auto-organisation

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec organon, « instrument de travail », et autos, « soi-même ».


Apparue dans le champ théorique contemporain au cours des années 1960, aux États-Unis(1), elle est introduite en France par les recherches de H. Atlan(2). Le colloque de Cerisy de 1981 indique, en son sous-titre, combien cette notion convie à l'interdisciplinarité(3). L'auto-organisation est un paradigme que nombre de disciplines ont mis en œuvre (sciences biologiques, écologiques, sociales, économiques, politiques, psychologiques, linguistiques, cognitives, etc.) après que le concept eut été forgé dans un immense archipel scientifique où l'on navigue entre physico-chimie, biologie et cybernétique. C'est cependant essentiellement de l'univers cybernétique (de l'autorégulation et de la rétroaction) qu'est née l'idée d'une auto-organisation des systèmes complexes(4).

Sciences Humaines

Activité de formation et de transformation de soi par soi.

H. von Foerster (secrétaire des conférences Macy, New York-Princeton, 1946-1953), promoteur de la « cybernétique du second ordre » (au Biological Computer Laboratory de l'université de l'Illinois, 1958-1976), développe d'abord l'idée d'un « principe d'ordre à partir du bruit » qui explique les phénomènes d'adaptation des organismes vivants(5). La reprise critique de ce modèle, du point de vue de la théorie de l'information dans le domaine de la biologie, permettra d'étudier la logique « autonome » de systèmes dont les programmes se transforment indéfiniment de manière non prédéterminée, mais selon les effets aléatoires de leur environnement (Atlan).

L'idée d'un programme génétique qui se programme lui-même fut aussi l'axe des travaux de Fr. Varela et de H. Maturana. Ce sont les initiateurs d'un paradigme parallèle à l'auto-organisation, celui du système autopoiétique, qui produit et reproduit indéfiniment l'invariant (adaptatif) dans lequel et par lequel l'être vivant organisé se conserve tout en modifiant ses constituants. Dans les processus de circulation de l'information et du sens, l'idée d'autonomie fait référence, selon Varela, à un système opérationnellement clos, à forte détermination interne (auto-affirmation), et qui est nécessairement interprétatif au sens d'une constitution de l'être(6). Et ce dans la variété des comportements propres permis par la clôture informationnelle d'un système qui ne peut être pensé que de l'intérieur, ce que soulignera aussi C. Castoriadis pour les domaines de la psyché et du social-historique(7). Indépendamment (mais historiquement aussi en confrontation théorique avec ce modèle), le « principe de complexité par le bruit » d'Atlan avait introduit l'idée de la conversion continuée du hasard en de nouvelles significations pour un système dont le processus de complexification est la négation tendancielle d'un ordre pourtant indispensable à cette conversion. C'est alors entre deux formes de mort, le cristal (absence de complexité) et la fumée (absence d'ordre), que se déploient les structures fluides et dynamiques de l'organisation du vivant comme autant de processus de désorganisation indéfiniment rattrapée (qui en eux-mêmes sont capables aussi d'utiliser la mort : ce que révéleront plus tard les phénomènes d'apoptose)(8). Pour aborder cette nouvelle complexité, E. Morin proposera sept principes guides : systémique ou organisationnel, hologrammatique, boucle rétroactive, boucle récursive, auto-éco-organisation, dialogique, réintroduction du connaissant dans toute connaissance(9).

Dans le processus du « hasard organisationnel » (Atlan), la matière s'auto-organise donc en se complexifiant. Et il dépend ainsi de la puissance même des corps et / ou de leur complexité (corps humains, corps politiques...) que l'aléatoire soit source de destruction ou de création. Le modèle de l'auto-organisation pourrait ouvrir ainsi à une ontologie immanente du temps et de l'histoire. Temps ouvert des coopérations et des résistances, temps de la constitution de l'être comme puissance collective de transformation.

Laurent Bove

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Yovits, M.-C., Cameron, S. (éd.), Self-Organizing Systems, Pergamon, New York, 1960. Foerster, H. (von), Zopf, H. (éd.), Principles of Self-Organization, Pergamon Press, New York, 1962.
  • 2 ↑ Atlan, H., l'Organisation biologique et la Théorie de l'information, Hermann, Paris, 1972.
  • 3 ↑ Dumouchel, P. et Dupuy, J.-P., l'Auto-organisation. De la physique au politique, Seuil, Paris, 1983.
  • 4 ↑ Dupuy, J.-P., Les savants croient-ils en leurs théories ? Une lecture philosophique de l'histoire des sciences cognitives, INRA, Paris, 2000.
  • 5 ↑ Foerster, H. (von), « On Self-Organizing Systems and their Environments », Yovitz et Cameron (éd.), in op. cit., pp. 31-50.
  • 6 ↑ Varela, Fr., Principles of Biological Autonomy, New York, Oxford, Elsevier North Holland, 1979, trad. P. Bourgine, P. Dumouchel, « Autonomie et connaissance. Essai sur le vivant », Seuil, Paris, 1989.
  • 7 ↑ Castoriadis, C., « La polis grecque et la création de la démocratie », in Domaines de l'homme. Les carrefours du labyrinthe, II, Seuil, Paris, 1986.
  • 8 ↑ Atlan, H., Entre le cristal et la fumée. Essai sur l'organisation du vivant, Seuil, Paris, 1979.
  • 9 ↑ Morin, E., la Méthode (5 tomes), Seuil, Paris, 1977-2001.
  • Voir aussi : Dupuy, J.-P., Ordres et Désordres. Enquête sur un nouveau paradigme, Seuil, Paris, 1982.