symbolisme

Stéphane Mallarmé
Stéphane Mallarmé

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Définition du symbolisme

Un " symbole " peut être forme plastique, mot ou phrase mélodique, mais il signifie toujours un contenu qu'il transcende. Jailli spontanément de l'inconscient, il éclaire soudain l'intelligence et lui manifeste la réalité invisible. Il peut n'être parfois que simple référence aux choses de l'esprit, mais, s'il révèle pleinement le songe de l'artiste, il devient synthèse de la pensée et des aspirations de la conscience.

Le signe symbolique est lié depuis toujours à la peinture. Il est la force magique des évocations rupestres et de l'art religieux égyptien. Il peut être aussi le cercle, porteur d'éternité et de perfection ou le ôm bouddhique, expression de la Trimourti. Le symbole chrétien, qui dit l'indiscible, fut aussi l'élément essentiel de la fresque médiévale et byzantine. Lorsque la Renaissance découvre l'Antiquité et l'humanisme, le symbole prend une place prépondérante pour transmettre à l'esprit l'idée devenue primordiale : en quelque sorte il devient langage. L'iconographie, de plus en plus chargée de valeurs symboliques, devient alors inextricable malgré l'étude iconologique de Ripa (1593). On pourrait, en un sens, déjà parler de Symbolisme à propos de l'œuvre de Léonard de Vinci, des fabulations diaboliques de Hieronymus Bosch ou des gravures emblématiques de Dürer et d'Altdorfer. Le Maniérisme exacerbé, les métamorphoses d'Arcimboldo, les allusions solaires de Versailles ressortiraient aussi à une même inspiration.

Cependant, il paraît plus juste de conserver au terme Symbolisme une acception historique précise qui le dégage des qualificatifs esthétiques vagues. Le terme définit alors, dans la seconde moitié du xixe s., les tendances artistiques idéalistes qui se développent en opposition au positivisme scientifique et au naturalisme bourgeois. Le progrès de la science, le développement de l'industrie et de la technicité, la fièvre du commerce et la naissance du socialisme ont entraîné la formation du naturalisme littéraire et du réalisme artistique qui, après le vérisme charnel de Courbet, aboutira parallèlement à la réalité exacerbée de l'Académisme et à l'obsession de la lumière vraie de l'Impressionnisme. Mais ils ont suscité aussi une angoisse profonde sur le sens de la vie et le destin de l'homme, un besoin spirituel, accusé par la déchristianisation et la nécessité pour l'écrivain ou l'artiste de se créer de nouveaux dieux. Cette localisation historique du terme correspond d'ailleurs exactement à son apparition dans la littérature, au moment où théoriciens et poètes le créent pour expliquer leurs rêves et leurs recherches. Parmi eux, Baudelaire fut le premier à tenter une exploration des profondeurs de l'âme humaine, un inventaire des impulsions et des terreurs cachées qui meuvent et broient le cœur (les Fleurs du mal, 1857). Il parle indifféremment de Symbolisme ou de Surnaturalisme pour définir sa poésie ou celle d'Edgar Poe.

Les précurseurs

En art, le Symbolisme trouve ses racines dans certains aspects du Romantisme, pictural ou littéraire, qui connaissait déjà les sujets étranges, les allusions poétiques ou l'évocation des tourments intérieurs. C'est le cas des peintres français comme Gérard ou Girodet qui, dans un néo-classicisme sentimental, illustrent Ossian et les fantômes des héros. Il en est de même, en Angleterre, des aquarelles fantastiques de Heinrich Füssli et de William Blake ou des évocations presque délirantes de John Martin. Le Symbolisme puise aussi son mysticisme chez les Nazaréens et son sens du mystère et du merveilleux chez les romantiques allemands. Inspirés par Jean-Paul ou Novalis, des artistes comme Caspar David Friedrich (Un cimetière de couvent sous la neige, 1819, musées de Berlin) ou Philipp Otto Runge (le Matin, 1808, Hambourg, Kunsthalle) sont en effet très proches dans leur rêverie idéaliste des symbolistes proprement dits.

Les préraphaélites

La création en Angleterre, en 1848, par Rossetti et Millais, de la Confrérie des Préraphaélites (Pre-Raphaelite Brotherhood) peut être considérée comme la première manifestation véritable du Symbolisme. Sous l'impulsion de leur théoricien John Ruskin, les Préraphaélites ont proclamé leur refus du réel historique au profit d'une vision idéaliste de l'homme et pour ce faire leur rattachement esthétique à l'art gothique et à la peinture du quattrocento. Les premiers maîtres du mouvement furent John Everett Millais (le Christ dans l'atelier du charpentier, 1850, Londres, Tate Gal.), William Holman Hunt (la Lumière du monde, 1854, Oxford, Christ Church), Charles Allston Collins et l'Italien Dante Gabriel Rossetti (l'Adolescence de la Vierge Marie, 1849, Londres, Tate Gal.) qui trouvent leur inspiration dans la méditation des vertus du Christ ou l'intensité de sentiment des ballades de John Keats, republiées en 1848, comme la Belle Dame sans merci et Isabelle ou le pot de basilic. Leurs toiles offrent un hyperréalisme des costumes, des objets, des plantes et des fleurs, beaucoup plus héraldique qu'historicisant. Sympathisant mais plus indépendant, Ford Madox Brown (Manchester, décorations de l'hôtel de ville, 1880-1893) partage les recherches médiévales et spiritualistes de la Confrérie en les nuançant d'une note socialisante (l'Adieu à l'Angleterre, 1855, Birmingham Art Gallery). La deuxième vague du Préraphaélisme voit le succès de Rossetti, longtemps hanté par le souvenir de sa femme, Elizabeth Siddal (Beata Beatrix, 1864, Londres, Tate Gal.), et d'Edward Coley Burne-Jones, admirateur fervent de Botticelli (l'Enchantement de Merlin, 1874, Port Sunlight, Lady Lever Art Gallery). Fortement marqués par la Divine Comédie de Dante et les Idylles du roi d'Alfred Tennyson, ils exaltent le mythe des chevaliers de la Table ronde (Burne-Jones, Sir Galahad, 1858, Cambridge, Massachusetts, The Fogg Art Gallery), la cruauté et la pitié d'un Moyen Âge légendaire (Rossetti, La Pia de Tolomei, 1868-1880, University of Kansas, Spencer Museum of Art). Ils ont su créer un type de femme, d'une beauté lointaine et insensible, proche de celles qui traversent les poésies d'Algernon Charles Swinburne. Mais, qu'elles traduisent l'obsession du miroir, les errances de la folie ou la fascination des enchanteresses, leurs œuvres révèlent toujours un grand souci de la ligne et la recherche d'un coloris puissant, aux tons rares. William Morris donnera de ces thèmes une interprétation décorative (Fresques du cycle d'Arthur, 1858, Oxford, Union Club) et les mettra en valeur dans la tapisserie et le vitrail. D'autres artistes participèrent aussi au mouvement préraphaélite et exposèrent à la Grosvenor Gallery : George Frederick Watts dont les grandes figures symboliques s'estompent dans un coloris subtilement flou (l'Espérance, 1885, Londres, Tate Gal.), Walter Crane, attiré par l'étrange et dont les Chevaux de Neptune (Munich, Neue Pin.) s'irisent de couleurs opalescentes, Arthur Hugues aux rêveries mélancoliques (Amour d'avril, 1856, Londres, Tate Gal.), Frederick Sandys (la Fée Morgane, 1864, Birmingham Art Gallery), Simeon Solomon, John Roddam Spencer-Stanhope, John Melhuish Strudwick ou John William Waterhouse, qui traite les légendes préraphaélites avec un académisme poétique et somptueux (Circé Invidiosa, 1892, The Art Gallery of South Australia).

