cogito

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Mot latin signifiant je pense.

Métaphysique

Premier principe, donné dans une expérience radicale où l'âme suspend toutes ses connaissances, que rencontre Descartes dans la recherche de la vérité.

Le cogito est le premier principe que rencontre Descartes dans l'itinéraire qui conduit du doute généralisé à la constitution d'une science certaine. Lors même que je doute, je découvre ce doute comme l'opération de l'ego qui pense et, dans ce moment, qui se saisit comme existant. Et cette découverte est immédiatement féconde, puisqu'elle permet de dégager une règle générale de vérité qu'il sera possible d'appliquer aux autres connaissances : « Et ayant remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci : je pense, donc je suis, qui m'assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que pour penser il faut être : je jugeai que je pouvais prendre, pour règle générale, que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies »(1).

Le cogito me désigne donc mon existence en toute évidence au moment où je la pense, même s'il ne m'instruit pas encore sur le caractère substantiel de cette existence. Autrement dit, et jusque dans l'hypothèse d'un Dieu trompeur qui ferait tomber dans l'incertitude les évidences passées, il est certain que j'existe lorsque je pense, même si je ne reconnais pas encore la pensée comme l'essence de cette existence : « [...] qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose »(2). Cette vérité exceptionnelle résiste donc au doute, mais elle ne le supprime pas, en ce qu'elle ne convertit pas les raisons de douter en raisons de croire ce qu'elles nient. En somme, le doute ne s'arrête pas devant un objet privilégié, mais, bien plutôt, se renverse : il cesse de viser un objet pour s'apercevoir lui-même comme acte de l'ego et laisse place à une affirmation d'existence.

Faut-il cependant considérer que l'existence est conclue de la pensée ? Cette présentation du cogito comme opération réflexive ne correspond sans doute pas à la vérité de l'expérience visée par Descartes. Les changements qui, du Discours de la méthode aux Méditations, affectent la présentation de l'ego cogito s'avèrent à cet égard très instructifs. Selon la formule du Discours, il revient bien à la cogitatio de conduire à l'existence : je pense donc je suis. La formulation originale de la seconde Méditation est bien plus adéquate, qui biffe le moment antérieur de la cogitatio pour passer directement à l'existence : « Ego sum, ego existo ». Ce n'est pas que la pensée disparaisse ici ; elle se donne plutôt comme un acte (pensée pensante), et non comme un objet qui devrait être pensé pour accéder à l'existence. Il reste évidemment à déterminer comment l'existence peut ainsi intervenir dans la cogitatio. C'est ce que permet de comprendre la thèse de Hintikka sur la performance du cogito – le cogito est un performatif parce qu'énoncé en première personne, il n'a besoin d'aucune vérification empirique mais valide ce qu'il dit du simple fait qu'il le dit(3). L'énoncé est performatif lorsqu'il se réalise du moment qu'il s'énonce ; et c'est ainsi que le cogito conclut à l'existence, non point à partir d'une pensée pensée, mais bien de la pensée pensante qui pense directement qu'elle est. L'existence ne s'ajoute pas à l'énoncé comme un résultat distinct mais elle se confond véritablement avec lui, comme le souligne très clairement Descartes : « [...] enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je prononce, ou que la conçois en mon esprit »(4).

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., Discours de la méthode, IVe partie, éd. Alquié, Paris, Garnier, 1988, t. I, p. 604-605.
  • 2 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques, Méditation seconde, éd. citée, t. II, p. 415.
  • 3 ↑ Hintikka, J., « Cogito ergo sum, comme inférence et comme performance », trad. in Revue de métaphysique et de morale, 2000 (1).
  • 4 ↑ Descartes, R., « Méditation seconde », p. 415-416.

→ doute, principe




le cogito chez saint Augustin

Philosophie Générale, Philosophie Cognitive

Acte mental par lequel le sujet, par un retour de sa conscience sur elle-même, s'assure du fait indiscutable de son existence en tant que sujet pensant.

