Jean Genet

Jean Genet
Jean Genet

Écrivain français (Paris 1910-Paris 1986).

Introduction

Jean Genet naît maudit – du moins l'a-t-il ainsi voulu, plus tard, ce qui revient au même. L'enfant qui voit le jour le 19 décembre 1910 est de père inconnu, et abandonné par sa mère. La blessure narcissique qui a résulté de cet état de fait sera toujours saignante et l'amènera, lui, le rejeté, à rejeter en bloc toute structure, toute valeur sociale.« M'inhumaniser est ma tendance profonde » (Notre-Dame-des-Fleurs).

Marqué par la haine

Élevé dans un premier temps par l'Assistance publique, il est confié en 1918 à des paysans du Morvan. Deux ans plus tard, est-ce vrai, est-ce faux,« une voix déclare publiquement : “Tu es un voleur” » (Sartre, Saint Genet). Le petit Jean, qui jouait l'intégration, se trouve de nouveau rejeté, enfermé dans une maison de redressement à Mettray : « Afin de survivre à ma désolation, raconte-t-il dans le Journal du voleur, quand mon attitude était davantage repliée, j'élaborais sans y prendre garde une rigoureuse discipline. Le mécanisme en était à peu près celui-ci (depuis lors je l'utiliserai) : à chaque accusation portée contre moi, fût-elle injuste, du fond du cœur je répondrai oui. À peine avais-je prononcé ce mot – ou la phrase qui le signifiait –, en moi-même je sentais le besoin de devenir ce qu'on m'avait accusé d'être. J'avais seize ans. »

Attitude délibérée, ou reconstruction a posteriori, peu importe : Jean Genet va, comme à plaisir, inverser l'ordre des valeurs. Puisqu'on le traîne dans la boue, il fera de cette boue le sommet, et des valeurs ordinaires de l'ordre établi, les repoussoirs du système – et, au pinacle de cette hiérarchie bouleversée des valeurs, la guillotine, sacre suprême puisqu'elle amène à cette valeur absolue, la mort, le non-être. Dans les Bonnes, Solange rêvera son exécution comme une procession, une glorification :« Viennent les concierges, viennent encore les délégations du ciel. Et je les conduis. Le bourreau me berce. On m'acclame. Je suis pâle et je vais mourir. » Et dans toute l'œuvre, les récits d'exécutions et d'enterrements sont traités comme des apothéoses.

Genet se veut inverti – pas seulement au niveau sexuel, provocation première, poussée à son paroxysme à une époque où non seulement cela ne s'avouait guère mais tombait sous le coup de la loi : il est le miroir à l'envers de l'ordre moral, et tend à cet ordre son portrait retourné.

Il s'enfuit de Mettray, s'engage dans la Légion étrangère – car son système de valeurs négatives s'accommode assez d'une rigoureuse discipline, puisque lui-même s'exerce, au quotidien, au sens jésuitique du terme, à tendre vers sa perfection noire. Mais trop d'ordre nuit : il déserte. Que faire ?« Un temps je vécus du vol, mais la prostitution plaisait davantage à ma nonchalance. J'avais vingt ans. ».

Il vagabonde, vit d'expédients, s'offre aux touristes qui, à l'époque, n'allaient pas aux Philippines, mais en Espagne (Genet erre dans le Barrio Chino de Barcelone), à Marseille, métropole interlope, puis dans toute cette Mittel Europa (Italie, Yougoslavie, Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne…) alors agitée des soubresauts consécutifs à l'éclatement de l'Empire austro-hongrois. De ces pays, il ne connaît, à vrai dire, que les bas-fonds et les commissariats. De cette période date aussi le premier texte connu de Genet : une lettre à Gide, qui, comme lui, assume son scandale, mais à l'autre bout de l'échelle sociale.

En Allemagne enfin : les belles brutes blondes entrent dans sa mythologie personnelle, comme il le racontera dans Pompes funèbres : un système qui exaltait le corps, et surtout le corps masculin (on pensera à la séquence introductive du film de Leni Riefenstahl sur les jeux Olympiques de 1936, les Dieux du stade, véritable hymne païen à la beauté physique), avait de quoi le séduire.