Les précurseurs du Symbolisme français

À Paris, la présentation des Préraphaélites à l'Exposition universelle de 1855 eut un grand retentissement. Elle apportait au public parisien une vision artistique bien différente du Naturalisme de Courbet ou de la grande peinture d'histoire du second Empire, qui rejoignait les recherches de Chassériau, de Gleyre dans ses Illusions perdues (1848, Louvre) ou de Millet dans l'Angélus (1859, Paris, Orsay). Proches des Préraphaélites, les " Nazaréens français " de l'école mystique de Lyon, Orsel ou Louis Janmot, avec les paraboles de son Poème de l'âme (Lyon, musée des Beaux-Arts), ont peint des allégories spirituelles qui réclament déjà un code d'interprétation mais qui restent des œuvres essentiellement catholiques.

Gustave Moreau

Gustave Moreau ne pouvait s'y tromper : dès 1864, nourri de mythologies anciennes et de fables orientales, il peint des tableaux raffinés qui ne sont que symboles (les Licornes, Paris, musée Gustave-Moreau). Il projette sa culture, sa misogynie fascinée et ses angoisses intérieures dans ses toiles aux couleurs triturées comme des gemmes ou dans des aquarelles lumineuses (Centaure portant un poète mort, id.). Il s'efforcera sans cesse, sans y arriver, d'unir à l'expression littéraire de son inquiétude la puissance symbolique de son coloris phosphorescent (Salomé dansant devant Hérode, 1876, id.). Gustave Moreau apparut alors comme le précurseur et le maître incontesté du Symbolisme pictural (les Chimères, 1884, id.).

Les sources littéraires

Mais Gustave Moreau n'était pas un isolé ; le Symbolisme littéraire venait en effet de prendre en France une place très importante. Séduits par les Correspondances baudelairiennes, des poètes comme Verlaine (Sagesse, 1881) ou Rimbaud (Illuminations, 1886) transcrivaient leurs confidences ténues ou leurs effarements sensoriels. Les Poésies de Mallarmé (1887), les Amours jaunes de Tristan Corbière et les Complaintes (1885) de Jules Laforgue exhalent une amertume qui se fond en tristesse sourde chez Albert Samain (Au jardin de l'infante, 1893), Maurice Rollinat (les Névroses, 1883), Henri de Régnier (les Sites, 1887) ou Sully Prudhomme. Francis Jammes et Tailhade (Sonnets liturgiques) opposent un catholicisme poétique au satanisme secret des nouvelles de Barbey d'Aurevilly ou de Villiers de L'Isle-Adam (Histoires moroses, 1867). Parmi eux se détachent le groupe des Décadents et les poètes du Mercure de France que Maurice Barrès qualifiera de " sensationnistes ". C'est alors qu'apparurent de nombreuses revues développant des idées spiritualistes : le Décadent, la Pléiade, le Symboliste, la Vogue, la Plume, le Moderniste d'Albert Aurier (1889) et la Revue blanche des frères Natanson (1891). Jean Moréas rédigeait dans le Figaro du 18 septembre 1886 le manifeste du Symbolisme, tandis qu'Albert Aurier, en 1891, dans le Mercure de France, définissait l'œuvre d'art comme " idéiste, symboliste, synthétique, subjective et décorative ". Alors qu'en 1882 Lucien Renout, dans la Vie artistique, célébrait l'" Ontocolorisme ", qui dévoile le monde invisible par les recherches chromatiques, Mellerio commentait en 1896 le Mouvement idéaliste en peinture. Les interférences entre le Symbolisme littéraire et le Symbolisme artistique étaient d'autant plus nombreuses que la plupart des écrivains étaient aussi des critiques d'art passionnés. Et des liens certains unissaient ceux-ci aux expériences musicales de Wagner ou de Debussy (la Revue wagnérienne, 1885-86). Ce besoin de réagir contre le Naturalisme apparaissait aussi chez les romanciers, et J.K. Huysmans reniait Zola. De même, les théories philosophiques se dégageaient du positivisme d'Auguste Comte ou des constructions socialistes de Karl Marx : Schopenhauer se tournait vers le " Pessimisme " et Bergson, dans son Essai sur les données immédiates de la conscience, conseillait l'atteinte de la vérité par l'intuition. Ce sera l'époque d'un renouveau chrétien et de la conversion d'un Huysmans, d'un Bourget et bientôt d'un Claudel. Parfois, la quête de l'esprit s'égare dans des exaltations perverses ou des alanguissements quintessenciés. Des esthètes comme Jean Lorrain ou Robert de Montesquiou sont fascinés par ce spiritualisme désœuvré qui est l'essence même de ce Des Esseintes, ambigu et névrosé, créé par J. K. Huysmans dans À rebours (1884). La déliquescence et l'ésotérisme vont rapprocher l'artiste des paradis artificiels de la drogue et des envoûtements de la magie (Édouard Schuré, les Grands Initiés, 1889). Ainsi, le sâr Peladan fonde l'ordre de la Rose-Croix catholique. Les tendances picturales symbolistes sont en France très diverses avec des épigones un peu anarchiques. Nous trouvons à côté de Gustave Moreau des graveurs comme Bresdin, qui recherche l'expression de la fragilité et de la solitude humaine face à une nature inquiétante et surpeuplée de fantasmes (le Bon Samaritain), et Gustave Doré décrivant avec la même admiration un peu oppressée les forêts luxuriantes de l'Atala de Chateaubriand.