Saint Augustin est sans doute l'un des premiers à avoir formulé ce principe, sous forme d'un argument contre la philosophie de la Nouvelle Académie. Cette École, fondée par Arcésilas de Pitane au iiie s. avant J.-C., qui s'apparente fort au scepticisme, nie qu'il y ait des critères de vérité et préconise la suspension du jugement. S'étant mis dans l'état d'esprit d'un académicien qui, par crainte de se tromper, préférerait douter de tout, y compris de sa propre existence, une certitude s'impose alors à saint Augustin : pour douter il faut être, on peut donc douter de tout sauf d'exister : « Celui qui n'existe pas ne peut pas se tromper. C'est pourquoi je suis, si je me trompe. Donc, puisque je suis si je me trompe, comment puis-je me tromper en croyant que je suis ? »(1)

La portée du cogito est beaucoup plus large qu'elle n'en a d'abord l'air, en effet, ce n'est pas tant l'objet du cogito qui importe, à savoir la certitude que nous existons, que la manière dont ce cogito se déploie : si l'homme est capable de connaître quelque chose avec certitude, à savoir lui-même, c'est qu'il possède une faculté qui lui permet d'accéder à cette certitude : la pensée. Par le cogito, l'homme prend donc connaissance non seulement de son existence mais aussi et surtout de sa nature pensante : « Même s'il doute, il vit ; s'il doute d'où vient son doute, il se souvient ; s'il doute, il comprend qu'il doute ; s'il doute, il veut arriver à la certitude ; s'il doute, il pense ; s'il doute, il sait qu'il ne sait pas ; s'il doute, il sait qu'il ne faut pas donner son assentiment à la légère. On peut donc douter du reste, mais de tous ces actes de l'esprit, on ne doit pas douter ; si ces actes n'étaient pas, impossible de douter de quoi que ce soit. »(2). Le cogito augustinien vient ainsi réfuter l'aporie développée par Sextus Empiricus (iie-iiie s. après J.-C.), sceptique grec qui professe que « si l'intelligence se perçoit elle-même, ou bien c'est elle tout entière qui se perçoit, ou bien elle se perçoit par quelque partie d'elle-même. Or le premier cas est impossible ; car si c'est elle tout entière qui se perçoit, elle sera tout entière perception et percevante, et, si elle est tout entière percevante, il n'y aura plus rien qui soit perçu [...]. L'intelligence ne peut davantage user d'une partie d'elle-même pour se percevoir : car comment cette partie se percevra-t-elle elle-même ? Est-ce cette partie tout entière qui se perçoit ? Elle n'a plus alors rien à percevoir. Est-ce par une partie d'elle-même ? On demande alors comment cette partie se perçoit, et ainsi à l'infini. »(3). Si saint Augustin arrive à résoudre le problème de la réflexivité de la pensée sur elle-même, c'est parce qu'il met en lumière que l'aporie de Sextus Empiricus repose sur un postulat erroné selon lequel la connaissance de soi procède de la même manière que la connaissance objective, c'est-à-dire en distinguant ce qui connaît de ce qui est connu, en séparant le sujet de l'objet de la connaissance. Or, en réalité, comme le montre saint Augustin (en particulier dans La Trinité, X, III, 5), dans la connaissance de soi, l'âme se connaît simultanément en tant que sujet et objet.

Cogito augustinien et cogito cartésien

On peut voir une certaine ressemblance entre le cogito augustinien et le cogito cartésien, mais en ce qui concerne une possible influence de la pensée de saint Augustin sur celle de Descartes, les avis divergent. Pour certains commentateurs, le cogito cartésien est véritablement novateur et introduit une dimension nouvelle par rapport au cogito augustinien. Ainsi, Pascal affirme que là où saint Augustin ne fait que parler du cogito « à l'aventure, sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue », Descartes, lui, a aperçu dans ce mot « une suite admirable de conséquences. »(4).

Mais il faut reconnaître que l'attitude de Descartes semble ambiguë : face à l'accusation portée contre lui par Arnauld(5), accusation selon laquelle Descartes se serait très amplement inspiré du cogito augustinien pour élaborer le sien, Descartes ne se justifie pas réellement. Plutôt que d'opposer des arguments pour s'innocenter, Descartes feint de prendre l'accusation d'Arnauld pour un hommage, et il répond : « Je ne m'arrêterai point ici à le remercier du secours qu'il m'a donné en me fortifiant de l'autorité de saint Augustin. »(6). Il ajoute encore : « il ne me semble pas s'en servir à même usage que je fais. »(7).

