bioéthique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec bios, « vie », et êthos, « mœurs ». Le terme anglais bioethics apparaît dans Bioethics : Bridge to the Future (Englewoods Cliff, Prentice-Hall, 1971), l'ouvrage de Rensselaer van Potter.

Morale

Ensemble de recherches et de pratiques visant à comprendre les implications morales des avancées des sciences biologiques et des techniques médicales, et à normer ces dernières.

La bioéthique naît de la condamnation des expériences menées par les médecins nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et de la rédaction du code de Nuremberg sur l'expérimentation humaine (1947). Elle se développe dans les années 1960-1970, aux États-Unis d'abord, dans l'opinion publique et les institutions, liée à l'efficacité de techniques médicales nouvelles et à leur utilisation à des fins qui ne sont ni immédiatement ni strictement thérapeutiques (recherche, contraception, traitement de la stérilité, avortement, prévention des maladies, prélèvements d'organes, soins palliatifs, traitements de confort). Elle se focalise actuellement sur les applications de la génétique.

La bioéthique recouvre des recherches théoriques, les pratiques quotidiennes de professionnels de santé, des avis et déclarations d'institutions spécialisées et des lois. Elle tente d'articuler ce qui est techniquement possible et ce qui est éthiquement acceptable. Elle s'attache aux problèmes croisés relatifs à la recherche et à l'expérimentation humaine (principe du consentement éclairé, statut de l'embryon), à la procréation (procréation médicalement assistée, diagnostic prénatal, avortement thérapeutique, eugénisme), à la connaissance et à la modification génétique du vivant et de l'homme (clonage, implications en matière de parenté et de filiation, de médecine prédictive et de thérapie génique, de discrimination sociale), aux interventions sur le corps humain (statut et non-commercialisation du corps humain, prélèvement et utilisation des produits qui en sont issus), aux interventions pharmacochimiques sur le cerveau et l'esprit, à la fin de la vie et à la mort (acharnement thérapeutique, soins palliatifs, euthanasie). La bioéthique englobe aussi les questions de la justice sociale et de l'accès aux soins, les questions du partage mondial de la recherche scientifique et de ses applications thérapeutiques (brevetabilité des organismes vivants) et les questions de l'éthique environnementale.

Traditionnellement, la relation médecin-malade est encadrée par la déontologie médicale, fondée, d'une part, sur le serment d'Hippocrate, qui prescrit le respect du bien-être et de la volonté du malade, du secret médical et de la vie, et, d'autre part, sur les droits de l'homme, qui promeuvent la dignité de la personne humaine. Ces principes, déontologiques et juridiques, ont inspiré les déclarations internationales de bioéthique depuis 1945 et, plus particulièrement, les lois françaises de bioéthique (1994). Cependant, loin de se réduire à une question juridique, la bioéthique, en amont, met en question les principes du droit (définition et primat de la personne humaine), et, en aval, elle n'édicte pas le droit, même si elle peut le modifier. En outre, la bioéthique excède l'éthique médicale : d'une part, elle s'intéresse au vivant dans son ensemble et non pas seulement à l'homme ; et, d'autre part, elle interroge la nature et les fonctions de la médecine. La réduction de la norme individuelle de la santé à un fait biologique objectif, la conception de la souffrance comme maladie et l'extension des notions de pathologie et de thérapeutique, la confusion de l'art médical et de la science, l'idéal de maîtrise du corps et de l'existence qui traverse nos sociétés, tous ces éléments impliquent une réflexion qui dépasse la compétence strictement scientifique ou médicale, sur les normes sociales qui déterminent la pratique médicale et qu'elle détermine à son tour. Ainsi la bioéthique, reflet du besoin d'une régulation démocratique des pratiques portant sur le corps humain, est précédée et englobée par l'éthique, réflexion sur les règles de conduite sociales. Elle ne relève donc pas d'une discipline particulière, mais consiste en un champ de recherches impliquant la coopération de la médecine et de la biologie, des sciences humaines, du droit, de la philosophie et de l'histoire des sciences. Néanmoins, sa méthode pluridisciplinaire ne saurait réduire la bioéthique à la recherche d'un consensus minimal relatif à ses fondements, ni à l'examen casuistique de cas particuliers. Elle devrait plutôt inciter à une réflexion sur le sens des fins que l'homme se donne.

Aux États-Unis, la bioéthique est présentée comme discipline et travaillée, sous l'influence de la philosophie morale, par l'opposition entre déontologie et téléologie utilitariste, autonomie individuelle et justice, et, plus fondamentalement, par la tension entre la recherche de normes universelles qui fonderaient une éthique appliquée (« principisme » de Beauchamp et Childress, recherche d'un fondement consensuel de l'éthique chez Engelhardt) et l'élaboration de procédures de décision s'appuyant sur l'analyse et la comparaison de cas particuliers et dont dériveraient les principes éthiques (« contextualisme » et casuistique de Jonsen et Toulmin).

Céline Lefève

Notes bibliographiques

  • Beauchamp, T., et Childress, J., Principles of Biomedical Ethics, Oxford Univ. Press, New York, 1989.
  • Canto-Sperber, M., Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 1997.
  • Canguilhem, G., le Normal et le Pathologique, PUF, Paris, 1966.
  • Engelhardt, H. T., The Foundations of Bioethics, Oxford Univ. Press, New York, 1986.
  • Hottois, G., et Parizeau, M.-H., les Mots de la bioéthique, De Boeck, Bruxelles, 1995.
  • Lecourt, D., À quoi sert donc la philosophie ? Des sciences de la nature aux sciences politiques, PUF, Paris, 1993.
  • Jonsen, A., et Toulmin, S., The Abuse of Casuistry : a History of Moral Reasoning, Univ. of California Press, Berkeley, 1988.
  • Parizeau, M.-H., les Fondements de la bioéthique, De Boeck-Erpi, Bruxelles-Montréal, 1992.
  • Reich, W. T., Encyclopedia of Bioethics (1989), Macmillan, New York, 1995.
  • Voir aussi : Lagrée, J., Le Médecin, le malade et le philosophe, Paris, Bayard, 2002.