émergence

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Calque de l'anglais : emergence.

Métaphysique

Existence de propriétés d'un ensemble qui ne peuvent pas être réductibles à celles de ses parties. (Concept d'origine biologique.)

Le concept d'émergence a son origine chez des biologistes et des métaphysiciens évolutionnistes anglais du début du xxe s., comme C. Lloyd Morgan(1) et S. Alexander(2), qui rejettent la conséquence apparemment réductionniste de la théorie de la sélection naturelle pour laquelle aucune formation d'organismes nouveaux ou de modifications de la structure de ces organismes ne puisse intervenir. Les émergentistes soutiennent au contraire que l'évolution est compatible avec l'existence de formes nouvelles ou imprévisibles, telles que, notamment, la conscience et l'esprit.

L'idée de propriété émergente est donc invoquée, dans le contexte biologique, contre le mécanisme et en faveur de la thèse selon laquelle il existe des niveaux d'organisation distincts des processus physiques et chimiques qui produisent les formes vivantes. Plus généralement, elle peut ainsi se ramener à l'idée que la totalité n'est pas identique à la somme de ses parties, et impliquer des formes de holisme, par exemple quand on dit qu'une société ne se réduit pas à la somme des propriétés des individus qui la composent. Chez Alexander, mais aussi chez Bergson (avec l'idée d'« élan vital ») et chez Whitehead(3), l'idée d'émergence va de pair avec une forme de vitalisme qui insiste sur l'aspect radicalement nouveau des formes « supérieures » par rapport aux formes « inférieures ». Alexander en tire même un argument théologique en faveur de l'existence d'une divinité qui émerge dans le temps, au terme d'un lent processus. La métaphysique évolutionniste de Peirce et les variantes idéalistes du pragmatisme américain s'appuient aussi sur cette idée.

Le problème se pose de savoir si l'émergence implique une nouveauté radicale, une sorte de saut qualitatif, ou si elle n'implique qu'un changement graduel. Dans cette hypothèse, un tout n'est pas radicalement distinct de ses parties ou de sa structure microphysique, mais dépend, sans s'y réduire, de ces parties. Cette thèse plus faible, et compatible avec un matérialisme, était défendue par le philosophe anglais C. D. Broad(4) ; elle a été redécouverte par les philosophes contemporains de l'esprit et de la biologie, comme J. Kim(5), qui utilisent plutôt le concept (emprunté à la philosophie morale) de survenance. Une propriété B survient sur une propriété A si tout changement dans B implique un changement dans A sans que l'on puisse prédire à partir de A les changements qui auront lieu dans B. Les philosophes et les logiciens ont étudié la logique de la relation de survenance, et ont été conduits à distinguer ainsi diverses variétés de réduction et de dépendance. Le concept d'émergence a également réapparu dans les théories contemporaines de la dynamique des formes du vivant.

Claudine Tiercelin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Alexander, S., Space, Time and Deity, McMillan, Londres, 1920.
  • 2 ↑ Lloyd Morgan, C., Emergent Evolution, Londres, 1922.
  • 3 ↑ Whitehead, A. N., Procès et réalité, Gallimard, Paris, 1993.
  • 4 ↑ Broad, C. D., Mind and its Place in Nature, Routledge, Londres, 1925.
  • 5 ↑ Kim, J., Supervenience and Mind, Cambridge University Press, 1993.

→ évolution, réductionniste, survenance