Portés par cette ambiguïté de Descartes, certains commentateurs pensent voir dans la pensée de Descartes une influence certaine de la pensée de saint Augustin. Descartes ne serait alors qu'un « plagiaire », et sa formulation du cogito serait beaucoup moins probante que celle de saint Augustin : « Saint Augustin est en fait parti du cogito pour prouver, non seulement l'existence de la certitude et de la vérité, mais encore l'existence de Dieu, l'immatérialité de l'âme, la distinction de l'homme et de l'animal. »(8). Ainsi « le cogito n'est pas un mot écrit à l'aventure comme le laisserait entendre Pascal, mais le résultat d'une réflexion longuement mûrie et reprise par cinq fois, depuis le moment de sa conversion jusqu'à la fin de sa vie. »(9) (d'abord dans les Soliloques, puis dans la vie heureuse II, 7, puis dans le libre arbitre II, 3, 7, ensuite dans la Trinité X, 10, 14-16, et enfin dans la cité de Dieu XI, ch. 26). Fénelon déclare ainsi que « si un homme éclairé rassemblait dans les livres de saint Augustin toutes les vérités sublimes que ce Père y a répandues comme par hasard, cet extrait fait avec choix, serait très supérieur aux Méditations de Descartes, quoique ces Méditations soient le plus grand effort de l'esprit de ce philosophe. »(10).

L'attitude la plus sage semble donc être celle de E. Gilson d'après qui : « [...] nous ne saurons sans doute jamais dans quelle mesure Descartes a pu être touché, directement ou indirectement, par saint Augustin ou par la tradition augustinienne, et il serait d'ailleurs imprudent de méconnaître ce qu'a d'original le cogito cartésien, mais la parenté des doctrines est évidente même à qui ne pousse pas la comparaison des textes jusque dans le détail ; pour l'un et l'autre philosophe, le doute sceptique est une maladie d'origine sensible dont l'évidence de la pensée pure est le remède, et cette première certitude ouvre la route qui, par la démonstration de la spiritualité de l'âme, conduit à la preuve de l'existence de Dieu. »(11).

Il faut remarquer que malgré les nombreuses ressemblances qui existent entre le cogito augustinien et le cogito cartésien, il y a également une différence essentielle entre les deux démonstrations. En effet, il est significatif que là où Descartes passe directement du doute à la pensée puis à l'être (« Je doute, donc je pense, donc je suis. »), saint Augustin pose une étape supplémentaire, à savoir la vie. Dans un cas l'accent est mis sur la pensée (chez Descartes) tandis que dans l'autre cas l'accent est mis sur la pensée de la vie (chez saint Augustin)(12). Il y a donc un réalisme immanent au cogito augustinien, alors que chez Descartes, c'est l'idéalisme qui découle du cogito(13). En résumé, il y a donc chez Descartes un idéalisme provoqué par le fait qu'il prend le cogito en dehors de l'être alors que saint Augustin, lui, rend indissociables être, vie et pensée. Ainsi, les deux cogito étant de natures distinctes, il n'y a peut-être pas lieu de chercher une filiation ou un héritage entre les deux.

