John Von Neumann

né Johann von Neumann

Mathématicien américain d'origine hongroise (Budapest 1903-Washington 1957).

UN DES GRANDS SCIENTIFIQUES DU xxe s.

L'une des figures les plus marquantes de l'aventure scientifique du xxe s., il fut l'auteur, avec l'économiste Oskar Morgenstern, de la théorie des jeux. Mathématicien de génie, Johann von Neumann participa à l'élaboration de la théorie des ensembles, à la conception de la bombe H, et fut le précurseur de l'intelligence artificielle et des sciences cognitives. Il donna une impulsion décisive au développement de l'informatique en établissant les principes nouveaux présidant, jusqu'à aujourd'hui, à l'architecture des ordinateurs.

Pour le grand public, von Neumann est un savant beaucoup moins célèbre qu'Einstein, bien que sa contribution au progrès scientifique soit elle aussi considérable. Une des raisons en est peut-être que l'image non conformiste d'Einstein est plus médiatique que celle de von Neumann. Par exemple, loin d'être antimilitariste, von Neumann tenait à participer activement à l'effort d'armement américain pendant la guerre froide, motivé par un anticommunisme farouche qui avait son origine en particulier dans les événements révolutionnaires de 1919 en Hongrie.

De l'Europe centrale aux États-Unis

Margittai Neumann János naît le 28 décembre 1903 à Budapest, où son père dirige l'une des principales banques de Hongrie. Il grandit dans un milieu familial particulièrement stimulant, où l'on discute régulièrement de science, de littérature, de musique, de théâtre. Les gouvernantes enseignent aux enfants l'allemand et le français. Les parents reçoivent beaucoup, et de nombreux intellectuels hongrois fréquentent la maison.

Très jeune, il se révèle être un enfant particulièrement doué. Il lit avec avidité et est doté d'une mémoire visuelle extraordinaire. Il s'intéresse particulièrement à l'histoire et étudie les quarante-quatre volumes d'une encyclopédie d'histoire universelle, qu'il sera capable, adulte, de citer presque mot à mot. Il parle l'allemand et le français, maîtrise le grec classique et le latin. Sa rapidité en calcul mental est impressionnante. Jusqu'à dix ans, il étudie à la maison avec des précepteurs. Il entre ensuite au lycée, où son professeur de mathématiques remarque aussitôt ses aptitudes exceptionnelles et encourage ses parents à lui faire donner des cours d'un niveau supérieur. Pendant huit ans, un jeune mathématicien de l'université lui donne des cours à la maison. Ils publieront d'ailleurs ensemble (von Neumann a alors dix-huit ans) un article de recherche concernant un problème de racines de polynômes.

En 1921, il entre à l'université de Budapest pour étudier les mathématiques, mais il n'est présent qu'en fin de trimestre pour passer ses examens. Entre-temps, il s'inscrit, sous le nom de Johann Neumann von Margittai, à l'université de Berlin, où il assiste notamment aux cours d'Albert Einstein.

En 1923, à la demande de son père, il commence des études d'ingénieur chimiste à Zurich, alors qu'il est déjà un chercheur reconnu en mathématiques. Il termine son doctorat à Budapest en 1926 et devient un an plus tard, à l'âge de vingt-quatre ans, le plus jeune enseignant de mathématiques de l'université de Berlin. Il va alors travailler avec le célèbre mathématicien David Hilbert à Göttingen.

Invité aux États-Unis en 1930, il enseigne pendant trois ans, la moitié de l'année à Princeton et l'autre moitié à Berlin. Devant la montée du nazisme et de l'antisémitisme, il s'installe définitivement à Princeton en 1933 et prend alors le nom de John von Neumann. Il obtient un poste de chercheur à l'Institute for Advanced Studies (IAS) en compagnie notamment d'Albert Einstein. Il y restera jusqu'à la fin de sa vie, sauf lors de missions gouvernementales, pendant et après la Seconde Guerre mondiale.

