heideggerianisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Contemporaine, Ontologie

Pensée de Martin Heidegger et courants ou traits d'influence qui s'enracinent en elle. En réalité, il ne s'agit pas tant d'une philosophie que d'un chemin de pensée, ne proposant pas un système mais une interrogation sur la philosophie à partir de la question de l'être, que celle-ci ne thématise jamais comme telle.

Développement de l'œuvre

Le jeune Heidegger affirme que si, dans le climat de néokantisme de l'université, Aristote était son modèle et Luther, qui détestait le premier, son compagnon de route, c'est Kierkegaard qui lui a porté les coups et Husserl qui lui a ouvert les yeux. En effet, pour lui, la philosophie est d'abord connaissance historique de la vie factuelle et manière d'exister au lieu d'être une simple doctrine. Elle requiert ensuite une méthode qui est la phénoménologie comme retour « aux choses mêmes » et qui doit faire voir l'étant en son être. Ouvrage programmatique et inachevé, Être et Temps (1927) pose la question du sens de l'être à partir de l'analytique existential qui débouche sur la question de la temporalité de l'être, et qui va déterminer la lecture de la tradition philosophique dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie (1927), l'interprétation de Kant dans Kant et le problème de la métaphysique (1929), et l'interrogation sur le sens de la métaphysique dans Qu'est-ce que la métaphysique ? (1929). Dès 1936, les Contributions à la philosophie marquent un tournant en distinguant la métaphysique comme premier commencement de la pensée interrogeant l'être de l'étant et un autre commencement qui questionne l'être (Seyn) en tant que tel. Heidegger entame alors un dialogue avec Nietzsche et Hölderlin, qui lui permet, d'une part, de remonter vers les présocratiques et de penser simultanément l'époque contemporaine comme celle du déploiement planétaire de la technique, comme en témoignent notamment la Lettre sur l'humanisme (1946), Chemins qui ne mènent nulle part (1950), Essais et conférences (1954), et le Principe de raison (1957). À cela doit s'ajouter un dialogue du penseur avec la poésie dans Approche de Hölderlin (1951) et Acheminement vers la parole (1959).

Une interrogation fondamentale

La seule question qui détermine la pensée de Heidegger est ainsi la question du sens de l'être. Alors que l'ontologie traditionnelle donne à l'être un sens prédicatif et, depuis Aristote, prend comme fil conducteur de son élucidation le logos, Heidegger entend l'être en un sens verbal et transitif et le conçoit comme un événement dont le sens advient à un étant exemplaire pour qui il y a en son être de l'être même et qui est appelé Dasein. Ce nouveau nom de l'homme se substitue ainsi à la détermination traditionnelle de l'essence de l'homme et se caractérise par sa finitude essentielle en tant qu'il est cet être-au-monde inscrit dans l'horizon de la mort comme possibilité ultime de sa propre impossibilité. L'objectif de l'analytique existentiale développée dans Être et Temps est de dégager les structures ontologiques du Dasein, les existentiaux dont l'unité constitue le souci. Le temps est le sens ontologique du souci et, en tant que projet jeté et être-en-avant-de-soi, le Dasein se temporalise selon l'avenir. On peut alors passer de la temporalité du Dasein (Zeitlichkeit) à la temporalité de l'être (Temporalität) en montrant comment les structures ontologiques traditionnelles ont un sens foncièrement temporal. La métaphysique est alors comprise comme la démarche qui interroge l'étantité de l'étant conçu comme présence subsistante, sans jamais poser la question de l'être en tant que tel. Poser une telle question c'est remonter en-deçà de la métaphysique jusque vers son fondement impensé dans une histoire de l'être exposant les modes de dispensation de l'être selon les différentes époques. La métaphysique est ainsi reprise dans le tout de son histoire, définissant le premier commencement de la pensée. Si elle commence avec Platon qui détermine le sens de l'être comme Idée pour déboucher sur la modernité qui, de Descartes à Hegel, conçoit l'être dans l'élément de la subjectivité souveraine, elle s'achève avec Nietzsche qui pense l'être comme vie et volonté de puissance, accomplissant ainsi le destin de la métaphysique comme inversion du platonisme. La métaphysique s'effectue donc dans la frénésie de domination de l'étant propre à la volonté de puissance à l'âge du déploiement planétaire de l'essence de la technique. Ce processus fait en même temps signe vers un autre commencement de la pensée qui prend en considération l'être en tant que tel et non plus comme étantité de l'étant. L'être (Seyn) n'est plus alors un fondement au sens de la métaphysique qui ordonne l'étant au principe de raison, mais le jeu d'un fond abyssal ordonné à la finitude essentielle du Dasein. Il ne se dispense qu'en se retirant selon un foncier demeurer-manquant dont la méditation est la tâche de la pensée à l'âge de la technique, qui est aussi bien celui du péril extrême que celui de la possibilité du salut.

Postérité de Heidegger

Objet à la fois d'adulations et de dénigrements excessifs, la pensée de Heidegger n'en a pas moins profondément marqué le xxe s. L'ensemble des courants procédant de cette pensée partent de l'idée que la métaphysique est achevée et que la tâche de la pensée se situe soit dans une reprise déconstructive de la métaphysique comprise dans le tout de son histoire des Grecs à Nietzsche, soit dans son dépassement vers une autre expérience de pensée et d'écriture. En Allemagne, cette pensée a permis aussi bien la théologie de Bultmann que la philosophie herméneutique de H. Gadamer. Si elle a influencé l'existentialisme de Sartre, celui-ci a aussi rendu possibles nombre de contre-sens, notamment la compréhension de la pensée de l'existence comme un humanisme, et l'oubli corrélatif de la question fondamentale, la question de l'être. Cette mécompréhension a permis de faire de Heidegger un philosophe du pessimisme à l'époque de l'ère atomique. Cette pensée a été en fait introduite dans toute sa rigueur en France par J. Beaufret, marquant ensuite tout un courant de la pensée contemporaine placé sous le signe de la déconstruction de la métaphysique et de la question de l'écriture (J. Derrida, G. Granel). Elle a aussi amplement fécondé, en une approche critique, nombre de courants phénoménologiques (Lévinas, Henry, Marion). On peut dire qu'elle a d'abord permis un renouvellement profond de la lecture de l'ensemble de la tradition philosophique et un retour aux textes fondamentaux. Heidegger est sans conteste l'un des penseurs majeurs du xxe s. À cela il convient d'ajouter que la publication en cours des œuvres complètes, qui comprendra plus de cent volumes, est loin d'être achevée et nous promet de nouvelles découvertes.

Jean-Marie Vaysse

Notes bibliographiques

  • Beaufret, J., Dialogue avec Heidegger, Minuit, Paris, 1973.
  • Derrida, J., Marges de la philosophie, Minuit, Paris, 1972.
  • Dubois, Ch., Heidegger. Introduction à une lecture, Seuil, Paris, 2000.
  • Granel, G., Traditionis traditio, Gallimard, Paris, 1972.
  • Lévinas, E., En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, Paris, 1974.