Odilon Redon

Cette traduction de l'angoisse de l'homme devant l'inexorabilité de la nature se retrouve chez Odilon Redon. Dans ses œuvres en noir et blanc, dessins et gravures, qu'il appelait " mes ombres ", il imagine des fantômes blafards, des fleurs dangereuses (Fleur de marécage, Otterlo, Kröller-Müller) et des bêtes effrayantes (l'Araignée, 1881, Paris, Orsay). Mais il rêve aussi en couleurs de paysages irisés, de coquillages opalescents (la Naissance de Vénus, Paris, Petit Palais), de Pégases solennels et de regards intérieurs (les Yeux clos, 1890, Paris, Orsay). Comprise des poètes, admirée des Nabis, son exposition d'ensemble chez Durand-Ruel en 1899 fut un véritable manifeste. Les visions morbides de Redon s'égarèrent alors jusqu'aux limites de l'inconscient et du Surréalisme, mais l'artiste n'oublia jamais la leçon flamboyante de Gustave Moreau. Celle-ci avait de même marqué profondément les silhouettes sombres, soulignées de blancs, des aquarelles de Rodin, spectres anxieux inspirés par l'Enfer de Dante et les Fleurs du mal de Baudelaire.

Le Symbolisme académique

De nombreux peintres participants des salons officiels en furent imprégnés : bien des aquarelles d'Élie Delaunay, conservées au musée de Nantes, ont une résonance symboliste ; les femmes épuisées de Hébert, les figures silencieuses de Lévy-Dhurmer, les énigmatiques visages byzantins d'Edgar Maxence, les flottantes apparitions d'Henri Martin (Chacun sa chimère, 1891, musée de Bordeaux) ou de Maurice Chabas, les fugitives évocations d'Ernest Laurent et d'Henri Le Sidaner sont les expressions plus traditionnelles d'un semblable mal de vivre. On retrouve des songeries identiques dans les églogues vaporeuses d'Alphonse Osbert et les idylles antiques de René Ménard, dans les portraits sereins d'Aman-Jean (la Jeune Fille au paon, 1895, Paris, musée des Arts décoratifs) comme dans les thèmes préraphaélites d'Elysabeth Sonrel, d'Armand Point ou de Rochegrosse (le Chevalier aux fleurs, 1893, Paris, Orsay). L'exposition du Symbolisme dans les collections du Petit Palais (1988) a permis de découvrir toutes les tendances de ce symbolisme plus ou moins " pompier ". L'Art nouveau est né de ce goût du languide, du végétal exubérant, des artifices, des fleurs enroulées et des chevelures dénouées. Il ne fut la plupart du temps qu'un art purement décoratif, jouant des arabesques de la ligne, mais quelquefois, chez Mucha ou Grasset, il retrouva son contenu spiritualiste : les illustrations de Mucha pour Ilsée de Robert de Flers (1897) et pour le Pater (1899) en sont le meilleur exemple.

Puvis de Chavannes

Parallèlement apparaît une nouvelle forme du Symbolisme, qui, au contraire, renonce à l'étrange pour poursuivre, dans la simplicité et l'équilibre de la composition, la transfiguration intérieure de l'œuvre d'art. Puvis de Chavannes peignit en vastes fresques des allégories paisibles dont les figures délicates gardent une immobilité attentive (Inter artes et naturam, 1890, musée de Rouen). L'harmonie de ces décorations irréalistes est renforcée par la modulation très sensible des tons assourdis : c'est par l'extrême sobriété des couleurs que Puvis de Chavannes exprime le mieux son sentiment intime si raffiné. Ses toiles religieuses ont une sérénité triste, tout éclairée de dévotion intérieure (la Madeleine à la Sainte-Baume, 1869, Otterlo, Kröller-Müller). Ses collaborateurs Paul Baudouin et Alexandre Séon seront fidèles à sa vision du mur, mais Baudouin s'orientera vers l'allégorie " réelle " tandis que Séon recherchera des sujets idéalistes très raffinés. Le Symbolisme intimiste d'Eugène Carrière (Jeanne d'Arc, 1899, Paris, Orsay) et de Fantin-Latour (Prélude de Lohengrin, 1902, Paris, Petit Palais) est moins abstrait, plus nuancé d'amour humain et de douceur attendrie. Il se traduit par l'ascétisme du coloris et la suppression du contour.

