morceaux de réception

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».

Œuvres que les artistes agréés à l'Académie royale de peinture et de sculpture devaient présenter et donner pour obtenir le grade d'académicien.

Bien que l'Académie ait été créée en 1648, ce n'est qu'en 1663 qu'un arrêt royal obligea les peintres, sculpteurs ou graveurs à présenter leur morceau de réception pour avoir droit, après approbation de l'assemblée, au titre d'académicien et aux privilèges en découlant. Cette coutume se poursuivit jusqu'à la suppression de l'Académie, en 1793. Ces morceaux, dont les sujets étaient fournis par l'Académie — Watteau étant une des exceptions à cette règle —, s'accumulèrent dans les locaux de l'Académie, si bien qu'en 1793 cette institution possédait un exemple de l'art de chaque artiste, formant un vaste panorama de la peinture française entre 1648 et 1793. Il faut noter aussi que le morceau de réception, comparable en tout point au " chef-d'œuvre " des anciennes corporations, impliquait que cet exemple fût de qualité. Le morceau de réception, accompagné jusqu'en 1745 d'un présent pécuniaire obligatoire, devait être présenté trois ans au plus après que le peintre eut été agréé. Mais il existe de nombreuses exceptions à cette règle ; un peintre comme Watteau fut agréé en 1712 et ne donna son morceau de réception, Pèlerinage à l'île de Cythère (Louvre), qu'en 1717. La spécialité du peintre ne l'obligeait toutefois pas à présenter un tableau de cette spécialité ; c'est ainsi qu'une portraitiste telle que Mme Vigée-Lebrun fut reçue sur un tableau allégorique : la Paix ramenant l'Abondance (Louvre). Cependant, pour les portraitistes, l'usage voulait qu'ils donnassent pour leur réception un ou deux portraits de leurs confrères. C'est ainsi que l'Académie rassembla une magnifique série de portraits d'artistes aujourd'hui répartie entre le Louvre et Versailles ; au Louvre, Largillière (Ch. Le Brun, 1686), Rigaud (Desjardins, 1700), Tocqué (J. L. Lemoyne, Galloche, 1734), Perronneau (Adam l'Aîné, 1753), Roslin (Jeaurat, 1754), F. H. Drouais (Bouchardon, 1759), Duplessis (Allegrain, 1774 ; Vien, 1785) ; à Versailles, Ranc (Fr. Verdier, 1703), Allou (Antoine Coypel, Bon Boullogne, 1711), Aved (J. F. de Troy, 1734), Roslin (Collin de Vermont, 1753), Aubry (N. Hallé, 1775), Vestier (Doyen, Brenet, 1787).

L'Académie fut supprimée en 1793 et, dès 1794, sa collection était incorporée au Muséum central des arts. En 1796, une partie de cette collection était envoyée au dépôt de Nesle, tandis qu'en 1797 une autre partie était envoyée au Musée spécial de l'école française, créé à Versailles ; la même année, le dépôt de Nesle étant supprimé, les morceaux de réception qui y étaient conservés entraient au Louvre. Si bien que, vers 1800, la collection de l'ancienne Académie royale se trouvait répartie entre le Louvre et Versailles. Les collections publiques de peintures provenant des collections royales ou de l'Académie traversèrent sans trop de dommage la " tourmente révolutionnaire " ; les aliénations et les disparitions d'œuvres furent à peu près nulles. C'est au xixe s. que la dispersion eut lieu ; dès 1803, plusieurs morceaux de réception étaient envoyés à Lyon, à Rennes, à Caen et surtout à Tours (Nattier, Persée pétrifiant Phinée, 1718 ; Collin de Vermont, Bacchus confié aux nymphes de l'île de Naxos, 1725 ; Dumont le Romain, Hercule et Omphale, 1728 ; J.-B. Restout, Philémon et Baucis, 1771) ainsi qu'à Montpellier (A. Coypel, Louis XIV se reposant dans le sein de la gloire, 1681 ; J. F. de Troy, la Mort des enfants de Niobé, 1708 ; Natoire, Vénus commandant des armes à Vulcain, 1733 ; Dandré-Bardon, l'Ambition de Tullia, 1735 ; Trémollières, Ulysse sauvé du naufrage, 1737). D'autres dispersions eurent lieu sous la IIIe République : morceau de réception de Peyron (Curius Dentatus refusant les présents des Samnites, 1787), envoyé en 1876 à Avignon, tandis qu'en 1872 un certain nombre de morceaux retournaient à l'E. N. B. A. de Paris.

De nos jours, la collection de l'ancienne Académie est répartie entre quelques musées de province et 3 principaux musées : Versailles (conservant principalement des portraits d'artistes), l'E.N.B.A. (J.-B. Corneille, Hercule et Busiris, 1675 ; Lemoyne, Hercule et Cacus, 1718 ; H. Robert, Vue de Rome, 1766 ; Ménageot, l'Étude arrêtant le Temps, 1780) ; mais c'est le Louvre qui possède les plus importants et les plus célèbres morceaux de réception : Bon Boullogne (Hercule luttant contre les centaures, 1677), Santerre (Suzanne au bain, 1704), Vleughels (Apelle peignant Campaspe, 1716), Watteau (l'Embarquement pour Cythère, 1717), Pater (Réjouissance de soldats, 1728), Chardin (la Raie, le Buffet, 1728), Boucher (Renaud et Armide, 1734), N. Hallé (Dispute de Minerve et de Neptune, 1748), J. Vernet (Marine, soleil couchant, 1753), L. J. F. Lagrenée (l'Enlèvement de Déjanire, 1755), Roland de La Porte (Vase de lapis et instruments de musique, 1763), Greuze (Septime Sévère et Caracalla, 1769), J.-B. Regnault (Achille et le centaure Chiron, 1783), David (la Douleur d'Andromaque, 1783).