique, l'affirmation d'une finalité objective universelle qui, pourtant, est au fondement de toute théologie naturelle.

Véronique Le Ru

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Galilée, Discours concernant deux sciences nouvelles, introd., trad. et notes de M. Clavelin, Armand Colin, Paris, 1970 ; Clavelin, M., la Philosophie naturelle de Galilée, Armand Colin, Paris, 1968.
  • 2 ↑ Descartes, R., Principes de la philosophie, I, 28, II, 4 ; le Monde, l'Homme, in Œuvres (vol. IX et XI) publiées par Adam et Tannery en 11 tomes, Paris, 1897-1909, rééd. en 11 tomes par Vrin-CNRS, Paris, 1964-1974.
  • 3 ↑ Leibniz, G. W., Discours de métaphysique et correspondance avec Arnauld, Vrin, Paris, 1984.
  • 4 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger, § 65, trad. A. Philonenko, Vrin, Paris, 1984.
  • Voir aussi : Brun, J., Les Présocratiques, PUF, Paris, 1968.
  • Ehrard, J., L'idée de nature en France dans la première moitié du xviiie siècle, SEVPEN, Paris, 1963.
  • Monod, J., Le hasard et la nécessité, Seuil, Paris, 1970.

→ finalité, machine, mécanique, métaphysique, nature, réductionniste, vie