Pont-Aven

Gauguin et Émile Bernard, qui, dès 1885, travaillaient en Bretagne, réunirent autour d'eux Sérusier, Charles Laval, Meyer de Haan, Filiger, Verkade et Armand Seguin. Ce groupe de Pont-Aven, augmenté de Schuffenecker et d'Anquetin, exposa en 1889 au café Volpini des œuvres synthétiques dont la simplification trahit une intense subjectivité. Le Cloisonnisme et les couleurs en aplats contribuent à entourer ces simples sujets bretons d'un climat silencieux et archaïque (Gauguin, Ramasseuses de goémon, 1889, Essen, Folkwang Museum) et suggèrent le primitivisme obscur des populations celtiques (Gauguin, la Lutte de Jacob avec l'ange, 1889, Édimbourg, N. G.). Fasciné par le retour aux sources barbares, par l'énigme des incantations et le règne des sorciers, Gauguin peint à Tahiti ses évocations océaniennes où des femmes d'ambre, impassibles parmi des fleurs étranges, contemplent leur âme d'un regard perdu (Nevermore, 1897, Londres, Courtauld Inst.). Dans sa grande composition D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897, Boston, M. F. A.), il exprime magistralement son inquiétude " devant le mystère de notre origine et de notre avenir ". Sa quête angoissée du mystère et l'évolution de sa démarche plastique, si personnelle, ont été largement étudiées dans le catalogue de l'exposition Gauguin (Paris, 1989).

Les Nabis

Le cénacle des Nabis, dont le nom hébraïque, signifiant " prophètes ", se veut déjà symbole et profession de foi, réunissait de nombreux artistes, certes très différents, mais tous soucieux de vie intellectuelle et désireux de traduire en beauté matérielle, par la stylisation et la synthèse, l'" Idée ", considérée comme primordiale. Cet Idéisme, prôné par Albert Aurier, fut exalté par le porte-parole des Nabis, Maurice Denis, dans le " Manifeste " qu'il publia en 1890 dans la revue Art et critique sous le pseudonyme de Pierre Louis : l'œuvre d'art véritable, au service de la pensée, doit être décorative, subjective et arbitraire. Fréquentant la Revue blanche, les Nabis s'intéressèrent non seulement à la littérature, mais aussi à la philosophie religieuse et à la musique, qui influenceront leur art. Celui-ci s'inspire aussi des raffinements du graphisme japonais et des formes frustes de la sculpture primitive. Sérusier, qui transmit aux Nabis la leçon de Gauguin, resta toujours tributaire du Cloisonnisme et de l'angoisse métaphysique du groupe de Pont-Aven (Solitude, 1892). Il en fut de même de Piot ou d'Armand Seguin. Ranson, de nature plus traditionnelle, fut cependant écartelé entre l'influence de Sérusier (Christ et Bouddha, 1895) et son goût pour un art purement ornemental, où seule compte l'arabesque et qui se rapproche du Modern Style (le Tigre, lithographie, 1898). Il rejoint alors le style décoratif de Bonnard, le " Nabi très japonard ", et certaines recherches graphiques de Maurice Denis (Portrait de Mme Ranson, 1892, Saint-Germain-en-Laye, musée Maurice-Denis). Mais ces jeux de lignes ont une résonance plus profonde lorsqu'ils illustrent des poésies idéalistes ou lorsque, soulignés de teintes plates, ils transmettent le message spirituel de l'artiste (les Muses ou le Bois sacré, 1893, Paris, musée d'Orsay. Maurice Denis, auteur des Théories, exprime son rêve esthétique dans des œuvres simples, aux scènes familières (Portrait de la famille Mellerio, 1897, id.). Dans ses toiles chrétiennes intimistes, dans ses décorations monumentales, il cherche à concrétiser par des couleurs claires et des rythmes dépouillés la présence de Dieu (la Vierge à l'école, 1903, Bruxelles, M. R. B. A.). Il se consacrera totalement à l'art religieux et fondera en 1919 les Ateliers d'art sacré. Filiger exploitera la poésie paisible des scènes évangéliques, dont il cernera les personnages d'un épais trait noir, issu des techniques du vitrail (Jésus enfant debout, 1892). Il imitera aussi l'hermétisme des manuscrits irlandais et utilisera l'étude scientifique de la lumière à des fins pseudo-symbolistes (Notations chromatiques). Le Néerlandais Dom Wilibrod Verkade, sans renier son expérience bretonne, entre au couvent de Beuron, où il adhère à la théorie des " saintes mesures ".

Les Rose-Croix

Il n'y a pas eu en France d'expositions symbolistes importantes, à part les Salons de la Rose-Croix, organisés de 1892 à 1897 par le sâr Peladan. La geste esthétique rosicrucienne eut une influence mystique certaine, entachée cependant par la personnalité extravagante du mage créateur. Bien des artistes idéistes ou chrétiens ont participé à ce rassemblement très éclectique, comme Aman-Jean, Osbert, Henri Martin, Séon, Anquetin, Filiger, Louis Welden Hawkins, Charles Maurin, les Belges Delville ou Fabry et Carlos Schwabe, qui s'y révéla comme un disciple fervent de Botticelli, un exalté plein d'harmonie (la Madone aux lys, 1899). Et ce furent Armand Point, fondateur du groupe Hauteclaire de Marlotte, et le Néerlandais Léonard Sarluis qui exécutèrent pour le Salon de la Rose-Croix de 1896 la fameuse affiche-manifeste représentant Persée brandissant la tête d'Émile Zola.

L'école symboliste belge

La Belgique a, par contre, assisté successivement à la naissance, à Bruxelles, de deux Salons symbolistes très importants : le Salon des XX (1884-1893) et celui de la Libre Esthétique (1894-1914). Ce fut l'œuvre d'Octave Maus, épaulé par les grands écrivains spiritualistes de l'école belge, Maurice Maeterlinck (la Princesse Maleine, 1889), Charles Van Lerberghe (Entrevisions, 1895), Georges Rodenbach (les Vies encloses, 1896) et Émile Verhaeren (les Forces tumultueuses, 1902), qui fut aussi critique d'art militant. Ceux-ci étaient étroitement liés avec les poètes français, et les interférences littéraires furent nombreuses. La communion entre Paris et Bruxelles fut aussi profonde sur le plan plastique, et plusieurs artistes français participèrent aux expositions belges. Quelques revues, comme la Jeune Belgique, l'Art moderne et la Société nouvelle, appuyèrent ce mouvement idéaliste, et la Wallonie, fondée par Albert Mockel, proposa même la création d'une école picturale " instrumentiste " qui transposerait les sons en couleurs.