Partisan enthousiaste des États-Unis, il est naturalisé américain en 1937. Jusqu'en 1938, il retourne en vacances en Hongrie tous les étés, mais à partir de 1945 il ne reviendra en Europe que de manière épisodique.

Pendant la guerre, il participe à la mise au point de la bombe atomique américaine. Jusqu'à la fin de sa vie, il cumule réussite sociale et intellectuelle. Extrêmement cultivé, d'un humour raffiné, il donne de grandes fêtes dans sa demeure de Princeton. Son activité est débordante aussi bien en tant que chercheur qu'en tant que consultant dans l'industrie et conseiller gouvernemental.

Malgré la maladie qui devait l'emporter, il s'efforça jusqu'au bout de maintenir ses activités, emmené au besoin en ambulance pour assister à des réunions. Le colonel et les huit militaires affectés à son service pour les derniers mois de sa vie à l'hôpital de Bethesda sont une illustration supplémentaire de la considération exceptionnelle que les États-Unis lui accordèrent.

Mais, atteint d'un cancer des os, il meurt le 8 février 1957 à Washington.

L'œuvre scientifique

Les recherches en mathématiques de von Neumann ont largement été influencées par les travaux de David Hilbert, notamment au début de sa carrière ; elles ont d'abord porté sur deux domaines : la théorie des ensembles et les fondements logiques des mathématiques, d'une part, les fondements mathématiques de la mécanique quantique, d'autre part.

Les travaux en logique mathématique

Von Neumann abandonna cette discipline lorsque les résultats d'incomplétude de Kurt Gödel, en 1930, vinrent ruiner le programme de travail dit « formaliste » de David Hilbert. Il contribua d'ailleurs à la diffusion des résultats de Gödel et l'aida plus tard à obtenir lui aussi un poste à l'IAS de Princeton. L'apport de von Neumann en logique concerne notamment une reconstruction rigoureuse des nombres ordinaux ainsi qu'une axiomatisation de la théorie des ensembles connue sous le nom de NGB (von Neumann, Gödel, Bernays).

Le formalisme quantique

En ce qui concerne la mécanique quantique, von Neumann apporta une contribution décisive à ses fondements mathématiques. La formulation qu'il en proposa constitue une sorte d'unification abstraite de la théorie ondulatoire d'Erwin Schrödinger et de la mécanique des particules de Werner Heisenberg.

La théorie des jeux

Au début des années 1930, à Princeton, il continua ses travaux mathématiques antérieurs tout en abordant de nouveaux domaines, en particulier la théorie mathématique des jeux, qui étudie la stratégie de joueurs cherchant à maximiser leurs gains. Une telle théorie peut s'appliquer à certains problèmes de l'économie. Von Neumann et l'économiste autrichien Oskar Morgenstern (arrivé lui aussi à Princeton à la fin des années 1930) sont considérés comme les véritables fondateurs de la théorie des jeux et de son application à l'économie mathématique.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, les centres d'intérêt de von Neumann se déplacèrent vers les domaines nouveaux de l'énergie atomique et du calcul informatique.

L'armement nucléaire

Dès qu'il acquiert la nationalité américaine, en 1937, von Neumann devient conseiller du laboratoire de recherches balistiques de l'armée. Il est aussi consultant d'autres instances militaires. En particulier, en 1943, il participe activement à la mise au point de la première bombe atomique américaine, à Los Alamos. Il est membre du comité scientifico-militaire qui décide du lieu de largage des bombes atomiques au-dessus du Japon. Son implication dans l'armement nucléaire continua après la guerre. Ainsi, les premiers calculs nécessités par la mise au point de la bombe thermonucléaire furent effectués par le calculateur électronique de l'IAS. Dans les années 1950, préoccupé par les progrès de l'armement nucléaire soviétique, von Neumann fut l'un des premiers à s'intéresser non plus seulement aux bombes mais aussi aux missiles. En 1953, après l'explosion de la première bombe H soviétique, il est nommé président du comité d'évaluation des missiles stratégiques, qui vient d'être créé. C'est ce comité qui a proposé la réalisation des fameux missiles Atlas puis Titan, qui furent opérationnels respectivement en 1958 et 1962, alors que von Neumann était déjà décédé.