L'écriture comme rédemption

Point trop n'en faut : les nazis, dont le régime est en soi une inversion complète des valeurs, ne peuvent subjuguer longtemps un garçon rigoureux qui vise à vivre en marge. C'est la fin de sa singularité – puisque le voyou, SA ou SS, est au cœur de l'institution. Genet rentre en France. Foin des fric-frac ordinaires : il exécute seul un cambriolage dans les règles.« Maintenant j'étais un homme, un affranchi », se glorifie-t-il dans Miracle de la rose. « Affranchi » : Genet utilisera longtemps un argot désuet, au mieux contemporain de son adolescence, dans lequel il glissera des termes encore plus anachroniques, comme si, sur le plan lexical aussi, il se voulait en marge – en dehors même du système si bien corseté du « milieu ». Son ami de cœur, Maurice Pilorge, est guillotiné en 1939.

En plein travail de deuil, voilà Genet une fois de plus en prison – simple prévenu. À ce qu'il a plus tard raconté à Sartre, là se situe le tournant fatal qui fera de lui un écrivain. Un compagnon de cellule, qui se pique de poésie, a la veine lyrique et, au goût de Genet, « pleurnicharde ». Genet écrit le Condamné à mort, vaste poème en alexandrins classiques qui raconte, dans le détail, son amour pour l'ami qu'il n'a pas pu sauver. Ce qui, dans un premier temps, fut sans doute un exutoire va déboucher sur une vraie rage d'expression : pendant vingt ans, Genet ne cessera d'écrire. Enfermé à la Santé, il rédige Haute Surveillance et Notre-Dame-des-Fleurs (1944). Suivront Miracle de la rose (1946), rêverie sur la carcéralité, Pompes funèbres, évocation du Paris sordide des collabos – et des F.F.I., et Querelle de Brest (1947).

Notre-Dame-des-Fleurs tient du roman, de l'autobiographie et du poème : déjà le mélange des genres montre assez que si Genet est réductible à une esthétique, c'est celle du baroque, au sens le plus originel du terme – refus de la fixité, fascination pour les dédoublements, les miroirs, les mutations d'être, variété des tons, du grotesque au sublime en passant par le trivial, le tout n'excluant pas une certaine préciosité. Reflet exact de la personnalité multiple de l'auteur :« Il se peut que cette histoire ne paraisse pas toujours artificielle et que l'on y reconnaisse malgré moi la voix du sang : c'est qu'il me sera arrivé de me cogner du front dans ma nuit à quelque porte, libérant un souvenir angoissant qui me hantait depuis le commencement du monde, pardonnez-le moi. Ce livre ne veut être qu'une parcelle de ma vie intérieure. ».

Le narrateur « invente », à partir de photos punaisées au mur, ses personnages déchirés : Divine, le travesti, Mignon ou Notre-Dame-des-Fleurs, ses gitons. Autant d'hypostases de lui-même :« Comment expliquerons-nous que Divine ait maintenant la trentaine et plus ? Car il faut bien qu'elle ait mon âge, pour que je calme enfin mon besoin de parler de moi, simplement, comme j'ai besoin de me plaindre et d'essayer qu'un lecteur m'aime ! » La saga de Divine suit l'itinéraire rêvé des vies réussies selon Genet – fange, crime, emprisonnement et mort, l'inversion-miroir de la trajectoire christique :« J'en ai pour toute la durée d'un livre, que je ne l'aie tirée de sa pétrification et peu à peu ne lui aie donné ma souffrance, ne l'aie peu à peu délivrée du mal et, la tenant par la main, conduite à la sainteté. » Même principe d'inversion des codes pour décrire Mignon – et même vocabulaire chrétien :« Il porte son infamie comme un stigmate au fer rouge, mais ce stigmate précieux l'ennoblit autant que la fleur de lis sur l'épaule des voyous d'autrefois. » Le destin sanglant de Notre-Dame-des-Fleurs, condamné à mort pour le meurtre d'un vieillard, prend des allures de montée au Golgotha, et même d'Ascension :« Il fut aussi prodigieusement glorieux que le corps du Christ s'élevant, pour y demeurer seul, fixe, dans le ciel ensoleillé de midi. » La transposition inversante est si systématique qu'elle frise le procédé, tant il est vrai que dans le cœur de tout baroque sommeille un maniériste. Dans Querelle de Brest, Genet poussera d'ailleurs la coquetterie à souligner lui-même, d'une phrase sur l'autre, « les complaisances de l'auteur ».