Déjà, au milieu du xixe s., certains artistes comme le baron Leys ou les Nazaréens avaient souligné leur dépendance vis-à-vis de l'esprit et des traditions médiévales. Leurs recherches se rapprochaient alors de celles des préraphaélites anglais mais d'une façon plus littéraire que spiritualiste. Le même climat germanique se retrouve, plus tard, dans les compositions surnaturalistes de Léon Frédéric (la Nuit, 1891, Paris, Orsay), qui pose sans cesse, comme Gauguin, l'interrogation muette et angoissée du sens de la vie, ou dans les illustrations de Georges de Feure, évocateur délicat et mélancolique de contes de fées et de poèmes ambigus (la Porte des rêves de Marcel Schwob, 1899), mais aussi l'un des plus grands affichistes de l'Art nouveau. Ce goût de la légende poétique habite encore les gravures de Charles Doudelet pour les Douze Chansons de Maeterlinck. Une curieuse émotion, un peu oppressive, se dégage des aquarelles désertiques de Léon Spilliaert (Jeunes Filles sur la dune, musée d'Anvers), auquel Paris a consacré en 1981 une large rétrospective, et des jardins mystérieux de Degouve de Nuncques (les Anges dans la nuit, 1894, Otterlo, Kröller-Müller), tandis qu'une atmosphère ouatée et maladive baigne quelques œuvres de Théo Van Rysselberghe. Mais il existe un autre Symbolisme belge, plus cruel et plus désespéré : déjà Antoine Wiertz, solitaire et farouche, réalisait des toiles inquiétantes pleines de fantasmes énigmatiques (la Belle Rosine, 1847, Bruxelles, musée Wiertz). Il s'y enivre de sang, d'évocations baroques ou macabres, encore teintées de romantisme. Félicien Rops dessina et grava des femmes vénéneuses ou lubriques, des sorcières ricanantes et d'atroces succubes (les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly, 1879). La même anxiété sardonique et morbide apparaît chez James Ensor, dont les foules hébétées, les squelettes quotidiens, les masques ironiques et les étranges fillettes aux fœtus-fétiches sont à la fois expressionnistes et d'un symbolisme freudien au seuil du Surréalisme (Petite Fille à la poupée, 1884, Cologne, W. R. M.). Si les dessins de George Minne atteignent une vraie grandeur pathétique (les Serres chaudes de Maeterlinck, 1889), les allégories d'Henry De Groux puisent leur force dans un mysticisme religieux torturé.

Jean Delville, fondateur du cercle " Pour l'art " (1892), fut un fidèle défenseur de la Rose-Croix et un artiste vibrant dans le sillage de Gustave Moreau (la Fin d'un règne, 1893). Il a su renouveler une fois encore les thèmes chers aux symbolistes : la mort d'Orphée (1893), le philtre de Tristan et Yseult (1887, Bruxelles, M. R. B. A.) et la fascination des Trésors de Satan (1895, id.), avec une morbidesse raffinée. À ses côtés, Émile Fabry, qui a participé aussi à " Pour l'art " et à la geste rosicrucienne, expose des œuvres plus ambitieuses, wagnériennes, débouchant parfois sur l'Expressionnisme (les Parques, 1898). Mellery, dont les dessins sont pleins d'un charme mystérieux et discret, peint par contre des personnages sculpturaux, aux envols étranges sur des fonds primitifs d'or ou d'argent (la Chute des dernières feuilles d'automne, Bruxelles, M. R. B. A.). Fernand Khnopff, enfin, violemment attiré par le Préraphaélisme et l'ambiance de la Sécession, se grisa d'évocations poétiques, de paysages muets et de visages exsangues (I look my door upon myself, 1891, Munich, Neue Pin. ; le Sphinx, 1896, Bruxelles, M. R. B. A.). Se rapprochant de Mucha, il réalisa de très belles gravures, des illustrations pour Pelléas et Mélisande de Maeterlinck et des affiches frappantes pour le Salon des XX. On a découvert toute l'ambiguïté de son inspiration, en 1979, lors de la rétrospective de son œuvre au musée des Arts décoratifs.

Les symbolistes néerlandais

Ils se rattachent à l'école belge, car ils exposèrent régulièrement au Salon de la Libre Esthétique. Jean Toorop mêla à son introspection continuelle la nostalgie des sagas nordiques et des souvenirs magiques javanais (les Trois Fiancées, 1892-93, Otterlo, Kröller-Müller). Il incline, sous l'influence de Redon et d'Ensor, vers des œuvres plus anxieuses et dépravées (les Rôdeurs, id.), mais rejoint Beardsley ou la Sécession par son souci du graphisme géométrique et de la stylisation curviligne. Il influença profondément Johan Thorn-Prikker, dans les compositions de qui on retrouve le même jeu décoratif de lignes courbes et des raffinements semblables de matière (Chérubins, 1892, id.). Toorop et Thorn-Prikker se convertirent au catholicisme et pratiquèrent, dès lors, un Symbolisme purement chrétien (Thorn-Prikker, la Madone des tulipes, 1892, id.).

