simultanisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Le terme " simultanisme " et les propositions pour une nouvelle forme d'art qu'il recouvre ont été l'occasion de querelles vives entre les deux parties principalement intéressées par la question, Robert Delaunay d'une part, les peintres futuristes de l'autre, Apollinaire servant de porte-parole à l'un comme à l'autre et usant quelquefois à la légère d'un mot si passionnément revendiqué : ainsi, le poète affirme que Delaunay a emprunté le terme " simultané " au vocabulare des futuristes. C'est, du côté italien, Boccioni qui prononce pour la première fois le mot " simultanéité " dans une conférence qu'il fait à Rome le 29 mai 1911. C'est avec la série des Fenêtres, en 1912, que Delaunay inaugure le Simultanisme, élaboré bien auparavant, affirme Pierre Francastel, soucieux de défendre un brevet d'invention delaunaisien, avec la Tour. Première Étude (1900), où se lisent les mots fondamentaux " mouvement-profondeur ", voire avec le Manège électrique de 1906 (détruit) et le Paysage au disque de 1906-1907 (Paris, M. N. A. M.). Mauvaise querelle, d'autant plus que le terme recouvre, chez les futuristes et chez Delaunay, des préoccupations et un métier différents.

Ce que Delaunay désigne par Simultanisme (" simultanéisme ", dit-il, ne veut rien dire), ce n'est pas une " philosophie de l'art ", mais un métier : le métier simultané. Il est ici l'héritier des théoriciens de la couleur, Rood et, avant lui, Chevreul, qui définissait ainsi (sommairement) en 1839 la loi du contraste simultané des couleurs : 2 couleurs juxtaposées paraissent du fait de cette juxtaposition plus différentes qu'elles ne le sont réellement.

Allant plus loin que Seurat, qui, s'il utilise le mélange optique des pigments purs sur la toile, n'en fait pas pour autant un moyen de construction du tableau et conserve les recours traditionnels de la peinture que sont la ligne et le clair-obscur ; profitant de la leçon cézannienne — la lumière brise la forme des objets —, Delaunay propose une peinture où la couleur, dans ses contrastes, engendre le mouvement (par la vibration des couleurs juxtaposées) et la profondeur (perspective des couleurs, simultanée, et non perspective linéaire, successive). La couleur est à la fois forme et sujet dans une " peinture pure ", où la représentation des objets est de ce fait abandonnée, et assure à elle seule la construction du tableau : c'est en ce sens que le peintre nomme " constructive " l'époque nouvelle des contrastes simultanés, celle des Fenêtres et des Disques.

Les futuristes sont, eux, préoccupés de simultanéité. S'ils professent la nécessité du " complémentarisme inné ", affirment que " le mouvement et la lumière détruisent la matérialité des corps " et s'efforcent de rendre une " sensation dynamique ", ils se proposent aussi et surtout de donner une image de " la simultanéité des états d'âme " : le tableau est une synthèse de " ce dont on se souvient et de ce que l'on voit " et réunit divers points de l'espace et du temps : une personne sur un balcon et toutes les sensations visuelles qu'elle a éprouvées, ou bien l'imbrication du canapé et de celui qui s'y assied, ou celle de l'autobus et des maisons qui bordent la rue où il passe. Le problème de la simultanéité se pose aussi pour la sculpture : " Ouvrons la figure comme une fenêtre et enfermons en elle le milieu où elle vit. " (Apollinaire et Boccioni revendiquent d'avoir été chacun l'inventeur de la simultanéité sculpturale.)

Amis des peintres, les poètes sont, eux, à la recherche d'un nouveau langage qui serait fait de contrastes de mots : ce sont les poèmes simultanés d'Apollinaire, telles les Fenêtres, ou de Blaise Cendrars, dont la Prose du transsibérien et de la Petite Jehanne de France (livre-objet en accordéon, 1913) est l'étroite imbrication du texte et d'une composition simultanée de Sonia Delaunay.