apollinien

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Adjectif formé sur le nom d'Apollon, dieu grec de la lumière et de la beauté.

Esthétique

Figuration catégorique de l'esthétique de Nietzsche désignant tout ce qui est clair, distinct, harmonieux, équilibré, mais aussi sensible, apparent, superficiel, voire mensonger et parfois même menaçant. Bien que viril, l'apollinien poursuit la grâce jusqu'à comprendre une part d'éternel féminin en lui.

Dès 1872, le jeune Nietzsche affirme que « l'entier développement de l'art est lié à la dualité de l'apollinien et du dionysiaque », deux mondes entre lesquels « le mot “art” qu'on leur attribue en commun ne fait qu'apparemment jeter un pont »(1).

L'esthétique de Nietzsche est alors fortement influencée par celle de Schopenhauer(2). Dans le Monde comme volonté et comme représentation, celui-ci distinguait deux dimensions de la réalité exprimables, d'une part par les arts plastiques qui représentent le monde tel qu'il apparaît selon le principium individuationis, c'est-à-dire comme une série d'individualités distinctes les unes des autres dans l'espace et le temps, d'autre part par la musique, qui révèle le monde comme unité originaire du vouloir-vivre, c'est-à-dire énergie fondamentale de l'univers à partir de laquelle tout individu puise sa force.

Nietzsche approfondit cette métaphysique de l'art et tente de la symboliser à l'aide du couple de l'apollinien et du dionysiaque ; Apollon apparaît comme le dieu des arts plastiques, visuels, tandis que la musique est placée sous le patronage de Dionysos. La poésie occupe une place équivoque, car le dialogue et le drame reflètent la clarté de la rationalité apollinienne tandis que l'intrigue tragique provoquant la destruction du héros incarne la destinée dionysiaque comme rupture du principe d'individuation et retour à l'unité originaire du vouloir-vivre universel. La danse est frappée d'une semblable équivocité.

Une difficulté se présente néanmoins lorsque Nietzsche imagine l'existence d'une musique apollinienne qui serait comme une « architecture dorique en sons »(3). Le classicisme de Bach pourrait fournir un exemple d'une telle musique apollinienne tandis que le romantisme de Wagner serait typiquement dionysiaque. Cette exception catégorique singulière contient en germe la rupture avec l'esthétique dionysiaque et wagnérienne de la dissonance exaltée par la Naissance de la tragédie. En 1876, Nietzsche rompt explicitement avec le romantisme wagnérien. Il amorce le devenir apollinien de sa future « physiologie de l'art »(4) qui exalte la forme et la beauté classiques.

Mathieu Kessler

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Nietzsche, F., la Naissance de la tragédie, trad. P. Lacoue-Labarthe, § 1, Gallimard, Paris, 1977, p. 41.
  • 2 ↑ Schopenhauer, A., le Monde comme volonté et comme représentation (1819 et 1844), trad. A. Burdeau revue par R. Roos, PUF, Paris, 1966.
  • 3 ↑ Nietzsche, F., op. cit. § 2, p. 48.
  • 4 ↑ Nietzsche, F., le Cas Wagner, trad. J.-C. Hémery, § 7, Gallimard, Paris, 1974, p. 33.

→ dionysiaque

→  « Comment la musique a-t-elle été un objet privilégié d'investigation philosophique ? »