Les rêves nordiques

Toute l'Europe a ressenti la sollicitation du Symbolisme et les pays scandinaves plus que tout autres. L'importante exposition Lumières du Nord (Paris, Petit Palais, 1987) a souligné l'ampleur de ce mouvement en Scandinavie dans les années 1890. Les artistes nordiques y projettent leur amour des anciennes mythologies de l'Edda, psalmodiées par les bardes et leur redécouverte du Kalevala. D'autre part, le Symbolisme imprègne l'œuvre des dramaturges Bjoernson, Strindberg et Ibsen, dont l'influence sera très grande sur le monde artistique. En fait, plus qu'ailleurs, la plupart des peintres chargent leurs œuvres d'un poids symbolique qui est dû à la transparence nette de la lumière sur des paysages souvent vides et à l'affrontement constant de l'homme et de la nature, mais ils y mêlent souvent le vérisme de la vie quotidienne et des traditions folkloriques. Quelques grandes figures symbolistes s'imposent par leur quête d'un ailleurs, intérieur ou légendaire. Au Danemark, Jens Ferdinand Willumsen peint des paysages de montagnes, à facettes froides comme des glaciers (Jotunheim, 1893, Frederikssund, musée Willumsen), et Vilhelm Hammershøi oppose subtilement ses noirs et ses blancs dans ses paysages stricts et ses intérieurs vides aux figures immobiles (Cinq portraits, 1901, Stockholm, Thielska Galleriet), qui influenceront Ejnar Nielsen, pétri d'angoisse et de morbidité ; en Finlande, Akseli Gallen-Kallela exécute des paysages spiritualistes (Hiver, 1902, Helsinki, Ateneum), d'étranges évocations de l'épopée finnoise (la Mère de Lemminkäinen, 1897, id.) et pose le problème du symbolisme artistique dans son tableau clé Symposion (1894). Son œuvre, très bien étudiée en 1984, a influencé les recherches primitivistes de Juho Rissanen et de Pekka Halonen, mais aussi les miniatures de Hugo Simberg, d'un mysticisme à la naïveté voulue. Magnus Enckell et Ellen Thesleff seront, par contre, à Paris, en 1891, très marqués par le Symbolisme français et Puvis de Chavannes. En Norvège, Edvard Munch, peintre déjà expressionniste par sa technique, reste essentiellement symboliste par le message désespéré qu'il hurle dans ses toiles (le Cri, 1893, Oslo, Ng) ou confie en sourdine (Puberté, v. 1895, id.). Ses gravures sur bois ont une grande force d'émotion dramatique (Madone). Ses paysages angoissants rejoignent ceux de Kitty Kielland et ceux de Harald Sohlberg, d'une inspiration plus mystique (Nuit, 1904, musée de Trondheim). Gerhard Munthe, plus proche des traditions folkloriques, exprime dans ses gravures et ses cartons de tapisseries toute la mélancolie fruste des temps passés. Les artistes suédois, Richard Bergh (Soir d'été nordique, 1899, musée de Göteborg) et le prince Eugen, vont préférer des paysages plus nostalgiques et mystérieux, caractéristiques du " romantisme national ", tandis que Gustav Fjaestad s'oriente vers l'Art Nouveau, August Strindberg vers l'Abstraction et Ernst Josephson vers un Surréalisme religieux, proche d'Ensor.

Le Symbolisme germanique

Les artistes du premier Symbolisme germanique se rattachent encore au Romantisme, à l'inspiration lyrique née des légendes des Nibelungen et du Walhalla et au souffle wagnérien, célébré par Louis II de Bavière, qui leur a redonné vie. Ce sont Moritz von Schwind (fresques du château de Hohenschwangau), E. J. von Steinle, Anselm Feuerbach (Au printemps, 1868, Kiel, Kunsthalle) ou Hans Thoma (la Nymphe de la source, 1888, Stuttgart, Staatsgal.). Bien des peintres allemands ont été ensuite attirés par le Symbolisme, mais ils l'ont abandonné très vite pour l'Expressionnisme coloré de Die Brücke ou l'esthétique abstraite de Der Blaue Reiter, exposée par Wassily Kandinsky dans Du spirituel dans l'art. Quelques-uns, au contraire, comme Marcus Behmer, Thomas Theodore Heine, Riemerschmid ou Emil Pretorius, l'accentuèrent dans les recherches exacerbées du Jugendstil. Otto Eckmann, visionnaire néo-idéaliste et maître du style floral, fonde en 1894 la Libre Association avec Corinth et Slevogt, puis à Munich, en 1896, la revue Jugend. Les peintres sont soutenus par les poètes berlinois Arno Holz et Richard Dehmel, par le cénacle du Charon d'Otto zur Linde (1904), par Hugo von Hofmannsthal et les esthètes viennois et surtout par Stefan George, le solitaire de Bingen, dont la méditation hermétique animait la revue Blätter für die Kunst. Ils furent aussi influencés par la pensée de Rainer Maria Rilke, par les découvertes de Freud et le développement à Vienne de l'école de psychopathologie. Ils purent s'exprimer dans les illustrations et les affiches de plusieurs revues nouvelles : Jugend, Pan, Fliegende Blätter et Simplicissimus, fondé en 1896 par Hans Thoma. L'Autrichien Koloman Moser dessinera de même pour Ver Sacrum. Ces artistes purent enfin se manifester dans les différentes expositions de la Sécession qui se succédèrent à Vienne, à Berlin et à Munich. Max Klinger, porte-parole du Symbolisme dialectique, peignit des évocations dionysiaques (le Soir, 1882, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum) et de vastes toiles allégoriques, pompeuses et illuminées (le Christ dans l'Olympe, 1897, Leipzig, Museum der bildenden Künste), où il tente, en formes tendues, la synthèse idéaliste des philosophies grecque et chrétienne, mais il exécuta aussi des eaux-fortes d'un surréalisme cruel (l'Incube). Il fut rejoint dans son goût pour le cauchemar par son ami le graveur Otto Greiner (la Tentation). Le dessinateur Alastair créa aussi des illustrations aux fantasmagories étranges (Ashtaroth, 1916, pour le Sphinx d'Oscar Wilde), tandis qu'Alfred Kubin, peintre et graveur, garde une place à part et privilégiée dans le domaine de la névrose exacerbée et des visions hallucinées (la Morte). À l'opposé, Fritz von Uhde recherche dans le symbolisme social une inspiration religieuse nouvelle (Viens, Seigneur Jésus, sois notre hôte, 1885, Berlin, Nationalgalerie) qui réapparaît dans le pré-expressionnisme de Louis Corinth (Descente de Croix, 1895, Cologne, Wallraf-Richartz Museum). Tandis que Ludwig von Hofmann se souvient de Puvis de Chavannes dans ses élégies aux scintillements colorés (Danse printanière, 1904, Brême, Kunsthalle), Hans von Marées entremêle réalisme et évocations antiques (les Hespérides, Munich, Neue Pin.). Il aime évoquer le rapport de l'homme avec la nature (Dans la forêt au crépuscule, 1870, Brême, Kunsthalle) et exalte dans ses fresques de l'Institut zoologique de Naples (1873) le repos méditatif à la manière des Le Nain. Franz von Stück s'attache aux apparitions violentes, aux visages pervers de femmes glacées entourées de serpents métalliques (le Péché, 1893, Munich, Neue Pin.), aux faunes lubriques. Son symbolisme Sécession, très stylisé, trahit une présence très forte de sexualité. Carlos Schwabe, à la bizarre personnalité sensible et lyrique, émigra à Paris, où il mourut, après avoir été un des chevaliers de la Rose-Croix (la Mort du fossoyeur, 1895-1900, Louvre, cabinet des Dessins). Gustav Klimt a su créer un style symboliste personnel, jouant à la fois avec les idées, les lignes et la matière. Il juxtaposait en kaléidoscope des facettes colorées scintillantes : la salle à manger de l'hôtel Stoclet, à Bruxelles, s'orne ainsi de figures lovées en étreintes profondes, aux harmonieuses marqueteries brillantes (le Baiser), dont les esquisses se trouvent à Vienne et à Strasbourg. Ses visages de femmes immobiles, ses allégories polychromes sont de sensuelles et envoûtantes icônes (Salomé, 1901, Vienne, Österr. Gal.).