Genet, saint et voyou

De bonnes fées se penchent sur le berceau de ces œuvres : Sartre et Cocteau lancent Genet, Louis Jouvet lui commande une pièce : ce sera les Bonnes, données au théâtre de l'Athénée en même temps que l'Apollon de Bellac de Giraudoux (programme détonant, typique de l'étonnante plasticité de Jouvet, confrontant l'écorché vif au langage ordurier et le très précieux normalien).

Les premières œuvres, Pompes funèbres et Querelle de Brest, ont paru sans nom d'éditeur – de même en 1949 'Adame Miroir et le Journal du voleur (et ici s'arrête la bio-fiction de Genet, qui se consacrera dorénavant au théâtre). Entre-temps, les intellectuels parisiens se sont ligués pour arracher au président de la République une grâce présidentielle pour Genet, menacé de relégation à vie (1948 – l'année même où, au Théâtre des Champs-Élysées, est créé 'Adame Miroir, sur une musique de Darius Milhaud et une chorégraphie de Janine Charrat). Mais tout le monde sait bien que Genet, patronné par Sartre, est une créature de Gallimard, qui fait paraître en 1951 le tome II de ses Œuvres complètes – pour le tome I, l'éditeur attend la Préface commandée à Sartre, qui écrira finalement un fort volume, analyse marxisto-freudienne de Genet, constituant à lui seul le premier volume des œuvres du truand à la mode.

L'une des forces de Genet est d'avoir dépassé dès le départ l'anecdote personnelle pour toucher au mythe. À cet égard, Querelle de Brest avait toutes les qualités requises pour devenir l'œuvre-culte qu'est aujourd'hui ce roman dans les milieux homosexuels – culte relayé par le film sulfureux qu'en tira Rainer Werner Fassbinder en 1981.

Pour faire un mythe, s'appuyer fortement sur des stéréotypes – pour mieux en créer de nouveaux : ici, le port, milieu louche par essence, ses beaux matafs, ses corps frottés de violence et d'amour. Deux assassins, que la police d'ailleurs confond, avant qu'ils ne se confondent l'un dans l'autre. Ils s'aimeront, ils se trahiront, ils tomberont. Le décor, glauque à souhait, d'un port de guerre sous des « ciels brouillés » bretons et baudelairiens. Deux ancrages (tout le roman fonctionne en structure binaire – la structure même de la morale) très forts, l'ancien bagne maritime et une maison de passe à l'aura mythique, la Feria. Querelle, matelot sur le vaisseau le Vengeur, obsède le lieutenant Seblon – peut-être même est-il le pur produit d'un fantasme :« Querelle, né de cette solitude où l'officier lui-même restait reclus, était un personnage solitaire comparable à l'ange de l'Apocalypse dont les pieds reposent sur la mer. » Ces matelots aux muscles saillants sont en même temps d'une féminité exquise :« Il eut alors la posture d'une jeune sainte visitée, tombée à genoux au pied d'un chêne, écrasée par la révélation, la splendeur de la grâce, et qui se rejette en arrière pour écarter son visage d'une visitation brûlant ses cils, ses prunelles et qui l'aveugle. » À nouveau, la métaphore choisie (pour évoquer une scène érotique) est empruntée à la religion, le marin viril devient « une sainte ». La confusion des genres permet de dépasser le récit « réaliste » à la Mac Orlan (du genre de Quai des brumes), de dépasser aussi le cadre français, et d'esquisser une mythologie internationale de la virilité exquise des « chevaliers de la jaquette » – là encore, l'argot, langue qui en théorie ne cesse d'aller de l'avant, joue sur des anachronismes qui intemporalisent le récit.

Après les Bonnes, Jean Marchat (avec Genet) met en scène Haute Surveillance (1949). L'année suivante, Genet tourne un court-métrage consacré à l'homosexualité, Un chant d'amour – si choquant pour l'époque qu'il ne bénéficia jamais que d'une distribution très confidentielle.

