intention

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin intentio, « tension ». Le terme apparaît dans le latin scolastique au sens d'une opération de l'esprit qui se propose un but, d'un acte d'intellection signifiant des objets ou des choses voulues.

Morale

Détermination de la volonté à entreprendre une action.

Une action se projette et s'exécute. Elle sera jugée sur son résultat (les effets de son exécution), mais aussi sur l'intention de son auteur, c'est-à-dire sur la volonté qui en est la cause. Le premier jugement est technique, et seule l'intention est susceptible d'une évaluation morale : il faut donc la distinguer du projet ou du plan, qui ne sont qu'un inventaire de moyens. L'intention est la disposition d'âme ou l'état d'esprit qui engagent le sujet dans son action : plus précisément, ce qui est ainsi engagé, c'est l'orientation axiologique de la volonté. La volonté bonne est la volonté absolument morale, c'est-à-dire celle qui tend à suivre la loi morale(1), indépendamment des effets qu'elle produit.

Une morale de l'intention se heurte alors à deux critiques : la première est qu'à séparer ainsi le motif de l'action, elle risque de dégénérer en atroce casuistique(2), ou au contraire en refus du risque de souiller une intention pure par une action objective(3). La seconde est qu'elle postule l'existence de ce qu'en réalité elle entend juger : séparer un sujet intentionné de son action est un tour de force métaphysique, qui n'a de sens que dans une morale de la faute et de la mauvaise conscience(4).

On peut pourtant penser l'intention hors en marge d'une morale de la faute : en distinguant, comme les stoïciens, le but qui s'épuise dans chaque action, de la fin qui la traverse et se maintient constante(5) (comme exhortation à vivre conformément à la nature), on découvre une intention qui est régulatrice, non plus seulement de la moralité des actions, mais de la manière dont la personne (et non plus le sujet) se construit et se maintient en accord avec elle-même au travers de ses actes(6).

Sébastien Bauer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pratique, Ière partie, Analytique, Chap III « les mobiles de la raison pratique », p. 709, trad. L. Ferry et H. Wismann 1985, Œuvres philosophiques, NRF Gallimard, Paris.
  • 2 ↑ Hegel, G., Phénoménologie de l'Esprit, VI, C, c, 2, c « la belle âme », trad. J.P. Lefebvre 1991, Aubier, Paris.
  • 3 ↑ Arendt, H., Eichmann à Jérusalem, chap. VIII, pp. 221-226, trad. A. Guérin 1966, éd. 1991, Gallimard, Paris.
  • 4 ↑ Nietzsche, F., La généalogie de la morale, II. Trad. P. Wotling, 2000, Librairie Générale Française, Paris.
  • 5 ↑ Cicéron, Des fins, II, 34 et III, 14.
  • 6 ↑ Arendt, H., Condition de l'homme moderne, chap. V, 1, p. 231, trad. G. Fradier 1983, Calmann-Lévy, Paris.

→ action, finalité, impératif, morale

Esthétique

Ce qui fait qu'un produit de l'art témoigne d'un agencement adéquat de moyens et dont on pense ou non qu'il peut fournir la base pour son interprétation correcte.

L'usage de la notion d'intention en esthétique reflète les grandes options présentes dans les autres secteurs, en particulier la distinction entre deux sens, causal et explicatif. Alors que la phénoménologie insiste sur l'appréhension des phénomènes tels qu'ils se présentent dans l'expérience vécue des objets, ce qui la rapproche d'une psychologie gestaltiste qui décrit la conscience en termes d'actes et d'états intentionnels, le débat ouvert récemment en philosophie de l'esprit par les partisans d'une naturalisation de l'intention conduit à faire autant que possible l'économie du cadre mentaliste, que ce soit pour la production, la compréhension ou la réception des œuvres d'art.

En tant que produit humain, l'œuvre semble résulter, comme de sa cause, de l'intention d'un auteur-artiste, caractérisée au minimum par son orientation vers un but et l'adaptation de moyens à des fins, et cela quand bien même, comme le pense Kant, l'œuvre devrait prendre l'apparence de la nature(1). Les versions les plus fortes font dépendre la signification de l'œuvre, et non sa seule production, de la causalité intentionnelle. Un mentalisme plus ou moins radical rapporte à l'intention de l'artiste tout ou partie des dimensions de l'œuvre, notamment son évaluation en tant qu'œuvre d'art qui possède dès lors une seule signification légitime (Stecker)(2).

Le statut ontologique des œuvres peut cependant n'être pas décidé à partir d'une conception strictement causale de l'intention. Des versions intentionnalistes modérées articuleront un point de vue causal et une conception symbolique de l'œuvre, rendant ainsi compte de sa genèse et de sa signification à moindre coût ontologique. C'est le cas de l'intentionnalisme hypothétique de Levinson qui conçoit la signification de l'œuvre à partir de l'interprétation sémantique du texte, rapportée de manière optimale au contexte de présentation spécifique de l'auteur par un lecteur approprié(3).

S'inspirant du second Wittgenstein, Wollheim propose de comprendre les œuvres d'art à l'intérieur de formes de vie artistiques où la charge intentionnelle est déplacée du seul sujet producteur vers des dispositifs matériels comme dessiner, tracer, colorier, écrire une partition, etc., lesquels vont définir un style, marque de l'intention de l'artiste reconnaissable par la compétence sémantique du récepteur(4).