Le Symbolisme suisse

Les symbolistes allemands et autrichiens ont fortement marqué l'école suisse, qui est, pour cette période, très importante, avec des artistes formés à Vienne ou à Munich : Arnold Böcklin, barbare lyrique, fut hanté sans cesse par les mêmes thèmes héroïques ou mystérieux, chers au poète Carl Spitteler (Vestale, ca 1874, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum) et par les mêmes angoisses solennelles (l'Île des morts, 1880, musée de Leipzig). Il aimait aussi peindre le peuple libre et sensuel des chèvre-pieds, des tritons et des centaures (Jeu de vagues, Munich, Neue Pin.) et exalter la puissance de la vie (Regarde ! la prairie est en joie, 1887, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum). Son élève Albert Welti mêlait à une inspiration littéraire un goût certain du folklore montagnard (le Voyage de noces, 1896-1898, Zurich, Kunsthaus).

 Hodler découvrit le Symbolisme après 1880 et traduisit sa méditation philosophique par des lignes sinueuses et des formes découpées, par des teintes claires jusqu'à l'évanescent (Eurythmie, 1895, musée de Berne). Il se servit souvent de la répétition rythmique pour accentuer encore le monumentalisme de ses compositions (le Jour, 1900, id.). Il influença Ernst Bicher et Félix Vallotton, qui fut aussi sensible à un certain dépouillement où jouent seules la ligne nette et la couleur crue (l'Enlèvement d'Europe, 1908, id.) et dont les sujets étranges furent parfois proches du Surréalisme. Augusto Giacometti, par contre, s'attacha à transposer sa rêverie en subtilités graphiques qui mettent l'accent sur le côté décoratif de l'œuvre (la Nuit, 1903, Zurich, Kunsthaus).

Les symbolistes slaves

Des tentatives artistiques spiritualistes apparurent aussi en Hongrie avec Rippl-Ronai (Jeune Fille à la rose, 1898, Budapest, G. N. H.), en Pologne avec Jacek Malczewski (le Tourbillon, 1893-94, musée de Poznań) et Jozef Mehoffer (le Jardin étrange, 1903, musée de Varsovie) ou en Tchécoslovaquie avec Jan Preisler, peintre, poète et illustrateur (le Lac noir, musée de Prague), et František Kupka, aux si curieuses évocations légendaires, orientales ou ésotériques (l'Âme des lotus, 1898). Comme Kandinsky, ce dernier délaissa rapidement le Symbolisme pour l'Abstraction. Les peintres russes, profondément marqués par l'intériorité pascalienne des romans de Tolstoï ou de Dostoïevski, très attachés à leur folklore national, inspirés par la musique de Rimski-Korsakov, se groupèrent étroitement et contribuèrent à la célébrité de la revue Mir Iskousstva (1898-1904). V. Vasnetzoff, Nicolas Roerich, Alexandre Benois et Ivan Bilibine s'intéressèrent à la création des Ballets russes de Serge de Diaghilev, pour lesquels Léon Nicolas Bakst réalisa des rideaux de scènes, des costumes et des décors féeriques (le Grand Eunuque, pour Schéhérazade, 1910, musée de Strasbourg). Plus visionnaire, Mikhaïl Vroubel, influencé par le Démon du poète Lermontov, oscille entre la tentation du désespoir et le lyrisme (le Démon terrassé, 1902, Moscou, Tretiakov Gal.).