Le Saint Genet comédien et martyr de Sartre (parodie du titre d'une tragédie de Rotrou, au xviie s.) paraît en 1952 – et condamne Genet au silence, « six ans de grisaille et d'imbécillité », tant l'analyse est pertinente :« Dans tous mes livres je me mets nu et en même temps je me travestis par des mots, des choix, des attitudes, par la féerie. Je m'arrange pour ne pas être trop endommagé. Par Sartre, j'étais mis à nu sans complaisance. » Si un écrivain crée à partir d'un noyau obscur parfois même à lui-même, Sartre épluchait Genet avec une impudeur totale, exhibant le mécanisme :« J'ai mis un certain temps à me remettre… J'ai été presque incapable de continuer à écrire… Le livre de Sartre a créé un vide qui a permis une espèce de détérioration psychologique. Cette détérioration a permis la méditation qui a conduit à mon théâtre. » En fait, Genet en 1950-1952 n'a pas vraiment écrit, et il saute sur le livre de Sartre comme sur une justification a posteriori pour ne pas avoir écrit le roman définitif que Sartre annonçait dans son étude – qui selon lui eût combiné Mallarmé, Valéry et le Lawrence des Sept Piliers de la sagesse – triangulation de l'expression.

Scandales et apogée

Tania Balachova remonte les Bonnes au théâtre de la Huchette (1954) – au moment où Genet passe devant le tribunal correctionnel de Paris pour « attentat aux mœurs et pornographie » – ainsi qualifiait-on à l'époque le « délit » d'homosexualité. Quand en 1956 paraît la première version du Balcon, il est à nouveau condamné – à huit mois de prison et 100 000 francs d'amende – pour ses écrits de 1948.

Le Balcon est porté à la scène à Londres, par Peter Zadek, dans une mise en scène très critiquée par Genet (il ne sera pas plus tendre envers la reprise de la pièce à Paris par Peter Brook en 1960) – pièce de la mise en abyme, où théâtre et réel s'échangent leurs qualités respectives, comme les personnages échangent leurs rôles – mécanismes archétypiques du théâtre baroque. Déjà dans les Bonnes, Claire se substituait à Madame, et, dans Querelle, le policier Mario aimait « se confondre » avec les truands qu'il poursuivait. Dans le Balcon, le chef des révolutionnaires s'identifie au chef de la police ; Genet conseillait (Comment jouer le Balcon, 1962) :« Je veux que les tableaux se succèdent, que les décors se déplacent de gauche à droite, comme s'ils allaient s'emboîter les uns dans les autres, sous les yeux du spectateur » ; et, à la fin de la pièce, Irma conseille à ces spectateurs pris à témoin de la théâtralité de l'œuvre de rentrer chez eux « où tout, n'en doutez pas, sera encore plus faux qu'ici ». Enfin, dans les Nègres, mis en scène par Roger Blin en 1959, des acteurs noirs jouent le meurtre rituel d'une Blanche, sous les yeux de Noirs jouant aux Blancs.

Genet, chantre des amours homosexuelles, a créé parmi les rôles féminins les plus forts du théâtre contemporain – à ceci près qu'ils sont tous identiques, métamorphoses semblables de l'archétype de la Putain sacrée : Madame Lysiane dans Querelle de Brest, Madame dans les Bonnes, Irma, autre patronne de bordel, dans le Balcon, et bientôt Warda dans les Paravents – figures tutélaires sacralisées comme mères, désacralisées comme maquerelles. Haine et amour peut-être de cette mère originelle inconnue.

Le début des années 1960 marque à la fois l'apogée de la réputation de Genet, avec le scandale des Paravents, de leur création, en 1961, à Berlin-Ouest à leur reprise mouvementée à l'Odéon, en 1966, et la fin de ses années de création littéraire. Sartre (et Beauvoir) ramènent cette stérilité à un drame personnel :« Il tenait beaucoup à Abdallah, qui s'est tué, plus ou moins à cause de lui, et Genet, à ce moment-là, a décidé de ne plus écrire. Et, de fait, il n'a plus écrit grand-chose depuis cette mort » (la Cérémonie des adieux). Un mort avait ouvert la vanne, un autre mort pouvait peut-être la fermer.