L'intelligence artificielle

L'une des raisons de l'intérêt de von Neumann pour le calcul automatique tenait à la nécessité de la mise au point d'outils puissants pour résoudre les problèmes numériques liés à ses recherches pour l'armée américaine, en particulier pour la mise au point de la bombe atomique, à Los Alamos. Longtemps avant la fin de la guerre, il avait compris que ces outils – les futures machines électroniques – allaient permettre de résoudre des problèmes – ceux posés, par exemple, par la dynamique des fluides, la météorologie, la physique nucléaire – que l'on ne pouvait pas aborder jusque-là faute d'une puissance de calcul suffisante.

En étudiant les problèmes mathématiques liés au calcul numérique, il a contribué à donner un essor considérable à cette discipline nommée « analyse numérique ». Ainsi, il est considéré avec Stan Ulam comme l'inventeur de la « méthode de Monte-Carlo », qui consiste à simuler des événements complexes à l'aide de nombres tirés au hasard.

Il fut aussi conseiller scientifique de nombreuses firmes, dont IBM. D'ailleurs, son activité fut très bénéfique pour le développement de l'industrie informatique aux États-Unis, dans la mesure où il sut user de son prestige et de son influence pour convaincre les autorités américaines de l'importance décisive pour l'avenir de ces nouveaux moyens de calcul.

Modèle informatique d'hier et d'aujourd'hui

Von Neumann n'a pas seulement étudié les méthodes de calcul destinées à être programmées dans des calculateurs électroniques, il a aussi contribué de façon déterminante à la conception de ces machines elles-mêmes. Les premières machines de ce type étaient très difficiles à utiliser, car, pour chaque nouveau problème à résoudre, le « programme » de calcul devait être matérialisé par des connexions de fils longues et fastidieuses à réaliser. On attribue à von Neumann l'idée, mise en œuvre dans les ordinateurs depuis cette époque, de coder ce programme et de le ranger dans la mémoire de la machine à côté des données du calcul. Ainsi, le programme pouvait être communiqué à la machine et modifié rapidement. Ce « modèle de von Neumann » est le principe classique, toujours en vigueur, qui préside à l'architecture des ordinateurs.

Bien sûr, comme tout modèle classique, il était destiné à être remis en question. C'est ainsi que, depuis quelques années, des recherches intensives sont menées pour concevoir des architectures de machines « massivement parallèles », dans lesquelles un très grand nombre de processeurs travaillent en même temps, permettant d'accroître considérablement la puissance de calcul. On étudie même, sous le nom de « réseaux neuronaux », de nouvelles techniques qui s'inspirent de la structure du cerveau en exploitant le très grand nombre de connexions entre de nombreuses cellules. Or, à ce sujet, bien que le nom de von Neumann soit attaché à l'architecture classique, il serait erroné de le dissocier des développements récents. Déjà, dans son célèbre rapport de 1945 sur le projet de la machine Edvac (electronic discrete variable computer), où il publia pour la première fois ce modèle classique, afin de bien distinguer, d'une part, la conception logique du modèle et, d'autre part, sa réalisation pratique en termes de composants physiques, il utilisa les « neurones abstraits », que le neuropsychiatre Warren McCulloch et le mathématicien Walter Pitts avaient définis en 1943.

Par la suite, von Neumann va s'intéresser de plus en plus au traitement de l'information par les organismes biologiques pour tenter d'en définir les applications par les machines artificielles. C'est dans cette perspective qu'il apporta des contributions essentielles à la théorie générale et logique des automates, notamment en ce qui concerne la conception d'automates fiables à partir de composants non fiables ou encore d'automates cellulaires autoreproductibles.

On peut dire aussi que, en insistant sur l'influence que l'étude du système nerveux peut avoir sur notre conception de la logique et les mathématiques, von Neumann apparaît comme un précurseur de certaines recherches actuelles de ce qu'on appelle désormais les « neurosciences ».