L'intentionnalisme s'affaiblit encore dans une conception gradualiste du rôle de l'intention esthétique (Schaeffer)(5). Perdant son autonomie, l'intention esthétique devient, avec l'appartenance générique et l'attention esthétique, l'une des propriétés à intensité variable caractéristiques de la dimension esthétique des œuvres. Avec Goodman enfin, la notion même d'intention s'évanouit dans une approche fonctionnaliste et symbolique des œuvres dont seuls des symptômes indiqueront le caractère esthétique(6).

Les versions non mentalistes de l'art contestent que l'intention du producteur soit condition nécessaire et suffisante du statut artistique, de la signification et de la valeur esthétique des œuvres. Déplacer la souveraineté du sujet producteur vers le récepteur, ou rabattre la signification esthétique sur le fonctionnement symbolique des œuvres, ne suffisent cependant pas à éliminer l'illusion d'un sujet constituant. Inspirée par des développements récents en philosophie du langage, une approche pragmatique de l'art pourrait comprendre que les agents participent à un processus symbolique complexe, où la communicabilité du sens ne dépend plus des seules intentions des agents.

Éric Grillo et Marie-Dominique Popelard

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger (1790), § 45, trad. A. Philonenko, Vrin, Paris, 1968.
  • 2 ↑ Stecker, R., Artworks : Definition, Meaning, Value, Penn State University, 1996. Pour une critique classique de ce type de position, cf. Beardsley, M. C., et Wimsatt Jr, W., K., « L'Illusion de l'intention » (1946), trad. in D. Lories (éd.), Philosophie analytique et esthétique, Méridiens Klincksieck, Paris, 1988, pp. 223-238.
  • 3 ↑ Levinson, J., « Intention and Interpretation in Literature », in The Pleasures of Aesthetics, Cornell U. P., Ithaca, 1996.
  • 4 ↑ Wollheim, R., Painting as Art, Princeton U.P., 1987.
  • 5 ↑ Schaeffer, J.-M., Les célibataires de l'art, Gallimard, Paris, 1996, pp. 111 sq.
  • 6 ↑ Goodman, N., Langages de l'art, 1968, chap. VI, trad. J. Morizot, J. Chambon, Nîmes, 1991.
  • Voir aussi : Danto, A., la Transfiguration du banal (1981), trad. C. Hary-Schaeffer, Seuil, Paris, 1989.
  • Genette, G., la Relation esthétique, Seuil, Paris, 1997.
  • Grillo, E., Intentionnalité et signifiance : une approche dialogique, P. Lang, Berne, 2000.
  • Pacherie, E., Naturaliser l'intentionnalité. Essai de philosophie de la psychologie, PUF, Paris, 1993.
  • Popelard, M.-D., Ce que fait l'art, Approche pragmatique, PUF, Paris, 2001.
  • Searle, J., I'Intentionnalité, 1983, trad. C. Pichevin, Minuit, Paris, 1985.

→ causalité, expression, intentionnalité, interprétation

Philosophie de l'Esprit, Épistémologie

1. Caractéristique de notre esprit. – 2. Caractéristique d'une action.

Depuis les médiévaux, un des domaines d'emploi du terme intention est celui de l'intentionnalité de l'esprit. Le terme a aussi un usage éthique (bonne et mauvaise intention). Les philosophes médiévaux l'ont aussi utilisé pour le rôle qu'il joue dans la distinction entre un événement et une action (intentionnelle) et pour caractériser l'esprit, non pas dans son rapport à ses objets (intentionnalité), mais dans son rapport au futur. C'est cette problématique qui est au centre de la philosophie contemporaine de l'action. Si j'ai l'intention de boire une bière bien fraîche et que je me lève pour la prendre dans le réfrigérateur, quelle relation y a-t-il entre cette intention et l'intention comme caractéristique de l'action, c'est-à-dire entre (1) et (2) ?

Un causaliste comme D. Davidson(1) considère que l'intention est la cause de l'action. Cette intention est à la fois un désir (une pro-attitude en faveur d'une bière bien fraîche) et une croyance (croire que de me lever permettra de satisfaire mon désir). Pour Anscombe(2), à la suite de Wittgenstein, les intentions ne sont pas des causes. Quand nous décrivons une action comme intentionnelle, c'est-à-dire comme autre chose qu'un événement, nous attribuons une intention à celui qui agit. Par intention, il faut alors entendre une caractéristique de l'agent dans la description qu'on fait de son action en termes de raison d'agir, et non un événement mental qui serait la cause de son action.

Le modèle causaliste a l'avantage d'offrir un modèle explicatif de l'action. Pour Anscombe, ce modèle est erroné parce que « nous n'ajoutons rien s'attachant à l'action au moment où elle est faite en la décrivant comme intentionnelle »(3). Nous nous contentons de répondre à la question : Pourquoi ? Mais si l'explication n'inclut pas de référence à des événements mentaux comme cause de l'action, s'agit-il encore d'une explication ?

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Davidson, D., Essays on Actions and Events, trad. Actions et événements, PUF, Paris, 1993, première partie.
  • 2 ↑ Anscombe, G. E. M., Intention, Blackwell, Londres, 1957.
  • 3 ↑ Ibid., § 19.
  • Voir aussi : Bilodeau, R., « Philosophie de l'action », in P. Engel (sld), Précis de philosophie analytique, PUF, Paris, 2000.

→ action, esprit, explication, intentionnalité, survenance

→  « Expliquer et comprendre »