Les Paravents forment une très longue pièce. La version intégrale, rarement jouée, dure plus de cinq heures, et fut essayée pour la première fois à Stockholm en 1964. En France, impossible avant 1966 de montrer une pièce qui fait la satire du colonialisme et la caricature de l'armée alors que le pays résonne encore de l'écho de la guerre d'Algérie – à ce titre, c'est aussi la première pièce où Genet fait clairement preuve de ce militantisme tiers-mondiste qui l'occupera exclusivement durant vingt ans. Vingt-cinq tableaux, une centaine de personnages. Saïd, incendiaire, délateur, assassin, a le parcours initiatique ordinaire des personnages « saints » de Genet – à ceci près qu'il sera abattu par les maquisards avant d'être reconnu pour « saint ». Dans le monde des Paravents (les murs de papier qui définissent l'espace du jeu théâtral, à travers lesquels passent les morts, tous plus dignes une fois qu'ils se sont lavés de la vie), quelque chose cloche. Warda, autre figure des maîtresses de bordels chères à Genet, devrait devenir archétype de la Putain, figure creuse et sanctifiée, mais la guerre la ramène sans cesse à la réalité :« Moi, Warda, qui devais de plus en plus m'effacer pour ne laisser à ma place qu'une pute parfaite, simple squelette soutenant des robes dorées, et me voici à fond de train redevenir Warda… » L'apparence triomphe : les colonisateurs se donnent un bal grotesque, marque de leur pouvoir ; les paras ne triomphent que parce qu'ils sont « beaux ».

Genet rêvait pour cette pièce d'un spectacle total.« Il faudrait que chaque costume soit lui-même un décor » ;« le metteur en scène, tenant compte des différents timbres de voix, inventera un mode de déclamation allant du murmure au cri. Des phrases, des torrents de phrases doivent passer dans des hurlements, d'autres seront roucoulées, d'autres seront dites sur le ton de l'habituelle conversation. » Lecteur du Théâtre de la cruauté d'Artaud, Genet avait un jour expliqué qu'il se réclamait de trois modèles : le cérémonial des théâtres extrême-orientaux, le rituel de la messe et le jeu, chargé de gravité, des enfants. Les Paravents sont l'aboutissement de cette théorie, et en un sens ils en constituent également l'impasse, dans leur impossible réalisation.

La mise en scène des Paravents à l'Odéon en 1966, appuyée de tout le talent de Maria Casarès et de Madeleine Renaud, cause un tollé monstrueux. Malraux, ministre de la Culture, doit peser de tout son poids pour que la censure, alertée par les articles au vitriol de la presse la mieux pensante, n'interdise pas la pièce. Genet n'intervient que marginalement dans le conflit, en publiant ses Lettres à Roger Blin. Dorénavant, il n'intervient plus sur la scène littéraire que par des articles à Tel Quel. Il a choisi de quitter la scène parisienne, s'engage aux États-Unis aux côtés des Black Panthers (1969), au Moyen-Orient aux côtés des Palestiniens (les Femmes de Djebel-Hussein, dans le Monde diplomatique, 1975 ; Quatre heures à Chatila, Revue d'études palestiniennes, 1982), aux côtés des militants de la Fraction armée rouge (1977). Son théâtre est joué dans le monde entier. Partout il a fait des émules. Auteur de livres-cultes, il a engendré par son exemple d'autres livres-cultes de même farine (ainsi, Cité de la nuit, de l'américain John Rechy). D'autres intellectuels patronnent d'autres truands aux prétentions littéraires. Patrice Chéreau met à son tour en scène les Paravents (1983 – l'année où Genet, qui a dû apprécier la dérision de la chose, reçoit le Grand Prix national des lettres). Le Balcon entre au répertoire de la Comédie-Française (1985). C'est sans doute le coup de grâce : Genet rend à son éditeur Un captif amoureux, le roman, célébration de la cause palestinienne, auquel il travaillait depuis de nombreuses années, et meurt, le 13 avril 1986.