inspiration

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin in-spirare, « insuffler ».

Philosophie Générale, Philosophie de la Religion, Esthétique

Souffle susceptible d'emplir et d'animer l'âme ou l'esprit, ou idée qui illumine l'esprit. La notion sollicite la réflexion, non seulement comme objet dont la philosophie a cherché à rendre compte depuis l'Antiquité, mais aussi comme expérience vive de certains philosophes.

Si l'Antiquité grecque(1) invoque l'inspiration des Muses, la notion se cristallise dans les textes platoniciens(2) sous la double figure de l'aimantation du rhapsode Ion, possédé par le dieu qui le meut, et de la mania, folie bénéfique dispensée par les dieux dans quatre domaines : mantique, teléstique, poétique, érotique. Toutes deux contribuent à fixer durablement le modèle d'une inspiration divine qui l'emporte sur toute technique et transcende celui qui en est le docile vecteur. Ce modèle sera prégnant dans le domaine des arts et utilisé pour expliquer à la fois la puissance créatrice de l'artiste, son instrumentalisation par une force supérieure et la propagation de l'inspiration par sa médiation jusqu'au spectateur aimanté à son tour. Les textes platoniciens ont nourri également la réflexion religieuse du judaïsme hellénique, puis du christianisme, et fourni ainsi le cadre d'appréhension d'une parole prophétique et d'une Écriture inspirée.

L'histoire de la notion témoigne cependant d'interrogations récurrentes. L'inspiration résulte-t-elle nécessairement d'une puissance transcendante ? Échappe-t-elle à toute rationalité ? Le Problème XXX, attribué à Aristote(3), propose une étude des déterminations physiologiques en lieu et place d'une théorie de l'élection divine. Ce n'est pas le souffle du dieu mais une complexion d'humeur mélancolique qui suscite l'élan poétique. La bile noire échauffée pousse à sortir hors de soi, ce qui facilite une propension à imiter et une mobilité imaginative. Cette conception du génie mélancolique aura une grande influence sur la Renaissance italienne et l'histoire de l'art en général(4). Elle a contribué à élargir et à déplacer la question de l'inspiration d'un plan transcendant à un plan immanent, à souligner qu'une sourde continuité est à l'œuvre dans ce qui apparaît comme une brusque révélation, à mettre en valeur la vivante relation d'échange entre intérieur et extérieur, identité et altérité, passivité et activité.

Or ces interrogations et déplacements ne sauraient être un simple objet de curiosité périphérique pour la réflexion puisque certains philosophes ont éprouvé la puissance de l'inspiration dans leur propre démarche. Les textes platoniciens décrivaient déjà Socrate à l'écoute d'une voix démonique, ou sacrifiant tout pour rester à l'affût des pensées qui lui venaient ; ils indiquaient également que l'illumination peut advenir soudainement au terme d'une progressive initiation ou d'un commerce répété avec la matière même du savoir. L'histoire de la philosophie est émaillée de ces tensions reconnues entre la patience antérieure d'une quête et ce qui surgit de manière impérieuse, entre ce surgissement inédit et le long travail qui en résulte. L'embrasement de joie et de pleurs que connut Pascal dans la révélation du 23 novembre 1654 ne dicte pas l'écriture du seul Mémorial mais encore celle des Provinciales et des Pensées(5). Et l'ancrage dans une inspiration décisive ne relève pas toujours d'une expérience mystique. Descartes attribue trois de ses rêves (10 novembre 1619) à « l'esprit de vérité qui avait voulu lui ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe » et y voit une préfiguration de sa vie à venir(6). À la lecture du sujet proposé par l'Académie de Dijon, Rousseau est saisi d'« une inspiration subite » qui l'incite à composer le Discours sur les sciences et les arts et décide de son devenir(7). L'apparente passivité se convertit en activité réfléchie, la discontinuité éprouvée initialement commande un persévérant labeur et l'élaboration ordonnée d'une œuvre.

La conception de l'inspiration ne saurait se limiter au constat d'une illumination surnaturelle qui débouterait la rationalité de ses prétentions et ferait du sujet le docile vecteur d'une puissance transcendante. Elle requiert donc qu'on s'attache à comprendre avec rigueur comment la rationalité se nourrit et s'inspire de ce qui la déborde et la fonde.

Marianne Massin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Homère, Odyssée, trad. V. Bréard, éd 1955, Gallimard, Paris.
  • 2 ↑ Platon, Ion (533d-536e), Banquet (201a-212a), Phèdre (244a-256e), trad. L. Robin, 1950, NRF-Gallimard, Paris.
  • 3 ↑ Aristote, Problème XXX, « L'homme de génie et la mélancolie », trad. J. Pigeaud, Rivages, Paris, 1988.
  • 4 ↑ Klibansky, R., Panofsky, E., et Saxl, F., Saturne et la mélancolie, 1964, trad. F. Durand-Bogaert et L. Evrard, Gallimard, Paris, 1989.
  • 5 ↑ Pascal, B., Mémorial, in Œuvres complètes (p. 618), Seuil, Paris, « l'Intégrale », 1963.
  • 6 ↑ Descartes, R., « Olympiques », récit de Baillet, in Œuvres philosophiques, 1618-1637, t. i, pp. 53 à 61, Garnier, Paris, 1963.
  • 7 ↑ Rousseau, J.-J., Lettre du 12 janvier 1762 à M. de Malesherbes et les Confessions, livre viii.
  • Voir aussi : Chalier, C., l'Inspiration du philosophe, Albin Michel, Paris, 1996.
  • Ricœur, P., Lectures III, Aux frontières de la philosophie, Seuil, Paris, 1994.

→ conversion, enthousiasme, ravissement