agréable

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Adj. (de agréer, lui-même de gré) employé aussi dans un usage nominal. En allemand : das Angenehme.

Esthétique

Ce qui plaît de prime abord, sans réflexion et sans discernement, mais aussi, en un second sens, ce qui entraîne l'agrément. On considère donc comme agréable ce qui procure un ensemble mêlé de sensations, où l'œil et – singulièrement – l'oreille sont stimulés et à la fois réjouis, par opposition à d'autres suggestions comme la force, la majesté, l'originalité ou la profondeur d'une œuvre d'art.

Les philosophes ont souvent pensé que ce chatouillement de l'agréable était l'indice de la réduction de l'expérience esthétique à un pur divertissement. Pourtant ce sentiment doux revient en principe à quelques « sujets » de prédilection, qu'ils soient gracieux ou touchants, ou à la manière qu'ont certains artistes de les traiter, sujets dans lesquels l'émotion est tempérée ou suspendue, et non point véritablement induite comme une réponse obligée où entre en jeu la représentation. On a pu dire aussi que l'agréable était une offense faite à l'art conçu en tant que source de connaissance. Et pourtant, les œuvres de Virgile, celles de Guardi et de Ravel ne souffrent en rien de superficialité parce qu'elles sont attrayantes, et pauvres en intentions signifiantes.

Sans être une qualité publique inhérente à la chose, l'agréable appartient au dispositif spécifique d'un certain type d'œuvres d'art qui visent (entre autres choses) à charmer ou à séduire. Cet effet ne peut être obtenu que si des propriétés relationnelles sont activées qui réduisent ou invitent à sous-estimer la teneur du symbole artistique. Un esthéticien américain comme Santayana(1) estime que l'agréable (comme le joli) est une qualité tertiaire présupposant celles de la fermeté du dessin ou de l'harmonie : ces qualités techniques joueraient à son égard le même rôle que les qualités premières par rapport aux qualités secondes. Avant lui, Sulzer(2) avait déjà cherché à sauver l'agréable (et le touchant) contre le sublime, ou la recherche de l'expression universelle de l'idée.

Si Kant et après lui Hegel ont contesté la dignité de l'agréable, en affirmant que « ce qui plaît » n'est pas une condition objective de plaisir, il reste que cette forme d'adhésion spontanée n'a pas pour finalité d'entraîner le jugement. Ce qui agrée ou ce à quoi l'on donne son agrément est parfois l'objet d'un traitement décoratif, et non pas structural, qui vient bien en réalité à l'avant-plan : c'est le cas en musique et en architecture, lorsque l'ornementation est chargée d'orienter le divertissement sensoriel pour détourner l'attention de la structure. On pourrait donc, sous ce rapport, comme l'a fait Ruskin(3), considérer que l'agréable a aussi une fonction dans notre appréhension chromatique et tectonique (notamment celle des effets de surface) propres à l'art toscan et vénitien, et même à l'art gothique, contre l'emprise de la signification.

Jean-Maurice Monnoyer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Santayana, G., The Sense of Beauty (1896), rééd. Dover, 1955.
  • 2 ↑ Sulzer, J. G., Origine des sentiments agréables ou désagréables, Paris, 1751.
  • 3 ↑ Ruskin, J., The Seven Lamps of Architecture, Londres, 1849.
  • Voir aussi : Hegel, Esthétique.
  • Kant, Critique de la faculté de juger.