Le Symbolisme italien

Déjà, dans les années 1860-1870, il existe chez les Macchiaioli une attirance vers le symbolisme du silence et de l'instant suspendu. On retrouve cette atmosphère de vide et de solitude dans les œuvres symbolistes socialisantes d'Angelo Morbelli (le Noël des oubliés, 1903, Venise, Galleria d'Arte Moderna) et dans les paysages alpins pointillistes de Giovanni Segantini. Attiré aussi par le fantastique symbolique, il les peuple de formes hallucinées accrochées dans les arbres (les Infanticides, 1894, Vienne, K. M.) ou d'apparitions éthérées (l'Ange de la vie, 1894, Milan, G. A. M.). Ses recherches marquèrent fortement Gaetano Previati, divisionniste inspiré, qui participa au Salon de la Rose-Croix, puis, en 1902, à l'exposition de la Sécession de Berlin (le Repos, id.), et Giuseppe Pellizza da Volpedo, aux allégories plus sentimentales (Espérance déçue, 1894). Sous les auspices de la revue Il Convito (1895-1898), à laquelle collaborait le grand romancier symboliste Gabriele D'Annunzio (la Ville morte, 1898), Nino Costa orienta le mouvement " In arte libertas " vers une imitation fidèle du style et de l'inspiration des préraphaélites anglais ; et Giulio Aristide Sartorio se rapprocha de Rossetti, dont il compliqua les recherches (la Diane d'Éphèse, 1897, Rome, G. A. M.). Les artistes participent aux revues Hermes, Novissima, Leonardo et Il Regno et s'inspirent du symbolisme littéraire : Adolfo de Carolis évoque en figures amples et structurées les poèmes de Giovanni Pascoli, Alberto Martini réalise après 1900 ses illustrations cruelles et démentes d'Edgar Poe tandis que la maison Alinari propose en 1899-1900 un concours pour l'illustration de la Divine Comédie. Le sculpteur Adolfo Wildt dessinait des visions religieuses stylisées et élégantes, d'une spiritualité un peu larmoyante et Felice Casorati, aux curieuses toiles émaillées (Voie lactée, 1914), était très influencé par les fantasmes colorés de Klimt, que Vittorio Zecchin imitait avec un sens aigu du coloris et de la matière (Salomé). Il est intéressant de souligner que le Symbolisme italien s'est développé fort tardivement, après la Première Guerre mondiale, alors que les autres pays d'Europe se tournaient vers l'Abstraction, le Postcubisme ou le Surréalisme.

En Espagne, le Symbolisme hante les fêtes nocturnes de Hermenegildo Anglada Camarasa, les rêveries de Juan Brull Viñoles et les allégories mystiques de Julio Romero de Torres (le Retable de l'Amour, Barcelone, M. A. M.), mais se tourne très vite vers l'Art Nouveau de l'école de Barcelone. Il trouvera ses chefs-d'œuvre dans la période bleue de Pablo Picasso.

Graveurs anglais et groupe des Quatre

En Angleterre, de nombreux artistes, comme R. Stone, F. Mariott, J. E. Southall ou Norman Wilkinson, marqué par les errances d'Oscar Wilde et d'Edgar Poe, transformèrent les rêveries préraphaélites en toiles d'un Symbolisme académique qui ne manque pas d'intérêt. Ils subirent aussi l'influence de Moreau (Arthur Rackham, Andromède) ou de Klimt (Keith Henderson, illustrations pour le Roman de la Rose, 1911).

L'artiste écossais Charles Rennie Mackintosh, au sein du groupe des Quatre, qui réunissait à Glasgow sa femme Margaret MacDonald-Mackintosh, sa belle-sœur Frances MacNair-MacDonald et le mari de celle-ci, réalisa des œuvres décoratives d'une stylisation géométrique très poétique, bien différente de l'Art nouveau français et parente des recherches de la Sécession (Hiver, 1895, Glasgow, Hunterian Art Gal.). Ces artistes s'attachèrent au raffinement de la matière et des couleurs, à la revalorisation d'un celtisme poétique (Margaret MacDonald, le Jardin de Kysterion, 1906, id.). Le graveur anglais Aubrey Vincent Beardsley, esprit pernicieux et sardonique, dessinait à la plume des personnages fantastiques et cruels (Salomé, illustration pour Oscar Wilde), parfois caricaturaux, originaux jusqu'au Surréalisme. Il a édité de fort belles affiches d'un graphisme audacieux (A Comedy of Sighs, Avenue Theatre, 1894). Il fut imité par Annie French (les Sœurs laides, Édimbourg, Scottish National Gallery of Modern Art) et par l'Américain Bradley (affiche pour The Chap-Book).

La même inspiration se retrouve en effet dans les œuvres de certains artistes américains, qui, à New York, reflétèrent les trouvailles symbolistes européennes. Ralph Albert Blakelock, Albert P. Ryder et James Hamilton sont plus singuliers que symbolistes, mais Elihu Vedder s'avère un illustrateur plein de sentiment (Muse de la Tragédie, 1899, Washington, National collection of Fine Arts). Si Edwin Austin Abley se tourne vers les thèmes préraphaélites (la Quête du Saint-Graal, 1895-1901, Boston, Public Library), Thomas Dewing préfère les figures de femmes mélancoliques (les Jours, 1887, Hartford, Connecticut, Wadsworth Atheneum) et Abbot Thayer les allégories évanescentes (l'Ange, ca 1889, Smithsonian Institution). James McNeill Whistler exécuta des tableaux éthérés aux subtiles harmonies de lumières (Nocturne en bleu et or, Londres, Tate Gal.) et des décors très proches de la Sécession (la Chambre des paons, 1876-77, Washington, Freer Gal.).

Le Symbolisme est donc un mouvement international qui, s'appuyant sur la littérature, a marqué tout l'art moderne comme avaient pu le faire les découvertes sensorielles de l'Impressionnisme. Tel le Maniérisme international de la fin du xvie s., il a été partout le témoin de l'angoisse des intellectuels et des artistes devant un monde déjà dominé par la science et la machine et d'où fuyait Dieu. Il s'est souvent exprimé dans des évocations pessimistes, des spiritualités décadentes ou des débordements d'effets décoratifs. Il a ouvert la voie aux recherches des surréalistes, aux jeunes filles glaciales et aux hommes effarés du Belge Delvaux, aux architectures étouffantes de l'Italien Giorgio De Chirico, aux montres molles de l'Espagnol Salvador Dalí. Le Surréalisme sera un avatar psychanalytique du Symbolisme, centré sur l'insolite, l'objet figé chargé d'angoisse. Il ne s'agit plus dès lors de traduire les rêves éveillés des sensibilités aiguisées, mais de décrire le peuplement incohérent et incontrôlable du sommeil et de l'inconscient.

Si le culte du symbole a quelque peu favorisé les élucubrations de Dada, le Symbolisme synthétique de Gauguin ou de Klimt, mêlant l'esprit à la quintessence du décoratif, a aussi marqué le chemin des recherches abstraites de Kandinsky, de Klee ou de l'Orphisme.