altérité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin alteritas (de alter, « autre ») ; grec heterotês.

Philosophie Antique

Caractère de ce qui est autre, relation entre des entités mutuellement distinctes.

Comme le montre Platon dans le Sophiste, l'identité ne va pas sans altérité, puisque être identique à soi, c'est être autre que ce qui n'est pas soi. En ce sens très général, toute détermination constitue une altérité : pour Aristote, « autre » se dit en autant d'acceptions que l'un, le même ou l'être, c'est-à-dire selon chaque catégorie(1). À cette signification très générale, et somme toute banale, de l'altérité, Platon en ajoute une autre. Pour Antisthène ou les mégariques, rien ne peut être dit proprement d'un être, si ce n'est sa propre désignation : dire d'un homme, non pas simplement qu'il est un homme, mais qu'il est grand ou petit, ignorant ou savant, c'est lui attribuer quelque chose d'autre que lui. Dès lors que, avec Platon, on admet l'autre parmi les genres de l'être, il n'y a là nulle impossibilité ; on peut admettre que les attributs sont autres que le sujet sans pour autant s'interdire de les lui attribuer : dire d'un homme qu'il est grand, etc., ou même de tel individu qu'il est un homme, c'est admettre qu'il se définit, non seulement par opposition à, mais aussi par inclusion de ce qui n'est pas lui. Échappant ainsi à la tautologie, Platon fonde la possibilité de la définition. On dit souvent qu'il fonde aussi la possibilité de la prédication, ouvrant ainsi la voie à Aristote. En réalité, la conception aristotélicienne de la prédication, et donc de la définition, n'implique nullement, comme chez Platon, une altérité interne au sujet lui-même. Aristote, en effet, réserve le terme « autre » aux êtres « qui ont pluralité d'espèce, ou de matière, ou de définition de leur substance »(2). Si toute définition comporte l'indication de la différence spécifique, celle-ci, précise Aristote, suppose une identité, non pas numérique, mais générique, ou à défaut un rapport d'analogie(3).

Si, à partir d'Aristote, la possession d'un attribut par un sujet n'est source d'aucune altérité pour celui-ci, le changement qui affecte le sujet lui-même, par exemple la croissance ou le passage de l'enfance à l'âge adulte puis à la vieillesse, a été pour toute la pensée grecque une source d'interrogation sur l'identité et l'altérité. Platon et Aristote s'appuyaient sur leurs notions respectives de la forme pour concevoir une identité maintenue à travers le changement ; à ceux pour qui, comme les stoïciens, il n'est d'autre substance que la matière, les platoniciens de la Moyenne Académie opposèrent l'« argument croissant »(4), selon lequel un changement de forme d'une matière donnée entraîne nécessairement la disparition de l'être qu'elle constituait sous sa première forme ; qu'on imagine un homme qui a d'abord tous ses membres, puis est amputé d'un pied : ce ne sera plus le même homme, au point qu'on est en droit de dire que le premier a péri, et que le nouveau ne saurait porter le même nom. En d'autres termes, si l'on refuse l'idée de forme, l'identité d'un être sensible, selon ces philosophes, n'est plus concevable.

En plaçant les formes intelligibles elles-mêmes dans la dépendance d'un principe encore supérieur, Plotin introduit en elles l'altérité : non seulement le monde intelligible comporte une multiplicité de formes, mais il est à la fois intellect et intelligible ; autant l'intellect se pense lui-même, ce qui implique l'unité de l'intellect et de l'intelligible, autant il est autre que lui-même, puisque tout à la fois il se pense et est ce qu'il pense(5). Ce qui n'est qu'une façon de radicaliser l'idée de Platon dans le Sophiste, de l'altérité du même.

Frédérique Ildefonse

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Métaphysique, V, 10, 1018a37.
  • 2 ↑ Id., V, 9, 1018a9-10.
  • 3 ↑ Id., V, 9, 1018a12-13.
  • 4 ↑ A. A. Long & D.N. Sedley, Les Philosophes hellénistiques, Paris, 2001, t. II, pp. 24-27, 37-42.
  • 5 ↑ Plotin, Ennéades, V, 1, 4.
  • Voir aussi : Sedley, D.N., « Le critère d'identité chez les Stoïciens », in Revue de métaphysique et de morale, 94, 1989, Recherches sur les stoïciens, pp. 513-533.

→ autre, catégorie, devenir, être, même et autre, néoplatonisme