incomplétude

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Substantif dérivé, dans les années 1930, de l'adjectif « incomplet ».

Logique, Mathématiques, Épistémologie

Caractère d'un système axiomatique formalisé qui contient au moins une proposition indécidable, c'est-à-dire une proposition ni démontrable ni réfutable.

En 1931, Gödel a démontré l'incomplétude de l'arithmétique écrite dans un langage logique du premier ordre. La proposition indécidable construite par Gödel l'est de telle manière qu'on puisse reconnaître par un raisonnement informel qu'elle est vraie. Il en découle cette conséquence de taille pour les mathématiques et la philosophie que les sphères du vrai et du démontrable ne coïncident pas : il y a des propositions vraies non démontrables.

La démonstration d'incomplétude de Gödel venait après plus d'un siècle de tentatives diverses de la part des mathématiciens de réduire les mathématiques à l'arithmétique comme à leur base la plus simple et la plus sûre. C'est ce que l'on a appelé le mouvement d'« arithmétisation » de l'analyse, de la géométrie, de l'algèbre même, etc. Quelle ne fut donc pas la surprise générale lorsqu'il est apparu que « la reine des sciences », comme l'appelait C. F. Gauss, loin de pouvoir garantir les démonstrations des autres disciplines, ne pouvait même pas elle-même être formellement garantie. C'est alors que, au rebours de toute la tradition doublement millénaire qui voyait en la mathématique la science la plus certaine, on a parlé de « perte de la certitude » et qu'on a cessé de vouloir trouver un fondement formel absolu à la pratique des mathématiciens.

Il faut noter que la plupart des théories mathématiques usuelles sont incomplètes au sens logique. Cela a apporté force grains au moulin des intuitionnistes, qui soutiennent que l'intuition constitue à la fois la source et le fondement de la connaissance mathématique. Mais il est bien difficile de définir l'intuition et encore plus difficile de l'isoler du savoir accumulé par des générations de mathématiciens et de l'expérience spécifique de chacun. Par ailleurs, il faut rappeler que le théorème d'incomplétude de Gödel est vrai dans des conditions logiques bien définies. Il n'est pas vrai absolument : formalisée dans un langage logique du second ordre, l'arithmétique est complète. Gardons-nous donc de faire dire à ce théorème n'importe quoi et que l'on cesse de justifier par lui une mystique de l'ineffable.

Hourya Sinaceur

Notes bibliographiques

  • Tarski, A., Introduction à la logique, chap. vi, Paris-Louvain, Gauthier-Villars, 1960.
  • Nagel, E., Newman, J.R., Gödel, K., Girard J.Y., Le théorème de Gödel, 1989, Paris, Seuil.

→ axiomatique, indécidabilité