Tiphaine Jahier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Saint Augustin, La cité de Dieu, XI, XXVI.
  • 2 ↑ Saint Augustin, La Trinité, X, X, 14.
  • 3 ↑ Sextus Empiricus, Adversus Mathematicos, VII, 310.
  • 4 ↑ Pascal, B., De l'art de persuader in Pensées et Opuscules, Hachette, éd. Brunschvicg (minor), Paris, p. 192.
  • 5 ↑ Arnauld, Quatrièmes objections aux méditations métaphysiques, Descartes in Œuvres philosophiques, op. cit., t. II, Paris, 1996, p. 633.
  • 6 ↑ Descartes, R., Réponses aux quatrièmes objections aux méditations métaphysiques, in Œuvres philosophiques, op. cit., t. II, Paris, 1996, p. 658.
  • 7 ↑ Descartes, R., Lettre à Mersenne du 25 mai 1637.
  • 8 ↑ Boyer, Ch., L'idée de vérité dans la philosophie de saint Augustin, Beauschesne, Paris, 1920, p. 40.
  • 9 ↑ Vannier, M.-A., « Les anticipations du cogito chez saint Augustin », p. 668, in Revista Augustiniana, Madrid, 1997.
  • 10 ↑ Fénelon, Lettre sur la métaphysique, (lettre quatrième).
  • 11 ↑ Gilson, E., Introduction à l'étude de saint Augustin, Vrin, Paris, 1987, p. 55.
  • 12 ↑ Allard, G.-H., « Le contenu du cogito augustinien », Dialogue, 1965-1966, p. 466.
  • 13 ↑ Cayré, F., Initiation à la philosophie de saint Augustin, Desclée de Brouwer, Paris, 1947, p. 267.

→ augustinisme, doute




le cogito chez Kant et Husserl

Philosophie Générale, Philosophie Cognitive

Le cogito est un principe qui survivra à Descartes. C'est par le cogito que va s'opérer un retournement complet dont on percevra l'écho dans la « révolution copernicienne » décrite par Kant dans la Critique de la raison pure : par le primat de la pensée sur tout objet connu, la connaissance de la constitution de la raison devenant la condition nécessaire et suffisante, l'étape obligée pour connaître les objets extérieurs : « Les diverses représentations qui sont données dans une certaine intuition ne seraient pas toutes ensemble mes représentations si elles n'appartenaient pas toutes ensemble à une conscience de soi, c'est-à-dire qu'en tant qu'elles sont mes représentations (bien que je n'en aie pas conscience à ce titre) elles doivent pourtant être nécessairement conformes à la condition sous laquelle seulement elles peuvent être réunies dans une conscience générale de soi, puisque autrement elles ne m'appartiendraient pas entièrement ». Ainsi, la condition nécessaire à la connaissance est chez Kant l'unification par le sujet du divers des données sensibles : « Tout le divers de l'intuition a un rapport nécessaire au Je pense dans le même sujet où se rencontre ce divers. »(1). Mais, selon A. Philonenko qui se fait ici le porte-parole de Kant, « penser cette condition transcendantale uniquement comme sens interne, ou comme conscience empirique, c'est sombrer dans le psychologisme et ébaucher une philosophie du sujet, auquel toutes les représentations seront réduites et intégrées puisqu'il manquera un principe de détermination – enfin, penser cette conscience empirique elle-même comme substance, comme le fait Descartes, c'est élever au rang de « chose en soi » [...] le simple phénomène déterminable qu'est le sens interne et ainsi succomber aux paralogismes de la dialectique de la raison pure. »(2). Selon Kant, si Descartes a eu le mérite de poser, à travers le cogito, le Je pense comme condition suprême de toute pensée, il reste qu'il a confondu la condition ou méthode qu'est le cogito avec un existant, un être ou une chose, ce qui l'a conduit, erreur fatale, à séparer le Je pense de la connaissance dont il est le principe méthodique.

Dans sa phénoménologie, Husserl reprend lui aussi la formulation cartésienne du cogito, même s'il se refuse à « réifier » la pensée, à en faire une chose coupée de l'objet à connaître, et s'il suppose par sa conception de l'intentionnalité que la pensée est nécessairement pensée de quelque chose. Et c'est sans doute lui qui résume le mieux la place fondamentale qu'occupe, à travers le cogito, la pensée de Descartes dans l'histoire de la philosophie : « Avec lui (Descartes) la philosophie change totalement d'allure et passe radicalement de l'objectivisme naïf au subjectivisme transcendantal. »(3).

Tiphaine Jahier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, PUF, Analytique transcendantale, I, ch. ii, Section 2, para 16.
  • 2 ↑ Philonenko, A., L'œuvre de Kant, Vrin, Paris, t. 1, 1969, p. 164.
  • 3 ↑ Husserl, E., Méditations cartésiennes, Introduction à la phénoménologie, Paris [Armand Colin, 1931], Vrin, Paris, 2001, p. 21.

→ doute