fête

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin festa dies, « jour de fête », appartenant à une famille dont la racine fas- désigne généralement la célébration.

Morale

Commémoration d'un fait historique ou religieux ; c'est surtout dans son élément empirique, comme association immédiate d'individus animés par les mêmes dispositions joyeuses, qu'elle intéresse la philosophie.

La tradition philosophique éprouve certaines difficultés à faire sa place à la notion de fête. D'une part, en effet, la fête exprime une relâche de la raison au profit de la satisfaction des sens, qui peut aller jusqu'à l'étourdissement. Mais, d'autre part, Platon lui-même met en scène une philosophie qui se fait depuis les banquets, comme les beaux corps désignent en réalité le beau en soi. Et il est clair que le thème de la fête recoupe bien celui de l'expansion spontanée des corps, d'une communication affective qui n'explicite pas toutes ses médiations.

C'est bien au titre de cette immédiateté presque naïve que, au xviiie s., Rousseau entreprend de réhabiliter la fête en philosophie politique – non parce qu'elle distrait le peuple de son gouvernement (il ne s'agit pas des jeux de Rome), mais en ce qu'elle produit une incarnation sensible de l'appartenance à une même communauté. Elle redouble, au plan passionnel, la réunion des hommes : « Plantez au milieu d'une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous avez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voit et s'aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis. »(1). L'opposition de la fête et du théâtre, dans la Lettre à d'Alembert, répond à celle d'un peuple véritable (où chacun est destiné à être à la fois sujet et souverain) et d'une simple multitude (où les individus, sans être jamais réunis, demeurent aliénés à l'extérieur d'eux-mêmes).

L'individu est donc destiné à se perdre dans la fête. La conception nietzschéenne du principe dionysiaque s'engage radicalement dans cette perspective, puisque Dionysos, en même temps qu'il brise l'individu, le reprend dans un vouloir universel. Comme réalisation de l'ivresse, de la démesure et du délire des corps, la fête s'oppose à la belle apparence et à l'équilibre du principe apollinien ; mais elle résout la même contradiction, selon laquelle la vie aurait besoin d'être rachetée – comme chez Rousseau, mais sur un mode foncièrement excessif, la fête assume la reconstitution d'une unité originelle : « Sous le charme de Dionysos c'est peu de dire que la fraternité renaît (...). C'est par des chants et des danses que l'homme se manifeste comme membre d'une collectivité qui le dépasse. (...) L'homme n'est plus artiste, il est devenu une œuvre d'art. »(2).

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Rousseau, J.-J., Lettre à d'Alembert sur les spectacles, Œuvres Complètes, Gallimard, La Pléiade, Paris, vol. V, 1995.
  • 2 ↑ Nietzsche, F., La naissance de la tragédie, tr. M. Haar, Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, Œuvres complètes, I, 1, Gallimard, Paris, 1977.

→ communauté, corps, passion, sociabilité