Mouhyî al-dîn Mohammad ibn 'Ali Ibn al-'Arabî

Mystique musulman (Murcie, al-Andalus [aujourd'hui Espagne], 1165-Damas 1240).

Il est l'auteur de nombreux traités (al-Fotouhât al-Makkiyya, ou « Révélations de La Mecque » ; Kitâb al-tajalliyyât ou « Livre des théophanies », Fousoûs al-hikam, ou « Gemmes de sagesse »,…) exposant une doctrine à la fois religieuse, philosophique et ésotérique de l'« unicité de l'Être » (ahl al-wahda al-woujoûd), selon laquelle le Verbe de Dieu (qu'il nomme aussi bien « Lui » [Huwa] que « Elle » [Hiya]), principe cosmique éternel, est la Réalité unique, dont l'Univers et les existences individuelles ne sont que des émanations. Sa réflexion sur l'unicité divine telle qu'elle est exprimée dans la profession de foi fondamentale de l'Islam (« Il n'est de Dieu que Dieu »), et sur la distinction du Dieu manifeste et du Dieu caché (Coran, 57, 3), l'amena à formuler une pensée dialectique dans laquelle l'affirmation de l'Être est liée à la négation de ce qui n'est pas Lui : l'essence absolument Une de Dieu est inaccessible, mais elle se manifeste par une multiplicité d'attributs qui sont autant d'affirmations du Verbe divin. Toute créature, en son essence, est faite de matière et de forme, mais la lumière divine se réfléchit sur elle, et il en résulte ce qu'ibn 'Arabî appelle son ange, c'est-à-dire son être tel qu'il doit être comme image divine. Le but du mystique est de retrouver son ange. Pour ibn 'Arabî, la création résulte d'une une théophanie (zuhûr) sans cesse renouvelée de l'unique Être, d'une projection de lumière dans les ténèbres du néant qui fait surgir les créatures, « miroirs des attributs divins ». Ainsi apparaît la multiplicité des créatures à partir de l'unicité de Dieu. En ce sens, chaque être est une image de Dieu, mais limitée par la perspective du pur néant ('adam), ce qui fait qu'elle n'est pas « comme Dieu ».

Cette pensée audacieuse, souvent proche du panthéisme, s'est également exprimée dans des recueils de poèmes (Tardjomân al-Ashwaq, ou « l'Interprète des nostalgies ») : « Mon cœur est ouvert à toutes les formes ; c'est un pâturage pour les gazelles, un monastère pour les moines chrétiens, un temple pour les idoles, et la Ka'aba du pèlerin, les Tables de la Torah et le livre du Coran. Mienne est la religion de l'Amour (mahabbah). Où que ses caravanes dirigent leurs pas, la religion de l'Amour restera ma religion et ma foi. »

La méfiance soulevée par cette doctrine hétérodoxe, amena al-'Arabî, soucieux d'éviter l'anathème (takfîr) facilement jeté par docteurs de la Loi sunnites, à s'exiler successivement en Égypte, puis en Syrie, en Iraq, en Anatolie - où il fut bien accueilli par les souverains Seldjoukides de Roum, et enfin à Damas, où il mourut et où son tombeau reconstruit par le sultan Sélim Ier (1467-1520), fait aujourd'hui encore l'objet d'une constante révérence.

L'influence d'al-'Arabî a été considérable, non seulement sur Aboû l-Hasan al-Shâdhilî (mort en 1258) et sur les grands maîtres soûfis de l'école shâdhiliyya (cheikh 'Alî Wafâ [mort en 1404], cheikh Aboû l-Mawâhib Ibn Zaghdân [mort en 1477], etc.), qui l'ont appelé le « Maître suprême » (asch schaykh al-akbar), mais aussi sur les écoles islamiques d'Indonésie et sur la pensée de l'émir Abd el-Kader (1807-1883), héros de la résistance algérienne à la colonisation française, enterré près du tombeau d'Ibn al-'Arabi à Damas.